Pourquoi le bilan de l’Inde en matière de droits humains devrait-il compter dans l’évaluation de sa candidature à un siège permanent au Conseil de sécurité de l’ONU ?

La possibilité que l’Inde rejoigne le Conseil de sécurité des Nations unies (CSNU) en tant que membre permanent a suscité de nombreux débats ces derniers temps. La plupart des membres permanents actuels ont quant à eux exprimé [3] publiquement [4] leur soutien à l’élargissement du CSNU.

L’Inde est loin de respecter ses obligations en matière de droits humains, au regard de sa législation nationale comme du droit international, et son désir de renforcer son rôle au sein des Nations unies est l’occasion d’évaluer son degré d’engagement en tant que membre d’autres organes politiques des Nations unies, notamment le Conseil des droits de l’homme des Nations unies (CDH).

Il est important d’examiner la manière dont l’Inde participe à l’architecture des droits humains dans son ensemble, par exemple ses rapports avec le Haut-Commissariat aux droits de l’homme (HCDH) et les organes de suivi des traités des Nations unies relatifs aux droits fondamentaux.
Cette analyse, présentée ci-après, montre que l’Inde n’a pas endossé, au sein du CDH, un rôle de chef de file, prêt à adopter des positions difficiles et fondées sur des principes en appliquant de manière cohérente les valeurs des droits humains ; elle ne s’est pas non plus impliquée de manière particulièrement constructive dans les mécanismes du Conseil. La participation de l’Inde au sein du système de défense des droits humains est largement perfectible au regard des défis qu’elle doit relever sur le terrain de ces droits au niveau national.

Qu’est-ce que le Conseil de sécurité des Nations unies ?

Le Conseil de sécurité des Nations unies est - théoriquement - l’organe politique le plus puissant de l’ONU, et a pour mandat de maintenir la paix et la sécurité internationales. Il compte 15 membres : cinq permanents et 10 élus. Les cinq membres permanents sont la Chine, les États-Unis, la France, le Royaume-Uni et la Russie. Les membres non permanents sont élus pour un mandat de deux ans. Le Conseil de sécurité peut mettre en place des opérations de maintien de la paix, imposer des sanctions ou des embargos sur les armes, diligenter des enquêtes relatives aux droits humains, autoriser le recours à la force, établir des tribunaux pénaux internationaux et saisir la Cour pénale internationale [5].

Quel est le bilan de l’Inde en relation avec d’autres mécanismes de protection des droits humains, et en quoi cela est-il important ?

Jusqu’à présent, l’Inde a été huit fois membre non permanent du Conseil de sécurité des Nations unies, son dernier mandat datant de 2021-2022. Elle vient de se porter candidate pour le mandat 2028-2029.

Au-delà d’une répartition géographique équitable, la Charte des Nations unies souligne [6] que la contribution du pays candidat au maintien de la paix et de la sécurité internationales est un critère important pour l’obtention du statut de membre. En 2021, Michelle Bachelet, alors Haut-Commissaire des Nations unies aux droits de l’homme, a déclaré [7] que « bien qu’il s’agisse de la responsabilité première du Conseil des droits de l’homme, la promotion et la protection des droits de l’homme constituent l’un des meilleurs moyens pour le Conseil de sécurité d’accomplir son mandat de maintien de la paix et de la sécurité internationales ».

En gardant cela à l’esprit, il est crucial de se pencher sur les contributions de l’Inde dans le système de protection des droits humains de l’ONU ces dernières années.

• L’Inde, le Conseil des droits de l’homme et ses mécanismes

L’Inde a été membre du CDH pendant 16 des 18 années d’existence du Conseil, la dernière fois de 2019 à 2024. La résolution 60/251 qui a créé le CDH dispose que les « membres élus du Conseil observeront les normes les plus strictes en matière de promotion et de défense des droits de l’homme, coopéreront pleinement avec le Conseil et seront soumis à la procédure d’examen périodique universel au cours de leur mandat ».

Dire que l’Inde a rempli ces critères est discutable. Elle a fait l’objet d’environ 25 déclarations d’experts des droits humains de l’ONU et du Haut-Commissariat aux droits de l’homme depuis 2019 - durant ses deux derniers mandats de membre -, qui ont fait état de préoccupations concernant ses problèmes nationaux sur le terrain des droits fondamentaux et de manquements à ses obligations internationales en matière de droits humains. En ce qui concerne la promotion et la protection des droits humains en tant que membre du Conseil, l’Inde joue actuellement un rôle de premier plan dans seulement deux des nombreuses questions thématiques abordées par le Conseil, et dans des résolutions qui ne sont spécifiques à aucun pays en particulier - ce qui témoigne d’un manque de leadership sur les questions cruciales en matière de droits humains.

