Ces entreprises d’armement aident Israël à commettre des crimes. Que fait la Belgique ? Par François Graas, coordinateur des campagnes et du plaidoyer de la section belge francophone d’Amnesty International

Dans une publication récente, Amnesty International s’est penchée sur les activités de 15 entreprises qui contribuent au génocide dans la bande de Gaza, à l’occupation illégale du Territoire palestinien occupé et à l’apartheid pratiqué par Israël à l’encontre de la population palestinienne.

Un génocide soutenu près de chez vous

Si les sièges des entreprises citées pour leur rôle dans l’approvisionnement d’Israël en armes sont situés en Israël et aux États-Unis, cela ne signifie pas pour autant que toutes leurs activités se déroulent loin de chez nous. Quelques exemples montrent que certaines d’entre elles entretiennent même des liens étroits avec la Belgique, ce qui leur apporte des bénéfices économiques considérables.

Le gouvernement fédéral a ainsi décidé de dépenser des sommes colossales dans les avions de combat F-35 de Lockheed Martin, dont les premiers exemplaires viennent d’être livrés. Cette entreprise étatsunienne a joué un rôle central dans les crimes de droit international commis par Israël, en particulier en fournissant les avions F-16 et F-35 utilisés par l’armée pour bombarder la bande de Gaza pendant deux ans. Sur son site Internet [1], l’entreprise n’hésite pas à exprimer sa fierté quant au « rôle significatif qu’elle a joué dans la sécurité de l’État d’Israël ».

Certaines pièces de F-35 seront même bientôt produites en Belgique par des entreprises de chez nous : la Sonaca, la Sabca et Asco, réunies au sein de la co-entreprise BeLightning. La récente mission économique princière aux États-Unis a d’ailleurs donné lieu à la signature d’un contrat entre Asco et Lockheed Martin concernant la production de pièces de F-35, avec le soutien affiché par les responsables politiques qui ont fait le voyage.

Vieille de plusieurs décennies, la relation entre Lockheed Martin et la Belgique semble appelée à durer si rien ne change. Un tel contrat impliquera pour l’État belge de rester le client de Lockheed Martin pendant de très nombreuses années, et donc de rémunérer cette entreprise pour l’entretien des appareils. Rappelons-nous que le choix d’acheter des avions de combat F-16 a été posé il y a 50 ans. Le risque d’entretenir une relation économique de longue durée avec une entreprise qui facilite la commission de crimes graves a-t-il seulement été pris en compte par le gouvernement fédéral ?

Au-delà du gouvernement, si le choix du F-35 par la Belgique a été l’objet de critiques, il ne semble pas que la contribution active de Lockheed Martin au génocide en cours à Gaza ait suscité jusqu’ici beaucoup d’indignation.

Autre entreprise, autre avion de combat, contribution au même génocide : le F-15 de Boeing. Alors que la Wallonie s’est engagée, dans le cadre d’un accord intra-belge conclu en 2009, à ne « procurer aucune licence d’exportation d’armes qui renforcerait la capacité militaire » israélienne, cet avion américain intègre des composants « made in Wallonia ». Comme l’a démontré un reportage de l’émission de la RTBF #Investigation [2], la société Safran Aero Boosters, localisée à Herstal, produit des pièces qui finissent dans les moteurs des F-15 de l’armée israélienne.

Le 6 octobre dernier, le ministre-président wallon Adrien Dolimont a été interrogé à ce propos au Parlement de Wallonie, lors d’une interpellation menée par des citoyen·nes à l’origine d’une pétition demandant à la Wallonie de s’abstenir de fournir des armes à Israël.

La réponse du chef de l’exécutif wallon a de quoi décevoir toute personne comptant sur les autorités wallonnes pour assurer le respect des droits humains ou l’engagement pris par la Région de ne pas contribuer à renforcer l’armée israélienne. Pour évoquer la participation d’une entreprise wallonne à la production des F-15 fournis à Israël, Adrien Dolimont n’hésite pas à parler de « véritable réussite », de « synergies positives […] entre les industries civiles et militaires » et de « retombées industrielles locales ». Le ministre-président se réfugie par ailleurs derrière le grand nombre de pièces présentes dans de tels appareils pour laisser entendre que son gouvernement ne peut pas faire grand-chose pour éviter que l’armée israélienne recoure au savoir-faire d’une entreprise wallonne pour commettre un génocide.

