L’innu-aitun en danger Erika Guevara-Rosas et France-Isabelle Langlois

L'innu-aitun en danger

Dans le cadre de la Conférence des parties de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (COP27 [2]), Amnistie internationale publiait un rapport d’impact des changements climatiques sur les droits de la personne de huit communautés à travers le monde.

L’une de ces huit études de cas a été réalisée auprès de la communauté innue de Pessamit, au Québec [3]. Les résultats sont sans équivoque : le mode de vie et la culture innus sont en péril. À terme, dans très peu de temps, c’est tout le Québec et le Canada qui en paieront le prix. Cependant, le savoir-faire autochtone ancestral constitue un outil de premier plan dans la lutte contre les changements climatiques. Il faudrait peut-être écouter et apprendre.

La recherche réalisée par Amnistie internationale Canada francophone, en collaboration avec les Pessamiulnuat, s’attarde sur les violations des droits de la personne de la nation innue de Pessamit, qui résultent des effets combinés des changements climatiques et des industries de la foresterie, de l’hydroélectricité et de la villégiature, ainsi que des politiques colonialistes.

Nous étions sur le territoire de la nation innue récemment afin de comprendre ses luttes pour la protection de son environnement et de sa culture. Pour les Pessamiulnuat, la relation étroite avec la terre est une expression du mode de vie et de la spiritualité des Innus. Lorsque la terre est en danger, l’essence de leur identité, l’innu-aitun, est aussi en danger. L’érosion des côtes mine une partie du territoire, et elle menace aussi la pratique de certaines activités culturelles.

La Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones reconnaît que les peuples autochtones « ont subi des injustices historiques, à cause, entre autres, de la colonisation et de la dépossession de leurs terres, territoires et ressources ». Injustices qui se perpétueront tant et aussi longtemps que justice et réparation n’auront pas lieu. Et ce n’est qu’à ce titre qu’il pourra y avoir réconciliation. L’article 25 de la Déclaration stipule que « Les peuples autochtones ont le droit de conserver et de renforcer leurs liens spirituels particuliers avec les terres, territoires, eaux et zones maritimes côtières et autres ressources qu’ils possèdent ou occupent et utilisent traditionnellement, et d’assumer leurs responsabilités en la matière à l’égard des générations futures ».

En outre, dans son plus récent rapport, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) exprime clairement que ce sont les populations les plus vulnérables, dont les 476 millions d’autochtones à travers le monde, qui souffrent le plus des changements climatiques, en raison même de leur connexion entre identité culturelle et territoire.

Droits et climat sont liés

Pour les Pessamiulnuat, la relation étroite avec le territoire et ses animaux, notamment le caribou, est une expression du mode de vie et de la spiritualité innus. Lorsqu’elle est en péril, l’innu-aitum l’est aussi. Or, l’érosion côtière menace la pratique de certaines activités culturelles en même temps qu’elle entraîne la perte d’une partie du territoire.

L’intérêt porté par la nation innue de Pessamit aux changements climatiques remonte à une vingtaine d’années, en raison justement de l’érosion des berges. Un phénomène accentué par la hausse des températures, les hivers plus doux et la multiplication des périodes de gel et dégel. La glace plus mince diminue la protection du littoral contre les vagues et les tempêtes hivernales. L’érosion modifie les fonds marins, où se dépose un limon nuisant à la fraie des poissons. À cela s’ajoutent des étés de plus en plus chauds. La faune et la flore se modifient, les arbres jaunissent en plein été en raison du manque d’eau, brûlés par le soleil. Des constats inquiétants.

Cependant, le GIEC reconnaît que lorsque les droits territoriaux des peuples autochtones sont respectés, le climat, le territoire et sa biodiversité s’en portent mieux. Ce dont sont conscients les Pessamiulnuat. Le Conseil des Innus de Pessamit a donc mis sur pied une équipe chargée de surveiller les changements que subit le Nitassinan, le territoire ancestral revendiqué et non cédé, ainsi qu’un projet de restauration du saumon dans la rivière Betsiamites. La nation revendique également la création d’une aire protégée pour le caribou forestier et a établi des partenariats avec des universités pour comprendre l’érosion des berges, et trouver des solutions.

Cependant, malgré toutes ces démarches, au bout du compte, Pessamit n’a pas de pouvoir décisionnel sur les activités des industries forestière, hydroélectrique, minière et de villégiature, lesquelles non seulement ont un impact sur le territoire, mais de plus accentuent les changements climatiques.

Treize centrales hydroélectriques et 16 barrages d’Hydro-Québec ont été construits sur le Nitassinan de Pessamit, depuis les années 1950, sans consentement préalable, libre et éclairé, sans même une apparence de consultation. On ne peut pas refaire l’histoire et ce n’est pas ce que revendiquent les Pessamiulnuat, pas plus qu’ils ne revendiquent de vivre à l’âge de pierre. Mais le moins qu’on puisse faire, c’est de reconnaître que ça n’a pas été fait, et que cela a été hautement préjudiciable. On peut aussi faire les choses autrement aujourd’hui. Non pas « en consultant le plus possible », mais en s’assurant d’obtenir le consentement libre, préalable et éclairé de l’ensemble de la communauté.

Une relation de nation à nation

Cela vaut aussi pour toutes les industries, et c’est la responsabilité du gouvernement provincial de s’en assurer. La forêt boréale de l’hémisphère Nord, dont le Canada est le principal gardien, est essentielle à la lutte contre les changements climatiques en raison de son haut potentiel d’emmagasinage des émissions de carbone. Cependant, « chaque année, l’exploitation forestière industrielle au Canada coupe à blanc plus d’un million d’acres de forêt boréale, dont une grande partie de forêts primaires irremplaçables et particulièrement riches en carbone », selon Jennifer Skene, du Natural Resources Defense Council.

Et chaque fois que de nouvelles routes sont créées pour servir l’industrie forestière, des chasseurs et des touristes allochtones les accaparent. La villégiature sur le Nitassinan est un phénomène grandissant, une menace supplémentaire aux activités traditionnelles innues. Le gouvernement du Québec et les municipalités régionales de comté distribuent les permis tant pour l’exploitation forestière que le tourisme, sans égard pour les Innus.

Certes, le fédéral a consenti des efforts ces dernières années afin d’inclure la nation et sa vision dans la gestion du territoire. Cependant, du côté du provincial, la communauté se bute toujours à un refus obstiné : « On est consultés pour la forme. On propose de nouvelles façons de faire, mais on n’est pas écoutés. On n’est pas pris au sérieux », a déclaré Éric Kanapé, biologiste et conseiller en environnement. La cheffe Marielle Vachon ajoute : « On demande le respect de tous les ordres gouvernementaux, car on est ignorés. On n’est pas sur la carte du Canada. »

Enfin, nous ne pouvons passer sous silence l’impact qu’ont les politiques colonialistes depuis près de 150 ans. Et les façons de faire des gouvernements et des industries sont un corollaire de ce colonialisme bien ancré.

La Première Nation de Pessamit souhaite une relation de nation à nation avec les ordres de gouvernement pour pouvoir déterminer son propre développement sur son territoire, soit négocier jusqu’à l’obtention d’une entente qui convient aux deux parties. Dit autrement : donner à l’autre partie le pouvoir de dire non.

Enfin, rappelons que les Nations unies considèrent la dégradation de l’environnement et le développement non durable comme les plus grandes menaces pour le droit à la vie des générations futures.

Cette carte blanche a été publiée en ligne sur le magazine Le Devoir [4].

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