Justice au Mexique : « Je ne permettrai pas qu’une seule autre femme soit torturée au Mexique »

Par Mariano Machain, chargé d’action sur le Mexique à Amnesty International

J’ai souvent vu Claudia Medina pleurer.

Elle a pleuré lorsqu’elle m’a parlé des actes de torture, en particulier des abus sexuels, que des fusiliers marins mexicains lui ont fait subir en 2012. Elle a également pleuré lorsqu’elle a expliqué ce que cela fait d’être visée par des poursuites pénales, accusée d’appartenir à une bande criminelle, et de risquer une nouvelle arrestation à tout moment. Et puis une autre fois, lorsqu’elle m’a dit à quel point ses enfants souffraient.

Mais aujourd’hui a marqué la première fois que je l’ai vue pleurer de joie et de soulagement. Un juge vient d’abandonner les dernières charges retenues contre elle, car le seul élément de preuve produit - un rapport déposé par les fusiliers marins - est un tissu de mensonges.

Le juge a confirmé qu’après son arrestation, Claudia a été torturée et agressée sexuellement par des militaires qui voulaient la forcer à incriminer d’autres personnes et à s’accuser elle-même d’infractions en relation avec les stupéfiants. Les faits ont eu lieu le 7 août 2012 dans une caserne des fusiliers marins de l’État de Veracruz, dans l’est du pays.

« Pendant deux ans, j’ai vécu avec ces accusations portées contre moi, qui étaient liées aux actes de torture qu’ils m’avaient fait subir. Ce fut très dur. Au début, j’avais l’impression d’être face à un monstre, à quelque chose que je pensais être incapable de surmonter », a déclaré Claudia.

« Cela m’a touchée personnellement parce que tout le monde m’a tourné le dos. Je n’ai en outre pas pu être là à 100 % pour mes enfants. Cela a aussi eu des répercussions sur le plan financier. Je ne pouvais plus donner à mes enfants ce dont ils avaient l’habitude et ce dont ils avaient besoin. »

Vendredi 6 février, un juge l’a informée que la dernière charge retenue contre elle, pour détention illégale d’arme, avait été abandonnée.

« Je me sens beaucoup plus calme maintenant », a déclaré Claudia juste avant une conférence de presse organisée par Amnesty International à Mexico.

« Je vais pouvoir me déplacer beaucoup plus librement. Avant, je marchais dans la rue en pensant que j’allais être arrêtée et torturée comme avant. Mais plus maintenant. Je vais marcher la tête haute et dire "Je suis innocente et j’ai toujours dit la vérité". »

Mais le combat de Claudia en faveur de la justice est loin d’être terminé.

« La plainte que j’ai déposée pour torture est désormais devant le parquet fédéral. Il n’y a eu aucune avancée mais je vais persister. »

Le parquet fédéral affirme que Claudia doit activement reconfirmer qu’elle souhaite que l’enquête sur ses accusations de torture se poursuive. Cela est scandaleux. La torture est un crime extrêmement grave et les autorités ont l’obligation d’enquêter dans les meilleurs délais après un dépôt de plainte.

Cette attitude montre comment l’impunité se perpétue. Selon les chiffres officiels, le Mexique n’a obtenu à l’échelon fédéral que sept condamnations pour actes de torture depuis 1991 ; et ce, malgré le recours largement confirmé à la torture et à d’autres formes de mauvais traitements par les organes chargés du maintien de l’ordre et par les forces armées à travers le pays.

En septembre dernier, dans le cadre de sa campagne Stop Torture, Amnesty International a publié un rapport examinant la multiplication des cas de torture signalés au cours de la décennie écoulée et le nombre incroyablement bas d’enquêtes menées.

Ses conclusions sont confirmées par le rapporteur spécial des Nations unies sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, qui s’est récemment rendu au Mexique et a qualifié le recours à la torture de « généralisé ».

L’une des raisons de ce déni de justice est le manquement du parquet fédéral à son devoir consistant à diligenter des examens médicaux adéquats et impartiaux des victimes présumées dans les meilleurs délais, ainsi que l’exige le Protocole d’Istanbul, qui définit des lignes directrices pour les enquêtes sur les allégations de torture.

Ce fut le cas avec Claudia. Elle n’a pas eu d’autre choix que se tourner vers des experts médicolégaux indépendants travaillant pour une organisation non gouvernementale locale et pour la Commission nationale des droits humains. Les deux rapports qu’ils ont élaborés prouvent que les allégations de Claudia concordent avec ses séquelles physiques et psychologiques.

Il reste à voir si le parquet général estimera un jour recevables ces examens médicaux indépendants ou si ceux qui ont torturé Claudia seront traduits en justice.

Malgré toutes ces difficultés, Claudia voit l’avenir d’un œil optimiste.

« Après ce long processus, j’ai ressenti le besoin de militer en faveur des droits humains, pour montrer que je n’étais pas une criminelle, contrairement à l’image que les autorités avaient donnée de moi.

Je ne permettrai pas qu’une seule autre femme soit torturée au Mexique.  »

Joignez-vous à Claudia Medina et à des milliers de militants d’Amnesty International dans le monde entier afin d’exhorter le procureur général du Mexique, Jesús Murillo Karam, à mener dans les meilleurs délais une enquête exhaustive et indépendante sur la plainte pour torture qu’elle a déposée.

Envoyez-lui un courriel à l’adresse suivante : ofproc@pgr.gob.mx ou http://pgr.gob.mx/servicios/mail/plantilla.asp?mail=1
Ou utilisez son nom d’utilisateur sur Twitter : @PGR_mx

Complément d’information

En mai 2014, Amnesty International a lancé sa campagne mondiale Stop Torture, dont l’objectif est d’obtenir que chacun soit protégé contre la torture. Forte de plus de 50 années d’expérience, l’organisation demande instamment aux gouvernements de tenir leurs engagements et de respecter le droit international. Elle engage en outre les citoyens du monde entier à exiger l’arrêt de la torture.

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