Stop à la répression à Hong Kong

Les autorités chinoises ont fait passer la loi en force, sans rendre de comptes ni faire preuve de transparence : elles l’ont adoptée quelques semaines seulement après l’avoir annoncée, court-circuitant le pouvoir législatif local de Hong Kong, et son contenu a été tenu secret, même du gouvernement hongkongais semble-t-il, jusqu’à sa promulgation.

Voici 10 motifs d’inquiétude au sujet de cette nouvelle loi :

1. « Atteinte à la sécurité nationale », une expression fourre-tout

Au titre de la nouvelle loi, les personnes reconnues coupables de « sécession », de « subversion », de « terrorisme » et de « collusion avec des forces étrangères » sont passibles de peines pouvant aller jusqu’à la réclusion à perpétuité. La définition de ces infractions est toutefois si vague qu’elle peut se prêter à toutes les interprétations et permettre d’engager des poursuites motivées par des considérations politiques et assorties, en cas de culpabilité, de lourdes peines.

Le Haut-Commissariat aux droits de l’homme [1] et des organes d’experts des Nations unies ont déjà fait part à plusieurs reprises de leurs préoccupations au sujet de la loi relative à la sécurité nationale, indiquant que la formulation vague de son contenu pouvait conduire à « une interprétation et une application discriminatoires ou arbitraires de la loi », une situation qui pourrait « nuire à la protection des droits humains ».

Le gouvernement central et le gouvernement de Hong Kong accusent de longue date des personnes et des organisations de la société civile d’être guidées par des « forces étrangères » dans les activités qu’elles mènent, telles que l’organisation de manifestations pacifiques et la participation à celles-ci, l’acceptation de dons et la critique des autorités. Quiconque se livre à ce type d’activités risque désormais d’être inculpé de « collusion avec des forces étrangères » et d’autres nouvelles « infractions ».

En Chine continentale, Amnesty International a fait état de l’utilisation régulière par les autorités chinoises d’accusations de « subversion » pour emprisonner des journalistes, des avocat·e·s, des universitaires et des militant·e·s. En 2017, un tribunal chinois a condamné l’opposant Wu Gan à huit années d’emprisonnement, citant ses propos critiques à l’égard du gouvernement sur Internet [2] comme preuve d’une « subversion » du pouvoir de l’État.

2. Il a été fait un usage abusif de la loi dès son entrée en vigueur

Immédiatement après l’adoption de la loi, les autorités ont commencé à l’utiliser pour réprimer l’expression d’opinions de façon légitime et pacifique.

Des personnes ont été arrêtées pour possession de drapeaux, d’autocollants et de bannières arborant des slogans politiques. Des policiers et des représentants de l’État ont également affirmé que des slogans, des t-shirts, des chansons et des morceaux de papier blanc [3] pouvaient constituer une atteinte à la sécurité nationale et donner lieu à des poursuites judiciaires.

Deux jours après l’adoption de la loi, le gouvernement hongkongais a déclaré [4] que le slogan politique couramment scandé lors des manifestations de l’année dernière, « Libérez Hong Kong, révolution de notre temps », était un appel à l’indépendance de Hong Kong, visant à séparer le territoire de la Chine, et l’a interdit.

Ces exemples montrent que la loi et son application ne sont pas conformes au droit international relatif aux droits humains ni aux normes internationales connexes, qui disposent que le fait d’exprimer pacifiquement son opinion à propos de systèmes politiques ne constitue pas une menace pour la sécurité nationale.

3. La loi introduit un contrôle renforcé sur l’éducation, le journalisme et les réseaux sociaux

Au nom de la sécurité nationale, la loi octroie au gouvernement hongkongais et au gouvernement central chinois de nouveaux pouvoirs étendus pour surveiller et encadrer les établissements scolaires, les organisations à vocation sociale, les médias et Internet à Hong Kong.

Les médias se sont dits inquiets de l’impact potentiel de ce texte sur la liberté de la presse à Hong Kong. Le New York Times [5], par exemple, a déjà pris la décision de relocaliser une partie de son personnel hongkongais en Corée du Sud.

Beaucoup craignent que des mesures similaires à celles appliquées en Chine continentale soient progressivement mises en œuvre pour contrôler les journalistes étrangers. Pour l’heure, ils sont obligés d’être accrédités par les autorités chinoises avant de pouvoir travailler légalement sur le continent.

Le gouvernement hongkongais a également tenté d’imposer des restrictions excessives aux droits des étudiant·e·s de jouir de leur liberté d’expression sur les campus universitaires. Le secrétaire hongkongais à l’Éducation a indiqué [6] qu’ils ne devaient plus chanter de chansons, ni scander des slogans ou mener des activités contenant des messages politiques. Le simple fait de débattre de sujets politiques en classe pourrait désormais s’avérer dangereux.

Qui plus est, la loi habilite les organes chargés du maintien de l’ordre public à supprimer du contenu en ligne ou à obtenir les données d’utilisateurs et d’utilisatrices sans mandat judiciaire. Face à ces nouveaux pouvoirs illimités octroyés à l’exécutif, les grandes plateformes en ligne, telles que Facebook, Google, LinkedIn, Twitter et WhatsApp, ont cessé [7] de traiter les demandes de données personnelles émanant du gouvernement hongkongais.

