Sri Lanka : Les exécutions ne sont jamais la solution Par Omar Waraich, directeur régional adjoint Asie du Sud à Amnesty International

Une exécution n’est pas une démonstration de force, mais un aveu de faiblesse. Elle représente l’incapacité à créer une société plus humaine, où la protection du droit à la vie l’emporte sur la tentation de la vengeance.

Gener Rondina se trouvait chez lui avec sa famille à Barangay Carreta, un quartier pauvre de la ville de Cebu aux Philippines, lorsque la police est venue le chercher au milieu de la nuit. Tremblant de peur, il les implora de lui laisser la vie sauve. «  Je me rends, monsieur », criait-il, mais les policiers sont restés de marbre. Il a levé les mains en l’air et s’est mis à genoux. Les policiers ont fait sortir ses proches de la pièce. Ensuite, des coups de feu ont retenti.

Gener Rondina compte parmi les milliers de Philippins assassinés dans le cadre de la « guerre contre la drogue » meurtrière du président Rodrigo Duterte. La police nationale des Philippines a reconnu avoir tué 4 000 d’entre eux. Lorsqu’elle ne procède pas à des arrestations et ne conduit pas les suspects devant un tribunal, mais les élimine sur place, la police assume les rôles de juge, de juré et de bourreau. Enfreignant les lois qu’elle est censée faire respecter, elle agit sur la base de preuves très fragiles pour cibler les dealers ou les consommateurs présumés, majoritairement dans les quartiers les plus pauvres du pays.

Dans un rapport publié en 2017, Amnesty International a révélé que des responsables politiques locaux ont dressé de manière arbitraire des « listes de cibles ». Dans certains cas au moins, la police a recruté des tueurs à gages pour faire le « sale boulot » à sa place, offrant des primes par tête. Dans ses propres opérations, la police a déposé des preuves au domicile de ses cibles, falsifié les rapports d’incidents en affirmant qu’il y avait eu une fusillade et volé des biens dans les maisons concernées. Jusque dans la mort, les victimes sont privées de leur dignité. Leurs corps ont été traînés au sol et jetés dans la rue.

«  Je me rends, monsieur », criait-il, mais les policiers sont restés de marbre. Il a levé les mains en l’air et s’est mis à genoux. Les policiers ont fait sortir ses proches de la pièce. Ensuite, des coups de feu ont retenti.

Lorsque le porte-parole du président Maithripala Srisena a déclaré que le Sri Lanka allait tenter de « rééditer le succès » des Philippines, est-ce cela qu’il avait en tête ? Souhaite-t-il voir les quartiers les plus pauvres du Sri Lanka devenir des lieux où les habitants se réveillent chaque matin pour trouver des cadavres jonchant les rues dans des flaques de sang ? Où, au nom de la protection de la jeune génération, des dizaines d’enfants, parfois âgés de seulement quatre ou cinq ans, sont victimes de cette violence ? Veut-il que les forces de sécurité soient réduites à une entreprise criminelle qui parraine des tueurs privés, que l’état de droit perde tout son sens et qu’une simple accusation soit synonyme de vie ou de mort ?

Les Philippines, au cas où certains responsables gouvernementaux l’auraient oublié, font actuellement l’objet d’un examen préliminaire du bureau de la procureure de la Cour pénale internationale. La vague d’exécutions extrajudiciaires, que les organisations de défense des droits humains qualifient de généralisée et systématique, pourrait déboucher sur une invitation à la Haye pour crimes contre l’humanité. C’est une politique si extrême que le chef des droits de l’homme de l’ONU a recommandé au président Duterte de se soumettre à un « examen psychiatrique ». Dans une lettre susceptible d’intéresser au moins un éminent Sri Lankais, la Conférence des évêques catholiques des Philippines a dénoncé l’an dernier les meurtres qui sont synonymes de « règne de la terreur dans de nombreux quartiers pauvres  ».

Tandis que le gouvernement menace de déployer des troupes pour mener à bien la « guerre contre la drogue » au Sri Lanka, il cherche à réactiver la peine de mort.

