" Le gouvernement considère le Nicaragua comme sa propriété, et nous comme des animaux " Par Josefina Salomón, d’Amnesty International, au Mexique

Quand Francisca Ramirez a vu passer devant chez elle, à Nueva Guinea (petit village situé à 400 kilomètres à l’est de Managua) un groupe d’hommes d’affaires chinois escortés par des policiers et équipés d’instruments de mesure, elle a immédiatement su qu’il y avait un gros problème.

Quelques mois auparavant, le président nicaraguayen Daniel Ortega avait annoncé le lancement d’un projet grandiose qui selon lui devait sortir le pays de la pauvreté. Le grand canal interocéanique du Nicaragua est l’un des projets d’infrastructure les plus ambitieux jamais imaginés. Long de 275 kilomètres, il reliera les océans Pacifique et Atlantique et scindera en deux le pays.
 
Francisca et ses voisins ont compris ce qui se passait quand ils ont entendu le président parler de ce projet à la télévision. Elle dit que personne ne leur a demandé leur avis, ce qui est surprenant dans la mesure où ils vont être chassés de chez eux à cause de ce chantier.
 
« Qu’est-ce que vous faites ? » Francisca se rappelle avoir posé aux hommes cette question.
 
Et elle dit qu’ils lui ont répondu : « Ces terres ne vous appartiennent plus ».
 
C’est ainsi qu’un sombre chapitre s’est ouvert pour cette communauté.
 
Le président Ortega a vendu ce projet en assurant qu’il s’agissait d’un moyen sûr de sortir le pays de la pauvreté. Le Nicaragua est l’un des pays les plus pauvres d’Amérique centrale. Près de 30 % de sa population vit avec moins de deux dollars par jour.
 
Il a promis que le canal allait créer des milliers d’emplois et attirer des capitaux étrangers ; l’entreprise basée à Hong Kong HK-Nicaragua Canal Development Investment Co. Limited est déjà prête à apporter une grande partie des 50 milliards de dollars nécessaires pour la réalisation des travaux.
 
Mais quand on y regarde de plus près, on se rend compte que ces brillantes promesses risquent de rapidement céder la place à une réalité beaucoup plus sinistre.
 
La construction du canal a été approuvée par la Loi 840, adoptée par le Congrès du Nicaragua le 13 juin 2013. Cette loi autorise également d’autres projets connexes tels que la construction d’un aéroport, de deux ports, d’un oléoduc, d’une voie ferrée et de deux zones de libre-échange.
 
Cependant, comme le souligne un récent rapport d’Amnesty International, la nouvelle loi, adoptée malgré l’absence de consultation des populations locales, permet le lancement de toutes sortes de projets sans qu’il soit nécessaire de demander l’avis des personnes vivant dans les secteurs concernés.
 
Concrètement, du fait de cette loi, quelque 120 000 personnes risquent de tout perdre : leurs terres, leur logement et leurs moyens de subsistance. La population au Nicaragua avoisine les six millions de personnes.
 
Les répercussions de ce projet en ce qui concerne l’environnement pourraient également être désastreuses, car de vastes étendues de terres fertiles et une grande partie du Grand Lac Nicaragua, la plus grande source d’eau potable d’Amérique centrale, risquent d’être dégradées de manière irréversible.
 
«  Nous prendre nos terres, c’est comme nous tuer  »

Francisca n’avait jamais pensé qu’elle deviendrait une militante des droits humains. Elle est née dans une famille de paysans, et a passé sa vie à travailler la terre et à vendre ses produits sur les marchés.
 
Mais elle vit à présent dans la peur de perdre la maison qu’elle a bâtie pour ses quatre enfants et la parcelle de terre qui lui permet d’assurer sa subsistance.
 
« Je travaille la terre depuis que j’ai 12 ans, je ne sais rien faire d’autre », a expliqué Francisca avec passion lors de notre entretien à Managua.
 
La localité où vit Francisca, La Fonseca, se situe dans l’une des régions les plus fertiles du Nicaragua. Près de 2 000 personnes y vivent, et la moitié d’entre elles environ sont des enfants. Elles produisent des haricots, du malanga (une espèce de patate douce), du maïs, du blé et du fromage.
 
« Depuis que nous avons découvert qu’ils veulent construire un canal, la vie est devenue insupportable. Nos vies dépendent de nos terres. Nous prendre nos terres, c’est comme nous tuer  », a déclaré Francisca.
 
Alors elle a décidé de se battre. Francisca consacre à présent toutes ses journées à lutter contre les intérêts économiques et politiques les plus puissants de son pays. Elle n’a pas l’intention de perdre tout ce qu’elle a passé sa vie à construire. 
 
« Nous n’étions qu’un petit groupe quand nous avons commencé à discuter entre nous et à nous organiser. Nous avons d’abord manifesté dans la rue pour dénoncer le fait qu’ils ne respectent pas nos droits, qu’ils ne nous consultent pas. La seule chose qu’ils nous disent, c’est que nous allons être expulsés », a déclaré Francisca.
 
Mais les autorités ne voient pas d’un bon œil la campagne menée par Francisca, et considèrent que cette femme et sa communauté représentent une menace.
 
Les dirigeants communautaires et les défenseurs des droits humains tels que Francisca qui expriment haut et fort leur opposition à ce projet de canal ont été menacés et harcelés.
 
Ceux qui ont osé participer à l’une des manifestations – il y en a eu plus de 90 – organisées dans tout le Nicaragua ont été violemment réprimés.
 
Francisca a elle-même été agressée plusieurs fois.Elle a en outre été arrêtée en 2015, et une autre fois un an après. Elle a été menacée et harcelée de si nombreuses fois qu’elle en a perdu le compte.
 
« Depuis 2013, l’année de l’adoption de cette loi, nous avons été persécutés, attaqués, et nos droits ont été violés. C’est une très triste histoire. Nous demandons justice depuis quatre ans, et depuis quatre ans personne ne nous écoute », a expliqué Francisca.
 
« Un projet qui viole les droits des gens et qui ne tient pas compte de ce que pense la population ne peut pas être mis en œuvre. Quel sera notre avenir s’ils ne tiennent pas compte de nos vies ? Le gouvernement joue avec nos vies.
 
« Le gouvernement ne nous a pas présenté d’alternative. Nous avons fait tout ce que nous pouvions pour qu’ils nous écoutent, mais rien n’y a fait. Ce gouvernement est sourd et aveugle, il ne veut rien savoir de notre réalité. »
 
C’est un combat très difficile. « Comment faites-vous ? », lui ai-je demandé.
 
« Je ne baisse pas les bras, car renoncer au combat c’est commencer à mourir  », a répondu Francisca alors qu’elle décrochait le téléphone pour un appel venant de chez elle. Son téléphone sonne sans arrêt.
 
Cet article a initialement été publié sur le site du Huffington Post.
 

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