Le gouvernement a oublié les peuples indigènes de Colombie par une membre de la communauté indigène d’El Porvenir

Colombie_Peuples indigènes

Les peuples indigènes Sikuani et Kubeo sont invisibles pour le gouvernement colombien. Les autorités ne nous protègent pas contre les attaques et les menaces que nous infligent les paramilitaires et les groupes de guérilla depuis des années. Et maintenant, elles nous abandonnent une nouvelle fois et nous laissent à la merci de la pandémie de COVID-19, sans garantir nos droits tels que ceux à la santé et à l’alimentation.

Les dangers auxquels nous sommes confrontés sont si grands que je risque d’être menacée, voire tuée pour ce témoignage. C’est pourquoi mon identité ne peut être rendue publique.

Nous avons été déplacés de notre territoire ancestral [1] par des groupes armés dans les années 90, puis de nouveau en 2000, mais nous n’avons jamais baissé les bras. Il y a cinq ans, nous sommes revenus sur notre territoire ancestral, la communauté indigène d’El Porvenir, dans la municipalité de Puerto Gaitán. Quarante-deux familles y vivent actuellement, et savent apprécier les savanes, les marais et les lagons de ce territoire. Si ces terres sont les nôtres depuis des siècles, la procédure juridique visant à faire entériner cela est toujours en cours.

Depuis notre retour en 2015, nous avons été victimes de nombreuses formes de harcèlement, visant notamment les dirigeant·e·s et membres de notre conseil indigène. Les agresseurs sont principalement d’anciens paramilitaires et des propriétaires terriens dont les domaines jouxtent notre territoire. Nous ne savons pas ce qu’ils comptent faire de nos terres, mais nous savons qu’ils veulent nous faire partir, et ce, par n’importe quel moyen. Ils se moquent qu’il y ait des personnes âgées, des enfants, des femmes enceintes et des personnes souffrant de maladies chroniques parmi nous. Cela ne les intéresse pas ; tout ce qu’ils veulent, c’est que nous quittions les lieux.

Nous avons également été contactés par des multinationales souhaitant exploiter les ressources naturelles de notre territoire. Nous savons cependant que si leur présence peut être synonyme d’emplois et de certains « avantages », elle peut aussi avoir des conséquences négatives dans le futur. Nous n’avons pas récupéré notre territoire pour le remettre à une multinationale qui en fera ce qui lui chante.

Depuis que le gouvernement a ordonné le confinement obligatoire afin de prévenir la propagation de la pandémie de COVID-19, nous avons vu à plusieurs occasions des hommes armés [2] se tenir devant diverses maisons tard le soir. Ils ont menacé de tuer [3] une de nos dirigeantes et sa famille, et ont même mis le feu à nos maisons [4].

Le gouvernement n’a rien fait, ou si peu, pour nous protéger contre ces menaces. Nous avons porté plainte, mais les autorités n’ont pas agi. Nous n’avons jamais reçu de protection digne de ce nom pour nos dirigeant·e·s indigènes ou pour notre communauté.

Et comme si cela ne suffisait pas, notre communauté ne bénéficie pas non plus de la moindre protection contre la pandémie.

Nous avons une couverture de santé, mais les autorités n’ont même pas formé de groupe de travail pour nous aider sur le plan médical. Il y a des femmes enceintes ici, ainsi que cinq femmes âgées atteintes de diabète et de nombreux enfants qui ont été malades, notamment de la grippe. Nous avons un guérisseur traditionnel parmi nous, mais si quelqu’un tombe gravement malade, il faut attendre entre six et huit heures que les transports arrivent et emmènent la personne souffrante au centre de santé le plus proche. Nous ne sommes pas prêts pour ce qui pourrait se passer.

« Nous voulons un futur où nos filles et nos fils pourront vivre ici en paix »

Nous n’avons pas non plus reçu le soutien que le gouvernement nous a promis lorsqu’il a ordonné le confinement obligatoire en mars. Les autorités locales de Puerto Gaitán nous ont accordé très peu d’aide, mais nous n’avons rien reçu de la part des autorités départementales ou nationales.

L’artisanat est un des moyens de protection à notre disposition, parce qu’il s’agit d’une manière de préserver notre histoire, notre savoir et notre culture. Les femmes qui font de l’artisanat à Aseinpome fabriquent des boucles d’oreille, des porte-monnaie et des sacs, sauvegardant ainsi notre culture par le biais de nos traditions et subvenant à nos besoins de base sur le territoire. C’est une forme d’art qui est transmise de génération en génération. Ma mère me l’a apprise et je vais l’enseigner à ma fille. Mais nous ne pouvons pas quitter notre communauté pour l’instant, pas même pour vendre les objets artisanaux que nous fabriquons. Nous avons besoin du soutien de l’État pour survivre au confinement.

Nous avons essayé de vivre grâce à ce que nous plantons dans le conuco, l’espace collectif où nous cultivons des produits traditionnels comme des bananes plantains, du manioc, du maïs, de l’ananas, des patates douces, du péjibaye, des pastèques, des mangues et des goyaves, mais les semences sont trop chères pour nous. Nous chassons aussi le gibier de façon durable, mais nous souhaiterions par-dessus tout que le gouvernement colombien soutienne nos projets, de sorte que nous ayons de nombreux animaux, comme du bétail ou des chèvres, et puissions en tirer des revenus réguliers.

Nous voulons un futur où nos filles et nos fils pourront vivre ici en paix. C’est pourquoi je demande aux autorités, au niveau national, départemental et local de garantir les droits de notre communauté et de répondre à nos besoins de base. Malgré les difficultés auxquelles nous sommes confrontés, nous continuons à nous battre pour faire reconnaître notre gouvernance, obtenir le titre de propriété relatif à notre territoire, et demander l’adoption d’une politique publique de protection des dirigeant·e·s communautaires et des défenseur·e·s des droits humains.

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