Le président Emmanuel Macron et son gouvernement ont réagi à cet assassinat en proclamant leur soutien à la liberté d’expression. Toutefois, ils ont aussi persévéré dans leur campagne de dénigrement permanente des musulmans français, et lancé leurs propres attaques contre la liberté d’expression. La semaine dernière, par exemple, la police française a interrogé pendant des heures quatre enfants de 10 ans soupçonnés d’« apologie du terrorisme » pour avoir semble-t-il remis en cause le choix de Samuel Paty de montrer les caricatures.
Le gouvernement n’est pas le grand défenseur de la liberté d’expression qu’il aime à penser qu’il est. En 2019, un tribunal a reconnu deux hommes coupables d’« outrage » pour avoir brûlé un mannequin à l’effigie d’Emmanuel Macron pendant une manifestation pacifique. Le Parlement est en train d’examiner un projet de loi érigeant en infraction la diffusion d’images des forces de l’ordre sur les réseaux sociaux. Tout cela est difficilement conciliable avec la défense vigoureuse, par les autorités françaises, du droit de représenter le prophète Mahomet dans des caricatures.
Le droit à la liberté d’expression concerne aussi les opinions qui peuvent déranger, blesser ou choquer, et c’est à ce titre que les représentations du prophète Mahomet sont protégées. Nul ne devrait avoir à craindre des violences ou du harcèlement pour avoir reproduit ou publié de telles images.
Mais les personnes qui ne sont pas d’accord avec la publication de ces caricatures ont aussi le droit d’exprimer leurs préoccupations. Le droit à la liberté d’expression protège aussi la possibilité de critiquer le choix de représenter des religions d’une manière pouvant être perçue comme stéréotypée ou insultante. Le fait d’être opposé aux caricatures ne fait pas de quelqu’un un « séparatiste », un fanatique ou un « islamiste ».
Alors que le droit d’exprimer des points de vue ou des opinions susceptibles d’être perçus comme insultants pour des croyances religieuses est farouchement défendu, il est souvent fait peu de cas en France de la liberté d’expression et de religion des musulmans, sous couvert d’universalisme républicain. Au nom de la laïcité, les musulmans de France n’ont pas le droit de porter des symboles ou des vêtements religieux à l’école ni dans les emplois de la fonction publique.
Le bilan de la France en matière de liberté d’expression dans d’autres domaines est aussi peu réjouissant. Des milliers de personnes sont condamnées chaque année pour « outrage à personne dépositaire de l’autorité publique », une infraction pénale définie en termes vagues que les forces de l’ordre et les autorités judiciaires utilisent massivement pour réduire au silence l’opposition pacifique. En juin 2020, la Cour européenne des droits de l’homme a statué que la condamnation de 11 militant·e·s en France pour leur campagne en faveur du boycott des produits israéliens constituait une violation de leur droit à la liberté d’expression.
L’assassinat de Samuel Paty a aussi déclenché de la part des autorités françaises des réactions qui ne sont pas sans rappeler l’état d’urgence instauré après les attentats de Paris en 2015. À partir de cette date, des mesures exceptionnelles approuvées par le Parlement en vertu de l’état d’urgence ont donné lieu à des milliers de perquisitions et d’assignations à domicile abusives et discriminatoires visant des musulmans.
Il est inquiétant de voir que, comme si l’histoire se répétait, le gouvernement français s’engage actuellement dans des procédures de dissolution d’associations et de fermeture de mosquées, sur la base de la notion ambiguë de « radicalisation ». Pendant toute la durée de l’état d’urgence, le terme « radicalisation » a souvent été appliqué à de simples musulmans fervents.
Gérald Darmanin, ministre de l’Intérieur, a aussi annoncé son intention de dissoudre le Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF), une organisation qui combat la discrimination à l’égard des musulmans. Il a qualifié cette association d’« ennemie de la République » et d’« officine de l’islamisme », sans fournir aucune preuve permettant d’étayer ses accusations.
Dans une vidéo publiée sur les réseaux sociaux, l’un des parents qui s’opposaient au choix de Samuel Paty de montrer les caricatures avait suggéré aux internautes de signaler les cas similaires au CCIF, et avait pris contact avec cette association. Les autorités françaises n’ont pas expliqué en quoi ce type de travail associatif rendait le CCIF coupable d’apologie de la violence ou de « séparatisme ».
Quelques jours après l’assassinat de Samuel Paty, Gérald Darmanin a annoncé son intention d’expulser 231 étrangers soupçonnés de « radicalisation » et constituant une menace pour la sécurité nationale. Les autorités ont ensuite procédé à l’expulsion de 16 personnes vers des pays comme l’Algérie, le Maroc, la Russie et la Tunisie, où Amnesty International a fait état d’usage de la torture, en particulier contre des personnes accusées de menacer la sécurité nationale.
Le ministère français de l’Éducation nationale s’est aussi engagé dans une guerre culturelle contre le multiculturalisme et la « théorie critique de la race ». Selon lui, les tentatives de lutte contre le racisme institutionnalisé reposent sur des idées « importées des États-Unis » et sont un terreau fertile pour « le séparatisme et l’extrémisme ». Or, ce n’est pas faire preuve d’extrémisme que de faire remarquer que les musulmans et d’autres minorités sont victimes de racisme en France. C’est un fait, et l’affirmer est aussi un droit protégé par la liberté d’expression.
Le discours des autorités françaises sur la liberté d’expression ne suffit pas à masquer leur hypocrisie éhontée. La liberté d’expression n’a pas de sens si elle ne s’applique pas à tout le monde.