« Cela fait 20 ans que je lutte contre les MGF car j’en ai moi-même fait l’expérience. J’ai été mise dans un groupe de 10 à 20 filles et nous avons été emmenées dans la brousse par des femmes pour être excisées. Une des filles a perdu la vie parce qu’elle a été coupée de façon sauvage. Malheureusement, elles n’ont pas pu arrêter le sang. Elles l’ont prise à dos d’âne pour l’emmener au centre de santé. Mais elle a perdu la vie pendant le trajet. Ça m’a laissé une marque indélébile.
J’ai été excisée quand j’avais environ 10 ans. Avec ce type d’excision, on te coupe, et ensuite il y a une autre opération qu’on te fait. Donc quand tu dois aller dans la chambre avec ton mari le jour de ton mariage, il faut te couper encore avant de te donner à ton mari. J’ai été mariée, et c’est ce qui m’est arrivé. J’ai ressenti des douleurs atroces et j’ai été en état de choc pendant plusieurs jours. J’avais 13 ans.
J’ai donc subi à la fois un mariage précoce et une mutilation. C’est cela qui m’a amenée à m’engager dans la lutte. Mon mari me soutient dans tout ce que je fais. J’ai eu des filles et elles ont eu des filles mais elles ne sont pas excisées. Je ne l’ai fait subir à aucun membre de ma famille.
Koussanar, la ville située près de mon village, est dans une zone carrefour avec les pays frontaliers. Le Mali n’a pas de loi contre les MGF et la Gambie en a une mais ne l’applique pas. Les femmes se déplacent vers ces pays pour aller faire mutiler leurs bébés. Quand j’apprends qu’une petite fille est née, je me rends dans la famille juste après le baptême pour leur dire, ‘je sais qu’il y a un nouveau-né chez vous et que c’est une fille mais il ne faut pas la faire mutiler car il y a une loi contre ça’. Je montre les supports de sensibilisation sur les conséquences de l’excision, pour expliquer ce que ça fait à l’enfant. Je leur dis que s’ils le font, j’irai les dénoncer.
Il y a un cas récent de cinq filles que leur grand-mère et leur mère voulaient emmener dans une autre localité pour les faire exciser. Quand j’ai su cela, j’ai réuni d’autres femmes et nous sommes allées ensemble parler à la grand-mère et la mère, sans pour autant aborder directement le sujet de l’excision. Je leur ai dit que les filles étaient en pleine année scolaire, qu’elles allaient rater des cours et que ça allait leur porter préjudice. J’ai conseillé à la mère de ne pas partir avec les filles. J’ai également dit, ‘je ne sais pas ce que vous vouliez faire mais j’irai vous dénoncer et vous savez ce que ça va donner’. La maman a dit qu’elle n’allait pas le faire.
« Il faut continuer à sensibiliser pour que la pratique de l’excision diminue encore davantage »
Dans le cadre de ma lutte contre les MGF, je présente des émissions sur les FGM et les violences basées sur le genre à la radio communautaire de Koussanar avec le comité d’alerte d’Amnesty et en collaboration avec la commune. Pour ces émissions, j’invite les religieux pour parler de l’excision. D’autres fois, je fais appel à des spécialistes comme les sages-femmes pour parler des conséquences de l’excision.
Pendant les émissions, des auditrices appellent au téléphone pour dire, ‘cela m’est aussi arrivé’. Et même après les émissions, des femmes viennent me rendre visite chez moi et me disent, ‘ce que vous avez dit à la radio, c’est mon histoire’.
Lors des sensibilisations communautaires, je parle de la loi [de 1999 interdisant l’excision] mais aussi des conséquences des MGF sur la santé. Il faut continuer à sensibiliser pour que la pratique de l’excision diminue encore davantage. C’est quelque chose de culturel, qui est ancré profondément, donc cette lutte est un travail de longue haleine. À la longue, je suis certaine que les femmes abandonneront cette pratique.
Au sujet de mon combat, les gens sont partagés. Tout le monde connait mon engagement. Certains sont pour, d’autres sont contre. Il m’arrive de croiser des personnes, des hommes comme des femmes, et de leur dire bonjour mais elles ne me répondent pas. Cela ne m’empêche pas de continuer mon travail. Je me suis engagée dans la lutte donc je me sens obligée de faire ça. J’ai sauvé beaucoup de jeunes filles, je ne peux pas dire combien. Je sais que ce que je fais, c’est quelque chose de bien. »
À travers un programme d’éducation aux droits humains mis en œuvre depuis 2017 au Burkina Faso, au Sénégal et en Sierra Leone, Amnesty International s’efforce de combattre les violences basées sur le genre (VBG) par l’éducation, la sensibilisation et le plaidoyer, en vue de faire évoluer les attitudes et les comportements et de contribuer à réformer la législation dans ces pays.
Amnesty International Sénégal met notamment en place au sein des communautés des comités d’alerte permettant de signaler les cas de VBG, dont les MGF, aux autorités compétentes.