Guatemala. Une justice soumise à des pressions par Erika Guevara-Rosas, directrice du programme Amériques à Amnesty International

Le Guatemala a une dette historique en ce qui concerne la quête de justice pour les crimes de droit international et les autres violations graves des droits humains commises pendant le conflit armé de 1960-1996.

Aujourd’hui, plus de vingt ans après, il a un autre défi majeur à relever pour garantir l’accès à la justice et lutter efficacement contre l’impunité dans le pays.

Il a récemment été annoncé que les activités de la Commission internationale contre l’impunité au Guatemala (CICIG) avaient pris fin, que le commissaire de la CICIG, Iván Velásquez, s’était vu interdire l’entrée dans le pays, et que les visas de plusieurs membres du personnel de la CICIG avaient été refusés ou annulés, entre autres mesures. Il ne s’agit là que des dernières initiatives en date des autorités guatémaltèques pour saper et entraver les activités d’une des institutions qui jouent un rôle clé dans le combat en faveur de la vérité et de la justice.

Depuis sa création en 2007, la CICIG a contribué aux efforts déployés pour enquêter sur les structures et réseaux criminels - ainsi que leurs liens avec des représentants de l’État - et a permis la comparution en justice de responsables dans des affaires de corruption et de violations des droits humains commises au cours de la période post-conflit.

Dans un des cas les plus récents, le 9 octobre 2018, un tribunal guatémaltèque a reconnu plusieurs des responsables les plus haut placés du pays coupables d’association illégale, de corruption et de fraude en lien avec un projet de dépollution du lac Amatitlán, un des plus grands lacs du pays. D’après les éléments de preuve mis au jour par l’enquête de la CICIG et du ministère public, la formule utilisée pour « assainir » le lac s’est révélée être de l’eau contenant du sel, du chlore et d’autres substances corrosives nocives pour la santé.

Deux semaines auparavant, un autre tribunal avait condamné un réseau composé de responsables de l’Institut guatémaltèque de sécurité sociale et d’autres responsables, pour leur implication dans la fourniture irrégulière de services de dialyse à des patients souffrant de maladie rénale, qui a entraîné la mort de plus de 50 personnes.

Dans les deux cas, la CICIG a joué un rôle capital en mettant en évidence les conséquences que la corruption peut avoir sur la jouissance et l’exercice des droits humains. Le détournement de millions de dollars, initialement destinés à garantir le droit à la santé ou le droit à un environnement sain, a compromis l’exécution de l’obligation faite à l’État de garantir les droits économiques, sociaux et culturels.

La CICIG a joué un rôle essentiel dans les investigations sur des exécutions extrajudiciaires perpétrées par des membres des forces de sécurité en 2005 et 2006 contre des personnes incarcérées et en 2011 contre un paysan de la vallée du Polochic. La Commission a également participé à l’enquête sur les personnes qui auraient ordonné, planifié et commis l’assassinat d’un journaliste à Mazatenango en 2015.

La CICIG a contribué à lutter contre la corruption au sein d’un système judiciaire qui a permis pendant des années de perpétuer l’impunité, en identifiant des représentants de l’État accusés de s’immiscer dans les procédures pénales et de les entraver, et même d’exercer des pressions indues sur des juges et des magistrats et de saper l’indépendance du pouvoir judiciaire.

Amnesty International suit la situation des droits humains au Guatemala depuis plus de cinquante ans. Pendant cette période, l’absence de justice, ou l’accès « sélectif » à celle-ci par des groupes représentant les intérêts économiques et politiques du pays, a été une constante. Ces dernières années, nous avons constaté que la CICIG devenait une institution d’une grande importance pour la lutte contre l’impunité au Guatemala, et une référence essentielle pour la défense des droits dans les Amériques. En revanche, nous avons également assisté à des campagnes préoccupantes de délégitimation de son travail, comparables à celles auxquelles sont confrontés les défenseurs des droits humains au Guatemala depuis des décennies.

Les résultats obtenus grâce à l’appui de la Commission ont prouvé qu’il était possible de combattre l’impunité, et que même les plus hauts responsables pouvaient être traduits en justice pour répondre de violations d’obligations nationales et internationales en matière de protection des droits humains. Les nombreuses affaires que la CICIG a contribué à résoudre ont montré qu’avec les efforts voulus et des mesures adaptées, l’accès à la justice pouvait devenir une réalité au Guatemala et dans la région.

Au lieu d’entraver le travail de la CICIG et la lutte contre l’impunité, les autorités du Guatemala devraient, sans plus tarder, s’employer à garantir un environnement sûr et favorable aux personnes qui défendent la justice et les droits humains dans ce pays.

Ce document a initialement été publié par El País

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