La législation sur le confinement est une nouveauté, mais le critère utilisé pour le maintien de l’ordre demeure la couleur de peau par Marco Perolini, d’Amnesty International

Coronavirus confinement

Les statistiques officielles sur les interpellations et les fouilles menées pendant la période de confinement en Europe sont pour beaucoup alarmantes. Ne serait-ce qu’en France, la police a contrôlé plus de 20 millions de personnes, soit une personne sur trois, et en a verbalisé plus d’un million. Si l’on y regarde de plus près, l’on remarque que le contrôle du respect des mesures de confinement a été marqué par d’inquiétantes pratiques discriminatoires.

Nous savons qu’en France, les minorités ethniques ont été plus contrôlées que le reste de la population, uniquement parce que la police avait tendance à se focaliser davantage sur les zones les plus défavorisées. C’est dans ces secteurs que l’on trouve la plus forte proportion de personnes appartenant à des minorités. Dans le département le plus pauvre de France métropolitaine, la Seine-Saint-Denis, où la majorité des habitant·e·s sont noir·e·s ou d’origine nord-africaine, le nombre de contraventions pour infraction au confinement a été trois fois plus élevé que dans le reste du pays, alors que les mesures de confinement y ont été autant respectées qu’ailleurs en France, d’après les autorités.

Comme nous le montrons dans le rapport qui sera publié la semaine prochaine, en Europe, les autorités ont adopté des mesures restrictives en réaction à la pandémie de COVID-19. Nombre de ces mesures ont de façon légitime visé à endiguer la propagation de la maladie. Mais en renforçant les pouvoirs de la police et en basant sur une approche punitive le contrôle du respect de ces mesures, les autorités ont fait un choix dangereux.

« L’application coercitive des mesures de confinement liées au COVID-19 en Europe a renforcé les préoccupations déjà existantes relatives aux droits humains, et ce sont les minorités ethniques et les autres groupes marginalisés, y compris les personnes sans abri, qui ont fait les frais de cette politique »

Les manifestations qui ont eu lieu à travers l’Europe en solidarité avec les personnes qui aux États-Unis sont outragées face au recours excessif à la force par la police contre les personnes noires, rappellent très à propos qu’en Europe également, le maintien de l’ordre reste de façon généralisée entaché par des préjugés racistes. Le profilage ethnique, le recours illégal à la force auxquels se livrent les forces de l’ordre, l’impunité des policiers et policières qui commettent des abus, ainsi que les morts en détention figurent au nombre des dysfonctionnements systémiques des organes chargés de l’application des lois en Europe.

Par exemple, il a été signalé qu’en Angleterre et au Pays de Galles, depuis 1990, 184 personnes issues de minorités ethniques sont mortes en détention ou à la suite de contacts avec la police [1]. En Allemagne, depuis 1990, au moins 159 personnes appartenant à des minorités ethniques sont mortes en garde à vue [2].

L’application coercitive des mesures de confinement liées au COVID-19 en Europe a renforcé les préoccupations déjà existantes relatives aux droits humains, et ce sont les minorités ethniques et les autres groupes marginalisés, y compris les personnes sans abri, qui ont fait les frais de cette politique. Ces personnes ont non seulement été maltraitées par la police, mais aussi soumises à des expulsions forcées et à des mises en quarantaine discriminatoires.

Dans les quartiers défavorisés des grandes villes européennes, de jeunes gens issus de minorités ethniques ont souvent fait d’objet de contrôles opérés de façon discriminatoire. Selon la police métropolitaine de Londres [3], le profilage ethnique a empiré à Londres pendant le confinement, avec une augmentation de près d’un tiers entre mars et avril 2020 du nombre de personnes noires contrôlées.

Le profilage ethnique fait obstacle à la confiance en la police, et cela explique peut-être pourquoi, le 14 avril, Adil, un jeune homme d’origine nord-africaine, s’est enfui pour échapper à un contrôle d’identité par la police à Anderlecht (près de Bruxelles). La police avait infligé des amendes de 250 euros à des jeunes qui n’avaient pas respecté les mesures de confinement. Même avant la mise en place du confinement en Belgique, les personnes d’origine nord-africaine étaient généralement interpellées et contrôlées deux fois plus souvent que les personnes blanches, dans le pays.

Adil a tragiquement perdu la vie quand son scooter est entré en collision avec une des trois voitures de police qui l’avaient pris en chasse. Une enquête a été ouverte pour déterminer les circonstances de la mort d’Adil, mais cette affaire a soulevé la question de savoir si le fait de prendre en chasse un jeune homme n’ayant commis aucune infraction constitue une réaction proportionnée face à une violation présumée des mesures de confinement.

La mise en quarantaine forcée de camps de Roms ou de camps de personnes migrantes a également mis en évidence les stéréotypes raciaux et la discrimination qui persistent partout en Europe. Au lieu de protéger ces communautés marginalisées face à la pandémie de COVID-19 et de leur apporter un soutien pour qu’elles respectent volontairement les mesures de santé publique, les autorités les ont davantage encore isolées et pénalisées. La police, et dans certains cas l’armée, ont encerclé des camps et des zones d’installation pour faire respecter la mise en quarantaine. Ces mesures montrent à quel point ces personnes marginalisées, qui sont déjà en butte à l’exclusion et à la discrimination, sont traitées de façon méprisante, comme si leur vie importait peu pour ceux qui sont au pouvoir.

La protection de la santé publique peut justifier certaines restrictions des droits humains, quand elles sont nécessaires et proportionnées. Cependant, la façon dont de nombreux gouvernements européens ont utilisé les forces de sécurité pour faire respecter ces restrictions ne pouvait que mener droit à la catastrophe, et des groupes marginalisés ont dans ces conditions souvent été affectés ou pris pour cibles de manière disproportionnée.

La relation entre le renforcement des pouvoirs de la police et des violations des droits humains n’est pas une nouveauté. Par exemple, les pouvoirs élargis confiés à la police pendant l’état d’urgence en France entre 2015 et 2017 ont conduit à des milliers de perquisitions domiciliaires opérées de façon abusive par la police, qui ont principalement visé des personnes musulmanes en raison de leur religion et sans que rien n’indique qu’elles représentaient une menace pour la sécurité nationale.

L’approche coercitive que de nombreux États européens ont choisie pour faire face à la pandémie de COVID-19 a engendré une augmentation des cas de recours illégal à la force par la police, de profilage ethnique et de mise en quarantaine discriminatoire Cette politique a, une fois de plus, eu de graves répercussions sur les groupes marginalisés. Dans cette réalité dystopique du confinement, la police a même verbalisé des personnes sans abri parce qu’elles... n’étaient pas restées chez elle.

Les manifestations organisées au nom du mouvement Black Lives Matter qui ont eu lieu à travers le monde nous ont tous et toutes forcé·e·s à réfléchir à des pratiques de maintien de l’ordre qui ne seraient pas racistes ni coercitives. On ne peut pas espérer des résultats différents si l’on emploie constamment les mêmes méthodes. La pandémie de COVID-19 nous a montré que la santé publique ne peut pas être protégée en sacrifiant les droits humains. Les gouvernements européens devront la prochaine fois y réfléchir à deux fois avant de confier à la police la mise en œuvre des mesures liées à la santé publique.

Cet article a initialement été publié par Newsweek [4].

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