4. Les personnes accusées pourraient être conduites en Chine continentale pour y être jugées inéquitablement

Au regard de la loi relative à la sécurité nationale, les personnes soupçonnées d’une infraction pourraient être transférées en Chine continentale, poursuivies dans le cadre du système judiciaire continental et jugées au titre du droit continental. C’est cette même éventualité qui avait déclenché les manifestations de grande ampleur à partir de la mi-2019.

Une personne inculpée d’une infraction liée à la sécurité nationale sur le continent risque d’être détenue arbitrairement, voire secrètement. Elle risque également de ne pas pouvoir contacter sa famille, ni consulter un avocat de son choix en cas de placement « en résidence surveillée dans un lieu désigné », qui permet aux enquêteurs de détenir des personnes hors du système de détention officiel pendant une période pouvant aller jusqu’à six mois. Bien souvent, les personnes détenues dans ces conditions risquent fortement d’être soumises à la torture et à d’autres mauvais traitements. L’avocat spécialisé dans les droits humains Li Heping a été frappé, forcé à prendre des médicaments et soumis à des décharges électriques lors de sa détention secrète, intervenue dans le cadre de la répression des avocats et avocates en 2015.

5. La loi s’applique à toutes et tous sur la planète

La loi relative à la sécurité nationale prévoit que ses dispositions sont applicables aux personnes qui n’habitent pas à Hong Kong, voire qui n’y sont jamais allées. Cela signifie que n’importe qui sur terre, quelle que soit sa nationalité ou le lieu où il se trouve, peut techniquement être accusé d’avoir enfreint ce texte, et être arrêté et poursuivi en justice s’il se trouve sur un territoire chinois, même en transit. Les étrangers accusés qui ne résident pas de façon permanente à Hong Kong peuvent être expulsés avant même d’être jugés.

Il peut par exemple être demandé aux réseaux sociaux de supprimer du contenu jugé inacceptable par le gouvernement chinois, même si le contenu visé a été publié hors de Hong Kong ou que les bureaux et serveurs du réseau social sont implantés dans d’autres pays.

6. Les autorités chargées des enquêtes jouissent de nouveaux pouvoirs étendus

Au titre de la nouvelle loi, les autorités chargées des enquêtes peuvent effectuer des perquisitions, restreindre ou interdire les déplacements, geler ou confisquer des avoirs, censurer du contenu en ligne et mener des opérations de surveillance secrète, y compris d’interception de communications – sans disposer d’ordonnance pour mener l’une ou l’autre de ces activités.

Les autorités peuvent également exiger d’organisations et de personnes qu’elles communiquent des informations, même si ce faisant elles s’incriminent elles-mêmes. Si elles refusent, elles risquent de se voir infliger une amende ou d’être emprisonnées. Cela signifie dans les faits que, dans les affaires liées à la sécurité nationale, le droit au silence d’une personne n’existe plus, alors qu’il s’agit d’une composante essentielle de la présomption d’innocence.

Le droit de garder le silence lors d’un interrogatoire et celui de ne pas être contraint de témoigner contre soi-même sont généralement reconnus par le droit international relatif aux droits humains et les normes connexes, et sont au cœur de la notion d’équité procédurale. Ces droits ont une large portée : ils s’appliquent lors des interrogatoires conduits par la police et lors des procès, quelle que soit l’infraction commise et sa gravité, et interdisent toute forme de contrainte, qu’elle soit directe ou indirecte, physique ou psychologique.

7. Le gouvernement chinois dispose désormais d’un organe de sécurité nationale à Hong Kong

Le gouvernement central chinois met en place un Bureau de sauvegarde de la sécurité nationale au cœur de Hong Kong. Ses locaux et son personnel ne relèvent pas de la compétence hongkongaise, ce qui signifie que ses activités, y compris celles menées dans la ville, ne peuvent faire l’objet d’un recours devant les tribunaux locaux ni être soumises à la législation locale. Le personnel de cet organe ne peut être visé par une mesure d’inspection, de fouille ou de détention de la part des forces de l’ordre locales à Hong Kong. Le Bureau et son personnel jouissent dans les faits d’une immunité totale, quelles que soient les infractions ou les atteintes aux droits humains dont ils sont accusés, en violation des droits des victimes à la justice, à la vérité et à des réparations complètes.

Les agents des services de la sécurité nationale sur le continent enfreignent régulièrement, en toute impunité, les droits des personnes inculpées d’infractions en lien avec la sécurité nationale. Ces services pratiquent systématiquement la surveillance, le harcèlement, l’intimidation et le placement en détention de défenseur·e·s des droits humains et de dissident·e·s, et des éléments attestent [8] d’actes de torture et d’autres mauvais traitements.

8. Le gouvernement hongkongais dispose lui aussi d’un nouvel organe qui ne fait l’objet d’aucun contrôle

Le gouvernement hongkongais a mis en place un nouvel organe, le Comité de sauvegarde de la sécurité nationale, qui est « conseillé » par un·e délégué·e du gouvernement central chinois.