Exécuter des personnes reconnues coupables d’infractions liées à la législation sur les stupéfiants constitue une violation des obligations juridiques incombant au Sri Lanka en vertu du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), qui restreint l’application de la peine de mort – dans les pays qui ne l’ont pas encore abolie – aux « crimes les plus graves » ou aux homicides volontaires. En outre, une telle mesure marquerait une rupture avec une pratique de longue date au Sri Lanka. La peine de mort, certains l’auront noté, a été écartée pendant de longues périodes de l’histoire pré-coloniale de cette nation insulaire. Il y a 90 ans, l’Assemblée législative de Ceylan adoptait une résolution abolissant la peine de mort, mesure contrecarrée par les autorités coloniales britanniques, qui avaient insisté pour la maintenir.

Il y a plus de 40 ans, le Sri Lanka a tourné le dos à l’application de ce châtiment cruel, inhumain et dégradant, devenant ainsi un précurseur en Asie du Sud. L’Afghanistan, le Bangladesh, l’Inde et le Pakistan appartiennent à une minorité décroissante de pays qui persistent dans cette pratique. En 2017, quatre pays étaient responsables de 84 % des exécutions enregistrées dans le monde. En revanche, en 2016, 117 pays – dont le Sri Lanka – ont voté en faveur d’un appel de l’Assemblée générale des Nations unies à instaurer un moratoire sur les exécutions en vue de l’abolition de la peine de mort.

Les exécutions ne sont jamais la solution. Comme l’ont démontré les criminologues dans de nombreuses études, la peine de mort n’a pas d’effet dissuasif particulier.

Hong Kong, par exemple, a cessé de procéder à des exécutions il y a plus de 50 ans. Singapour, une ville de taille analogue, applique toujours la peine de mort. Malgré ces approches différentes, le taux d’homicides dans les deux villes est resté remarquablement similaire au fil des décennies, l’effet dissuasif attendu par le gouvernement de Singapour ne se produisant pas.

Lorsqu’il s’agit d’exécuter des personnes pour des infractions liées à la législation sur les stupéfiants, peu de pays peuvent rivaliser avec l’Iran. Il a mis à mort des milliers de personnes après les avoir condamnées pour trafic de stupéfiants à l’issue de procès manifestement iniques. Pourtant, le trafic et la distribution de stupéfiants demeurent un fléau. « En vérité, l’exécution des trafiquants n’a eu aucun effet dissuasif », a concédé Mohammad Baqer Olfat, responsable adjoint du pouvoir judiciaire pour les Affaires sociales, en 2016. Ces derniers mois, l’Iran a assoupli sa législation sur les stupéfiants et, il y a quelques semaines seulement, les autorités ont annoncé que, par conséquent, des centaines de condamnations à mort pour certaines infractions liées à la drogue ont été commuées.

La peine de mort est irréversible : pas de retour en arrière possible en cas d’erreur judiciaire. La sanction a un caractère absolu. Les erreurs sont irrémédiables. Des « aveux » forcés, la partialité d’un juge, l’absence de recueil de preuves ou les carences de la défense peuvent conduire un innocent à payer le prix ultime.

C’est aussi un châtiment qui affecte de manière disproportionnée les personnes vivant dans la pauvreté. « Cela en fait une forme de discrimination fondée sur la classe sociale dans la plupart des pays », ont averti des experts de l’ONU l’an dernier.
Enfin, mais surtout, la peine de mort est immorale. Si nous accordons à la vie humaine la plus haute valeur, l’ôter est alors l’acte le plus vil. Cela ne fait aucun doute lorsqu’une personne commet un meurtre. Serait-ce différent lorsque l’État commet cet acte, infligeant la même souffrance et la même perte ? Une exécution n’est pas une démonstration de force, mais un aveu de faiblesse. Elle représente l’incapacité à créer une société plus humaine, où la protection du droit à la vie l’emporte sur la tentation de la vengeance.

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