• L’examen périodique universel

En ce qui concerne l’examen périodique universel (EPU) - un mécanisme qui permet d’examiner le bilan de chaque État en matière de droits humains et de formuler des recommandations pour l’améliorer - l’Inde n’a pas progressé dans la mise en œuvre de ces recommandations, ce qui témoigne d’un manque d’implication concrète et de bonne foi dans ce mécanisme.

Lors de son dernier EPU, au moins 21 pays ont demandé à l’Inde d’améliorer sa protection de la liberté de religion et des droits des minorités religieuses, plusieurs d’entre eux s’inquiétant de l’augmentation de la violence et des discours de haine, ainsi que de l’adoption par le gouvernement de politiques discriminatoires telles que les lois « anti-conversion » [8]. En outre, 19 pays ont déclaré que l’Inde devrait ratifier la Convention des Nations unies contre la torture, un traité qu’elle a signé en 1997 mais qu’elle n’a jamais ratifié. L’Inde a déclaré, lors des cycles d’EPU de 2012 et de 2017, qu’elle restait déterminée à ratifier le traité. Elle n’a cependant pas pris de mesures pour respecter son engagement, alors que la torture et d’autres mauvais traitements continuent d’être utilisés régulièrement [9] par la police et d’autres forces de sécurité pour recueillir des informations ou obtenir des « aveux ».

• Les procédures spéciales des Nations unies

Entre le 24 janvier 2011 et le 24 septembre 2024, le gouvernement indien a reçu plus de 200 communications envoyées par les procédures spéciales de l’ONU, un groupe d’experts indépendants créé par le Conseil des droits de l’homme, et chargé d’effectuer un suivi et de rendre compte de la situation des droits humains dans le monde. Le gouvernement indien a répondu à moins d’un tiers des communications qu’il a reçues.

Depuis l’arrivée au pouvoir du Parti du peuple indien (Bharatiya Janata Party) en 2014, l’Inde a facilité l’organisation de seulement deux visites d’un mandat de procédure spéciale des Nations unies dans le pays. Elle a actuellement 19 demandes [10] de visite en attente. Certaines sont sans réponse depuis 1999 (celle du rapporteur spécial sur la torture, par exemple).

• Les organes de suivi des traités de l’ONU relatifs aux droits humains

L’Inde n’est partie qu’à six des neuf principaux traités relatifs aux droits humains. L’Inde a ratifié le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) en 1979, et a fait l’objet de son quatrième examen périodique, un processus au cours duquel les États membres soumettent des rapports au Comité des droits de l’homme sur l’exercice des droits civils et politiques dans le pays, en 2024, après une longue période de 27 ans depuis son troisième examen en 1997. Le Comité des droits de l’homme a soulevé les mêmes préoccupations que celles exprimées par la société civile depuis des décennies, à savoir les manquements de l’Inde aux normes internationales en matière de droits humains, concernant :

• la discrimination et la violence fondées sur la religion, la caste et le genre
• les violences contre les femmes
• la traite des êtres humains et le travail en servitude
• les mesures antiterroristes excessives
• le recours à la peine de mort
• la torture et les autres formes de mauvais traitements
• le manque de protection des migrant·e·s et des demandeurs et demandeuses d’asile
• la surveillance illégale
• la réglementation des contenus et des données
• la répression de la liberté d’expression, d’association et de réunion pacifique
• la privation arbitraire de la citoyenneté
• les droits des peuples autochtones

L’Inde a ratifié le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (PIDESC) en 1976, et a fait l’objet de son dernier examen en 2008 [11], 18 ans après l’examen précédent. Dans ses observations finales, le Comité des droits économiques, sociaux et culturels a noté que l’Inde avait fourni des informations incomplètes et insuffisamment détaillées, et qu’elle n’avait pas répondu à certaines des questions qui lui avaient été posées, ce qui avait eu une incidence sur l’évaluation. Le Comité a souligné l’absence de mécanismes nationaux efficaces visant à véritablement mettre en œuvre le Pacte, et a fait part de ses préoccupations en ce qui concerne :

• les discriminations
• le faible niveau des salaires
• l’absence de protection sociale pour les personnes travaillant dans le secteur informel
• les chiffres élevés des violences domestiques à l’égard des femmes
• la traite des êtres humains
• les niveaux élevés de pauvreté
• l’absence de politique nationale en matière de logement, d’où un nombre élevé de personnes sans abri
• des signalements d’expulsions forcées
• l’accès limité aux services de santé de base, qui se traduit par des taux élevés de mortalité infantile et maternelle
• le manque d’accès à l’eau potable
• l’insuffisance de l’indemnisation des victimes de la tragédie de Bhopal, ou son absence
• le faible taux de scolarisation parmi les communautés marginalisées
• l’insuffisance des ressources financières allouées aux institutions de défense des droits humains

