Par Alioune Tine, directeur pour l’Afrique de l’Ouest à Amnesty International
En août, j’ai eu le privilège de rencontrer Biram Ould Dah Ould Abeid, militant anti-esclavagiste renommé qui s’est présenté à la dernière élection présidentielle en Mauritanie. Nous avons parlé pendant une heure de sa vie et de son travail. J’aurais aimé que notre entretien se prolonge, mais c’était impossible, car il se déroulait dans la cour de la prison d’Aleg, l’une des plus dangereuses de Mauritanie.
Biram Abeid a purgé plus de neuf mois, sur sa peine de deux ans d’emprisonnement. Il a été arrêté en novembre 2014, avec 10 autres militants, lors d’un rassemblement pacifique visant à sensibiliser la population sur la question des droits fonciers des descendants d’esclaves. Le 20 août, la cour d’appel a examiné sa condamnation.
Dans l’attente de sa décision, je m’associais à tous ceux qui, à travers le monde, espéraient qu’elle serait annulée et qu’il pourrait retrouver sa famille. Lorsque la nouvelle est tombée, elle n’était pas bonne.
Les lourdes peines prononcées contre Biram Abeid et deux autres militants anti-esclavagistes, Brahim Bilal et Djiby Sow, ont été confirmées.
Tous trois sont membres d’organisations qui luttent contre l’esclavage, Kawtal et l’Initiative pour la résurgence du mouvement abolitionniste en Mauritanie (IRA Mauritanie). Depuis des années, ils font campagne pacifiquement pour sensibiliser à des questions relatives aux droits humains, notamment l’impunité dont jouissent les propriétaires d’esclaves, ainsi que la discrimination et les violations des droits humains que subissent les descendants d’esclaves. En Mauritanie, les esclaves et leurs descendants travaillent sur des terres sans jouir d’aucun droit et sont contraints de donner une partie de leurs récoltes à leurs maîtres traditionnels.
Paradoxalement, quelques jours seulement avant le procès en appel, le 11 août, la Mauritanie a adopté une loi définissant l’esclavage comme un crime contre l’humanité. Si cette mesure laissait espérer un élan en faveur des droits humains, la décision rendue hier a piétiné ces espoirs.
En juillet et en août, lorsque je dirigeais une mission d’Amnesty International en Mauritanie, j’ai rencontré plusieurs responsables, dont le ministre de la Justice et le commissaire aux droits humains. J’ai également rencontré des défenseurs des droits humains et j’ai parcouru plus de 250 kilomètres de Nouakchott à Aleg, afin de rendre visite à Biram en prison.
Que ces militants soient incarcérés si loin pose des problèmes à leurs proches qui souhaitent leur rendre visite. L’épouse de Biram Abeid et ses enfants ont dû déménager pour s’installer dans une maison à Aleg, simplement pour être près de lui.
Amnesty International considère Biram Abeid, Brahim Bilal et Djiby Sow comme des prisonniers d’opinion. Tous trois ont été arrêtés uniquement pour avoir exercé pacifiquement leurs droits et doivent être libérés immédiatement et sans condition.
S’adressant aux délégués de notre mission, Biram Abeid a fait un plaidoyer passionné. « Je demande aux autorités mauritaniennes de nouer un dialogue constructif avec les militants anti-esclavagistes, d’ouvrir leurs portes et leurs cœurs en vue de résoudre le problème de l’esclavage. Les attaques contre la liberté d’expression et l’incarcération de défenseurs des droits humains sont contraires aux engagements souscrits par la Mauritanie en termes de droit international. Notre place n’est pas en prison, mais dehors. »
Ces mots sont d’autant plus poignants après la décision rendue le 20 août par la cour d’appel.