À Madagascar, des gens languissent en détention pendant des mois dans l’attente de leur procès, sans en connaître la date. Quand Tamara Léger, spécialiste de Madagascar à Amnesty International, a croisé six femmes incarcérées pour un crime qu’elles n’avaient pas commis, elle a compris qu’elle devait agir.
Des murs qui s’effritent, des espaces surpeuplés et crasseux, et de minuscules portions de manioc sec. La vie est souvent cruelle en prison, surtout à Madagascar.
Les histoires des personnes maintenues en détention prolongée avant leur procès dans le pays tout entier présentent des similarités dérangeantes - pauvreté généralisée, manque d’instruction et enquêtes policières insuffisantes. Si un chien renifleur s’arrête devant chez vous, cela peut vous conduire derrière les barreaux pendant des années. Vous ne pouvez pas consulter d’avocat·e avant la date de votre procès.
Dans le cadre de mes recherches pour Amnesty International, une histoire m’a particulièrement marquée. Elle concerne six femmes formidables, et vient enfin de connaître un dénouement heureux.
Tout a commencé en avril 2017, quand un cambriolage a eu lieu dans la ville d’Antsirabe. Plusieurs religieuses ont été violées et la police a rapidement ouvert une enquête. Un matin, sous un soleil de plomb, un chien renifleur s’est arrêté devant un groupe de maisons. Les policiers ont arrêté tous les occupant·e·s, y compris des familles entières. Plus de 50 personnes ont été appréhendées. Figuraient parmi elles sept femmes, que j’ai plus tard rencontrées.
Ces femmes m’ont dit qu’elles avaient été victimes de violences policières au poste : « Chaque fois qu’on disait "Ce n’était pas nous", ils nous giflaient encore », a déclaré Claudia*. Elles ont été emmenées à la prison d’Antsirabe, à deux heures de la capitale, Antananarivo.
Elles ne savaient pas qu’elles allaient passer les 19 mois suivants derrière les barreaux. Une de ces femmes est malheureusement morte avant d’avoir pu être jugée ou consulter un·e avocat·e. Les six autres ont dit qu’elle était trop âgée pour supporter les coups des policiers, et qu’elle y avait succombé.
Ces femmes étaient pauvres et ne pouvaient ni lire, ni écrire, ni s’offrir les services d’avocats. Elles se trouvaient à la merci du système pénal malgache, qui ne fonctionne que pour ceux qui ont les moyens de payer. Leurs époux se trouvaient eux aussi en détention, et leurs enfants étaient donc seuls et livrés à eux-mêmes.
Trois de ces femmes (Merline, Julia* et Hana*) passaient la journée avec leurs bébés serrés contre elles. Ces bébés étaient les plus jeunes occupants de la prison, et l’un d’eux est même né derrière les barreaux. Belle jeune femme de 18 ans, Merline était incarcérée avec sa mère et son petit garçon. C’est là que quelque chose m’a frappée : trois générations étaient maintenues en détention, sans procès et sans accès à des avocats, tout cela parce que le gouvernement manquait à son devoir de protection du droit à un procès équitable. C’était inhumain.
J’ai demandé à Merline quels étaient ses espoirs pour l’avenir. « Je veux travailler dans les champs - c’est mon rêve », m’a-t-elle répondu.
Je leur ai demandé ce qu’elles pensaient de cette situation absurde, être incarcérées dans une prison sale et surpeuplée pour un crime qu’elles n’avaient pas commis, sans le moindre espoir de passer en jugement dans un futur proche. Ces femmes m’ont dit qu’elles ne comprenaient pas du tout. « Pourquoi ne font-ils pas d’enquête ? », a demandé l’une d’elles. « Comment peuvent-ils penser que nous pourrions faire une chose pareille ? ! Jamais je ne violerais une bonne sœur. Je ne peux pas parler pour nos maris qui sont de l’autre côté [de la prison], mais nous, des femmes ? ! », a déclaré une autre. « Nos bébés ont passé toute leur vie ici, on ne peut pas nous mettre en libération provisoire ? », a demandé une autre encore.
Je ne pouvais plus observer cette situation sans rien faire, alors je suis allée chercher le premier avocat que j’ai pu trouver. À 100 mètres de là, dans une rue parallèle à la prison, se trouvait un petit cabinet d’avocats. Une avocate merveilleuse a accepté de travailler sur leur cas.
Si le gouvernement avait proposé une assistance judiciaire digne de ce nom, ainsi que l’y oblige la Constitution malgache, ces femmes auraient pu bénéficier d’une aide bien avant.
Deux mois plus tard, j’ai reçu un message inespéré de cette avocate : « Elles ont été acquittées ! »
Elles étaient enfin libres toutes les six. J’ai plus tard appris qu’elles avaient été jugées et qu’on leur avait accordé le bénéfice du doute. Selon l’avocate, c’est une pratique courante à Madagascar. Si je suis agacée que le tribunal n’ait pas dit franchement ce qui était pourtant flagrant - que ces femmes n’avaient pas violé les religieuses -, je suis ravie d’apprendre qu’elles ont été libérées. Je suis aussi très reconnaissante à l’avocate pour son travail fantastique. Si elle n’avait pas insisté comme elle l’a fait pour obtenir une date de procès, elle pense que celui-ci n’aurait pas eu lieu avant l’an prochain.
Et quand j’ai vu une photo en particulier, j’ai été très heureuse que nous ayons agi. On y voyait Merline, dans les champs, travailler la terre avec bonheur et réaliser enfin ses espoirs et ses rêves.
*Les noms ont été changés.
Complément d’information
En octobre 2018, Amnesty International a diffusé un rapport intitulé Punis parce qu’ils sont pauvres. Le recours injustifié, excessif et prolongé à la détention préventive à Madagascar, qui met en évidence toutes sortes de violations des droits humains perpétrées dans le contexte de la crise actuelle de la détention provisoire dans ce pays. Dans ce rapport, l’organisation demande aux autorités malgaches de prendre des mesures immédiates afin que les divers organes de la justice travaillent réellement à faire du recours à la détention provisoire une mesure exceptionnelle, et, lorsque cela a lieu, que les détenu·e·s soient jugés sans délai, soient traités avec humanité, et voient leurs autres droits fondamentaux respectés et protégés.