Il faut que cessent les assassinats de défenseur·e·s des droits humains ! Par Erika Guevara-Rosas, directrice du programme Amériques à Amnesty International

« Nous devons partir. Ils vont nous tuer. »

«  Hier, ils ont attaqué ma fille. Comme ils ne me trouvaient pas, ils ont hurlé contre elle et j’ai dû disparaître. »

« Je suis le prochain ; ça, c’est plus que des rumeurs.  »

Ces paroles ne sont pas extraites du scénario d’un film. Ce sont des exemples de déclarations qu’Amnesty International reçoit chaque jour de Colombie, l’un des pays les plus dangereux au monde pour les personnes qui défendent les droits humains.

Depuis l’arrivée au pouvoir du président Iván Duque, le nombre de signalements de menaces et d’attaques visant des défenseurs que reçoit notre organisation croît de façon exponentielle. La situation est tellement grave que lors d’une visite récente dans le pays, le rapporteur spécial des Nations unies sur les défenseurs des droits humains a déclaré avoir été horrifié et consterné par la peur qu’ont exprimée des défenseurs lors des entretiens.

En raison de la violence qui se propage sans aucune barrière partout dans le pays, les dirigeants de communautés et les défenseurs indigènes et afro-colombiens ainsi que les défenseurs des petits paysans, de l’environnement et des droits des femmes sont entraînés dans une course contre la mort. Ils craignent pour leur vie et celle de leurs proches, car ils ont vu des homologues et leurs familles être abattus, car ils ont vu des fonctionnaires responsables de mesures de restitution de terres menacés et empêchés d’entrer sur les territoires concernés, et car ils ont assisté, impuissants, à toutes ces violences, et constaté que les gilets pare-balles – l’une des mesures que l’État accorde dans un nombre de cas restreint – ne protègent pas contre les attaques mortelles.

Des défenseurs sont attaqués pour avoir osé revendiquer leurs droits et demandé à l’État le respect de l’obligation de rendre des comptes, et justice. Ils sont attaqués pour avoir demandé ce à quoi ils ont droit – la restitution des terres qui leur ont été prises pendant le conflit armé –, pour s’être opposés aux intérêts d’industries extractives et pour avoir attiré l’attention sur les conséquences qu’ont les mégaprojets sur l’environnement.

Ils sont attaqués parce qu’ils ont demandé à pouvoir vivre en paix sur leurs territoires ancestraux ou parce qu’ils ont demandé justice pour leurs proches qui ont été tués ou qui ont disparu.

La Colombie est un pays qui dispose d’un vaste ensemble de lois dédiées à la protection des défenseurs des droits humains et de nombreuses institutions qui devraient participer à la mise en place de mesures de protection efficaces. Le président Iván Duque a lui-même signé le 19 novembre un décret portant sur un plan de protection pour les défenseurs.

Toutes ces « avancées » législatives et institutionnelles ne sont finalement que des promesses creuses qui n’ont eu aucun réel effet sur le quotidien des défenseurs. Le gouvernement du président Iván Duque doit à présent démontrer qu’il a la volonté politique d’enrayer l’épidémie d’assassinats et d’attaques visant des défenseurs, et de leur octroyer une vraie protection efficace contre la violence impitoyable qui sévit sur leurs territoires et dans les secteurs les plus touchés par le conflit. La première mesure à prendre afin de mettre en place une protection efficace est d’écouter les communautés elles-mêmes et de tirer les enseignements de ces consultations ; cela fait plus de 50 ans qu’elles opposent une résistance contre les conséquences dramatiques du conflit.

Les communautés doivent affronter seules la violence et leurs défenseurs sont stigmatisés, pendant que des groupes armés de toutes sortes se réorganisent et s’emparent de leurs territoires. Le président doit veiller à ce que les différents organes de l’État coopèrent et œuvrent ensemble pour la protection des populations en danger. Le gouvernement du président Iván Duque a la responsabilité de veiller à ce que les victimes de cette violence n’aient pas à endurer ces attaques persistantes pendant que les administrations régionales et nationales les renvoient d’un endroit à l’autre en leur demandant des papiers qu’ils ne possèdent pas ou qu’ils ont déjà présenté ailleurs. La reconnaissance de l’énorme travail que ces personnes accomplissent pour le pays doit se traduire par une politique publique, et le gouvernement doit faire tout ce qui est en son pouvoir pour lutter contre la stigmatisation, les manœuvres de diffamation et la criminalisation des défenseurs des droits humains.

Monsieur le Président, des milliers de vies sont entre vos mains : celles de personnes qui chaque jour travaillent pour la défense des droits de toutes celles et de tous ceux qui en Colombie qui ne peuvent compter sur personne d’autre.

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