Face à la gravité des crimes de droit international commis par Israël, ce récit d’une "success story" wallonne a de quoi susciter l’incompréhension, voire l’indignation. Le gouvernement a-t-il seulement exploré les pistes d’action à sa disposition pour arrêter de fournir du matériel militaire à l’armée israélienne ?

Troisième cas de figure : Elbit Systems, géant israélien de l’industrie de la défense, qui joue un rôle de premier ordre dans la fourniture de l’armée israélienne en matériel militaire, notamment en fournissant des drones qui ont été utilisés pour frapper les civils.

Il apparaît qu’Elbit possède intégralement OIP Sensor Systems, entreprise basée à Audenarde et spécialisée dans la fabrication d’instruments optiques. Le même groupe dispose également d’un site à Tournai. En plus de fournir des jumelles de vision nocturne à l’armée belge, OIP est impliqué dans des programmes du secteur spatial financés par des acteurs publics comme BELSPO, la Politique scientifique fédérale belge.

Enfin, on citera comme dernier exemple celui de BATS, qui produit à Angleur des radars de surveillance, des systèmes d’écoute et d’autres produits technologiques à destination du secteur de l’armement. Cette société qui compte l’armée belge parmi ses clients est contrôlée par Israël Aerospace Industries Ltd. (IAI), autre grande entreprise de l’armement qui fournit l’armée israélienne en matériel militaire.

La Belgique peut et doit agir

Sans le matériel et la technologie fournis par les entreprises d’armement, Israël n’aurait pas pu commettre de génocide à Gaza et ne pourrait pas occuper illégalement le Territoire palestinien. Les entreprises concernées doivent donc suspendre immédiatement ces activités aux conséquences désastreuses.

Quant aux autorités belges, elles ne doivent pas se contenter d’attendre passivement une action de la part de ces acteurs économiques. Face à la gravité des crimes commis, les autorités belges doivent utiliser les leviers à leur disposition. Concrètement, tant qu’elles fourniront à l’État israélien du matériel et des technologies utilisés pour commettre des crimes de droit international, l’État belge doit se désengager de ces entreprises et cesser de leur acheter des armes, du matériel militaire, des équipements de sécurité et des services connexes. En outre, la Belgique doit exclure ces entreprises de tout contrat, mais aussi de toute subvention destinée à la recherche et de toute activité avec des organismes publics.

Ces initiatives que peuvent prendre les autorités belges ne sont pas une option ; elles découlent des obligations qui leur incombent en vertu du droit international. D’abord, en tant qu’État partie à la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, la Belgique est tenue de faire tout ce qui est en son pouvoir pour l’empêcher et l’arrêter. Or, dès janvier 2024, la Cour internationale de justice a établi qu’il existait un risque de génocide à Gaza – génocide que les recherches d’Amnesty International ont par ailleurs pu démontrer. Le cessez-le-feu qui a récemment été conclu demeure très fragile et une vigilance extrême doit rester de mise.

Ensuite, en juillet 2024, la même cour a conclu que l’occupation par Israël du Territoire palestinien était illégale, obligeant dès lors tous les États à, notamment, « ne pas prêter aide ou assistance au maintien de la situation créée par la présence illicite d’Israël dans le Territoire palestinien occupé ».

Face à cette situation, aucun atermoiement n’est permis. La Belgique a l’obligation de mettre un terme à ses relations avec des entreprises qui fournissent des armes permettant à Israël de soit reprendre les bombardements contre des civils dans la bande de Gaza, soit poursuivre son occupation illégale du territoire palestinien.

Cette carte blanche a initialement été publiée sur le site du quotidien Le Soir.

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