Cet organe est habilité à choisir individuellement les agents des forces de l’ordre et les représentants du ministère public en charge des affaires liées à la sécurité nationale. Le budget et la nomination des membres du personnel en lien avec la protection de la sécurité nationale ne feront l’objet d’aucun examen par le pouvoir législatif. La cheffe de l’exécutif peut désigner les magistrats qui traiteront les affaires liées à la sécurité nationale selon des modalités qui semblent saper l’indépendance judiciaire.

Au regard de la nouvelle loi, le Comité n’est pas tenu de divulguer ses travaux et les décisions qu’il prend ne peuvent pas faire l’objet d’un recours devant les tribunaux.

Qui plus est, la police hongkongaise a créé un nouveau département en charge de la sécurité nationale, habilité à conduire des opérations de surveillance secrète sans contrôle judiciaire.

Cela signifie de fait que la population ne peut avoir recours aux procédures légales pour faire obstacle aux abus de pouvoir et aux violations des obligations juridiques de Hong Kong, y compris celles relatives aux droits humains définies dans le droit national et international.

9. Les garanties en matière de droits humains risquent d’être ignorées

Si la loi relative à la sécurité nationale offre une garantie générale de respect des droits humains, y compris des principaux traités de défense des droits humains tels que le Pacte international relatif aux droits civils et politiques et le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, d’autres dispositions de ce texte pourraient annuler les garanties qui y sont énoncées.

La loi accorde des immunités et de vastes exemptions aux institutions en charge de la sécurité nationale et à leur personnel, indiquant expressément qu’elle prévaut sur l’ensemble de la législation hongkongaise en cas de conflit. Cela signifie a priori que ce texte pourrait donner l’impression de rendre caduques les garanties existantes en matière de droits humains sur le territoire.

Il existe une disposition similaire sur le respect des droits humains dans la propre loi relative à la sécurité nationale de la Chine, mais elle n’a guère protégé, voire pas du tout, les personnes ciblées : des avocat·e·s, des universitaires, des journalistes, des pasteurs et des employé·e·s d’ONG ont toutes et tous été reconnus coupables d’infractions liées à la sécurité nationale pour le simple fait d’avoir exercé leur liberté d’expression et défendu les droits humains.

La cheffe de l’exécutif hongkongais a à plusieurs reprises justifié restreindre les droits humains [9] au nom de la sécurité nationale, y compris dans des conditions qui seraient contraires aux normes internationales.

10. La loi a déjà un effet dissuasif

Les dispositions draconiennes de ce texte sont rédigées en termes si vagues que personne ne peut savoir dans quelles conditions et à quel moment il existe un risque de les transgresser, ce qui a immédiatement eu un effet dissuasif sur tout le territoire.

De nombreux Hongkongais et Hongkongaises qui avaient pour habitude de partager en ligne des informations sur les manifestations depuis juin 2019 ont fermé leurs comptes sur les réseaux sociaux, de peur d’enfreindre la loi. Les magasins et les restaurants qui avaient précédemment affiché des bannières et des autocollants de soutien au mouvement contestataire les ont retirés avant même l’entrée en vigueur de la loi. En quelques jours, les bibliothèques ont commencé à retirer de leurs rayons les ouvrages consacrés à des sujets « sensibles » et écrits par des détracteurs du gouvernement.

Une heure après l’adoption de la loi, le militant de premier plan Joshua Wong a quitté Demosisto, mouvement prodémocratie dont il était l’un des chefs de file. Un peu plus tard, le mouvement a annoncé sa dissolution et un autre de ses principaux membres, Nathan Law, a annoncé avoir quitté Hong Kong. Celui-ci craignait que la poursuite de son action de plaidoyer international depuis Hong Kong ne constitue une menace imminente pour sa sécurité personnelle.

Une semaine après l’entrée en vigueur de la loi, au moins sept groupes actifs sur la scène politique avaient mis fin à leurs activités.

La loi relative à la sécurité nationale de Hong Kong n’a pas réussi à véritablement protéger la sécurité nationale tout en préservant les droits humains. Les conséquences sont graves : l’absence de définition d’aspects fondamentaux du texte a suscité la peur dans la population hongkongaise, personne ne sachant ce qui est susceptible de constituer une « atteinte à la sécurité nationale » et, de fait, celle-ci est exposée à un risque de poursuites pénales, de transfert sur le continent ou d’expulsion du territoire.

Amnesty international reconnaît que tout État a le droit et le devoir de protéger ses citoyen·ne·s et que certains pays rencontrent des problèmes de sécurité particuliers. Ces problèmes ne doivent toutefois jamais servir d’excuse pour priver les gens du droit d’exprimer des opinions politiques différentes, ni pour les empêcher d’exercer leurs autres droits humains protégés par les normes juridiques internationales. De toute évidence, la loi relative à la sécurité nationale de Hong Kong est un nouvel exemple de l’utilisation par un gouvernement du concept de « sécurité nationale » pour réprimer l’opposition politique, qui s’accompagne de risques importants pour les défenseur·e·s des droits humains, les médias publiant des articles et reportages critiques, et la société civile dans son ensemble.

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