Le courage de ceux qui osent s’exprimer depuis l’île de Manus restera gravé dans l’histoire Par Charmain Mohamed, responsable des droits des réfugiés et des migrants à Amnesty International

Depuis 2013, l’Australie envoie les réfugiés qui tentent de gagner ses côtes par bateau sur l’île de Manus, en Papouasie-Nouvelle-Guinée, dans des centres de « traitement ». Sur cette île perdue, des milliers de personnes endurent des années de détention et d’atteintes aux droits humains en attendant que leurs demandes d’asile soient examinées.

Le gouvernement australien va très loin pour cacher l’ampleur des souffrances qu’il a causées sur l’île de Manus. Entre 2015 et 2017, des lois strictes règlementaient le secret, destinées à empêcher les employés de parler des conditions dans les centres de détention. Les détails sur les prestataires de services et la manière dont sont évaluées les demandes des réfugiés sont soigneusement tus. Très peu d’informations sont disponibles quant à la manière dont le statut de réfugié est accordé ou refusé.

Malgré cette atmosphère de secret, de nombreux récits sur la vie sur l’île de Manus nous parviennent. Ceci grâce au courage remarquable des hommes qui y sont détenus, parmi eux des artistes, des écrivains, des dessinateurs humoristiques, des conteurs et des musiciens de talent. Malgré les traumatismes et les traitements indignes qui sont leur quotidien, ils sont déterminés à révéler la vérité sur la politique de l’Australie vis-à-vis de leur communauté de réfugiés et de demandeurs d’asile. Leur action est essentielle. Sans preuves à l’appui, pas de possibilité de demander des comptes : on se souviendra de ces hommes qui se sont mobilisés pour la vérité.

Certains parmi ceux qui relatent la vie sur l’île de Manus sont reconnus au niveau international, suivis sur Twitter et dans les colonnes des journaux. Behrouz Boochani, journaliste kurdo-iranien retenu sur l’île depuis 2013, a coréalisé un film et publié un livre retraçant son expérience.

Abdul Aziz Muhamat, originaire du Soudan, a soigneusement raconté la vie sur l’île de Manus dans un podcast compilant des milliers d’enregistrements WhatsApp et a été nominé récemment pour le prestigieux prix Martin Ennals pour les droits de l’homme.

En 2017, Aziz a été brièvement emprisonné et détenu sans inculpation pour avoir pris part à une grève de la faim – à l’évidence une manœuvre visant à le faire taire.

D’autres, s’ils sont moins connus, n’en sont pas moins courageux. Depuis que nous avons commencé à répertorier les atteintes aux droits humains commises sur l’île de Manus, nombreux sont ceux qui ont donné de leur temps pour raconter ce qui leur arrive. Ils ont partagé leur histoire, difficile, revivant des moments très douloureux et ont pris la parole pour d’autres, encore plus vulnérables ou isolés.

L’Australie aimerait bien nous faire oublier ces récits. En 2017, le gouvernement a préféré verser 70 millions de dollars (environ 45 millions d’euros) à titre d’indemnisation, plutôt que de laisser un tribunal entendre les récits épouvantables de la vie sur l’île, dans le cadre d’une affaire portant sur les abus et la négligence médicale. Pourtant, grâce aux hommes qui osent s’exprimer, des organisations de défense des droits humains comme Amnesty International sont en mesure de reconstituer le puzzle de ces atteintes.

Il y a peu, le gouvernement a pris une mesure fâcheuse en réduisant drastiquement les soins de santé proposés aux hommes présents sur l’île de Manus. Dans un nouveau rapport, Amnesty International et le Conseil des réfugiés d’Australie (RCOA) soulignent que les services de prise en charge ont été supprimés au cours de l’année écoulée, malgré le nombre important de cas de troubles mentaux parmi les hommes que l’Australie envoie sur Manus.

Benham, Kurde iranien, fut le principal témoin du meurtre de son ami par des habitants en février 2014. Depuis, il est la cible de harcèlement et est menacé de mort. Tout au long de ce calvaire, Benham s’est régulièrement exprimé dans les médias au nom des réfugiés et sert également d’interprète. Pourtant, le retrait des services de prise en charge représente un nouveau défi pour lui. Il a déclaré que le conseiller qui le suivait était « la seule personne qui [me] traitait comme un être humain », ajoutant que, pour beaucoup, les conditions se sont détériorées depuis la suppression de ces services.

Pour certains hommes bloqués sur Manus, raconter leur histoire est une parenthèse bienvenue dans l’ennui et la frustration de la détention prolongée qui les engloutit. Samad Abdul, écrivain originaire du Pakistan, explique dans un blog sur le site Writing Through Fences qu’écrire un journal est sa bouée de sauvetage.

« Dans cette situation éprouvante, où j’étais séparé de ma joie et de mes rêves, mon journal a fini par devenir mon meilleur ami, écrit Samad.

« C’était le seul ami avec qui je pouvais partager ma douleur. »

En novembre 2017, des policiers de Papouasie-Nouvelle-Guinée, armés de bâtons et de couteaux, ont transféré de force toutes les personnes présentes au centre de détention de l’île de Manus vers de nouveaux sites. Lorsque les gardiens sont entrés dans la chambre de Samad, ils ont détruit ses vêtements, ses livres et son journal.

«  J’ai pleuré et les ai suppliés de ne pas détruire mon journal », se souvient Samad.

Samad a perdu davantage que le récit de sa seule expérience. Ceux qui gardent trace de ce qui se passe à Manus permettent que ce chapitre honteux de l’histoire de l’Australie ne tombe pas aux oubliettes. Les Australiens ont le droit de savoir ce qui est fait en leur nom.

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