Le sixième rapport périodique est actuellement attendu depuis 13 ans. S’il reste encore à voir si les recommandations seront un jour mises en œuvre, le gouvernement actuel a commencé à réprimer les droits économiques, sociaux et culturels de la population, en représailles contre celles et ceux qui exercent leurs droits civils et politiques. Amnesty International a recueilli des informations sur l’utilisation par les autorités indiennes d’expulsions forcées et de démolitions punitives comme moyen d’infliger des sanctions extrajudiciaires à des minorités religieuses telles que les musulmans, qui osent protester contre les politiques majoritaires du gouvernement.

Enfin, la remise des rapports de l’Inde au titre de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes et de la Convention relative aux droits de l’enfant n’a que trop tardé.

• Dialogue avec le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme (HCDH)

L’Inde a également fait l’objet de deux rapports, en 2018 [12] et 2019 [13], du HCDH sur la situation des droits humains au Cachemire. Ces deux rapports appelaient les autorités indiennes à honorer les obligations qui sont les leurs en vertu du droit international relatif aux droits humains dans la région, à abroger ou à modifier les lois répressives telles que la Loi relative aux pouvoirs spéciaux des forces armées (Jammu-et-Cachemire) et la Loi relative à la sécurité publique du territoire pour Jammu-et-Cachemire, à mettre fin aux restrictions imposées aux journalistes et à enquêter sur toutes les interdictions ou restrictions générales.

Cependant, au lieu d’engager un dialogue constructif avec le HCDH, les autorités indiennes ont qualifié [14] ces rapports de « faux, avec une narration orientée » et ont accusé cet organe de défense des droits de humains de « légitimer le terrorisme ». Le 5 août 2019, le gouvernement indien a unilatéralement abrogé [15] les dispositions essentielles de l’article 370 de la Constitution indienne - qui garantissait à l’État de Jammu-et-Cachemire des pouvoirs étendus sur un large éventail de questions, à l’exception des affaires étrangères, de la défense et des communications - et a resserré son contrôle sur la région. Jammu-et-Cachemire a ensuite été privé de son statut d’État et divisé en deux territoires distincts de l’Union, gouvernés par le gouvernement central. Cette décision a été perçue comme un rejet brutal de décennies de protestations contre les violations des droits humains commises par l’État et les forces de sécurité dans le territoire de Jammu-et-Cachemire, et comme un geste agressif visant à priver les habitant·e·s de leurs libertés fondamentales.

• Représailles

L’Inde a systématiquement été incluse dans le rapport du Secrétaire général des Nations unies sur les représailles, qui présente des cas de représailles présumées - contre des individus et des organisations - après qu’ils ont coopéré avec les Nations unies dans le domaine des droits humains. Dans le rapport de 2020, le Secrétaire général a conclu que « des actes d’intimidation et des représailles persistants auraient dissuadé certains représentants de la société civile de coopérer avec les Nations unies par crainte de nouvelles représailles » dans le pays.

Pourquoi une participation crédible auprès du Conseil des droits de l’homme est-elle essentielle dans le contexte de la candidature de l’Inde au Conseil de sécurité ?

Les discussions sur la réforme du Conseil de sécurité des Nations unies ne peuvent faire abstraction de la performance et du comportement des candidats au sein d’autres organes des Nations unies, en particulier ceux qui s’attachent à protéger les droits humains. La qualité de membre de l’un des organes de l’ONU doit être utilisée pour mettre en lumière et défendre les droits humains, et non pour protéger les membres ou leurs alliés d’un examen minutieux de leur bilan en matière de droits humains.

Il est très clair que l’Inde ne respecte pas ses obligations nationales et internationales en matière de droits humains, ni ses engagements en tant que membre et dans le cadre de ses interactions avec différents organes et mécanismes de l’ONU. Il est possible que le débat sur la réforme du Conseil de sécurité dure un certain temps, mais si l’Inde souhaite sérieusement devenir un membre permanent potentiel du Conseil de sécurité des Nations unies, elle doit démontrer qu’elle peut s’impliquer de manière responsable au sein des entités des Nations unies chargées des droits humains, notamment le CDH. Elle doit se conformer aux critères d’adhésion au CDH de façon cohérente et dans le respect de principes. Elle doit s’engager à respecter les normes les plus élevées en matière de promotion et de protection des droits humains, et à coopérer pleinement avec les mécanismes des droits humains des Nations unies.

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