Comme James refusait de le suivre, une camionnette est arrivée avec 12 policiers à bord et il a été arrêté et emmené par la force au poste de police. Le lendemain, il a été inculpé de sédition, parce qu’il s’était exprimé sur la nécessité du respect des droits humains et de la réconciliation après la fin de la première guerre civile du Liberia, en 1997. Libéré sous caution par la suite, il a fui le pays en mars 2000, après avoir reçu des menaces.
« Amnesty International a sauvé mon avenir », déclare James, décrivant avec enthousiasme le soutien que l’organisation lui a apporté pour l’aider à fuir et le mettre en relation avec des programmes d’assistance. « Sans Amnesty International, je serais mort. »
Aujourd’hui, James est commissaire à la Commission nationale indépendante des droits humains du Liberia, preuve que 14 ans après la fin de la deuxième guerre civile en 2003, le Liberia prend des mesures positives. Les troisièmes élections présidentielle et législatives démocratiques du pays auront lieu la semaine prochaine. « Il y a plus de stabilité, maintenant », dit un militant. Un autre explique : « On peut parler plus librement désormais, sans craindre d’être arrêté ».
Cependant, des problèmes persistent. Bien qu’il y ait davantage d’espace pour la liberté d’expression, des journalistes font toujours l’objet de menaces, en raison de la législation stricte du Libéria, qui fait de la diffamation une infraction. Il y a quatre ans, Rodney Sieh, rédacteur en chef du journal indépendant Front Page Africa, a été emprisonné pendant trois mois pour avoir rendu compte de la corruption au Liberia. Il n’a pas été en mesure de payer l’amende de près de 1,6 million de dollars des États-Unis à laquelle il a été condamné à titre de dommages-intérêts pour diffamation dans une affaire intentée par un ancien ministre de l’Agriculture du Libéria, Chris Toe.
Un texte de loi visant à dépénaliser les délits de presse a été présenté à la Chambre des représentants en septembre 2017 mais n’a pas été soumis au vote. De nombreux militants, en particulier ceux du Syndicat de la presse du Liberia, espèrent que le nouveau gouvernement adoptera cette loi et donnera le coup d’envoi d’une nouvelle ère pour la liberté d’expression.
Rodney compare le temps qu’il a passé en prison à « trois mois en enfer ». Des témoignages alarmants sur la vie carcérale au Liberia continuent à affluer. En juin, une détenue est tombée enceinte à la prison centrale de Tubmanburg après avoir contrainte à des relations sexuelles par un prisonnier. Des agents pénitentiaires avaient facilité sciemment l’accès du prisonnier à la détenue. Par la suite, des gardiens sont venus la chercher et elle a a été soumise à un avortement forcé. À l’issue d’une enquête menée par la Commission nationale indépendante des droits humains et par l’administration pénitentiaire, plusieurs agents ont été renvoyés.
Dans l’ensemble du Liberia, les conditions carcérales restent déplorables et les détenus vivent dans des cellules surpeuplées, sombres et sales, sans bénéficier d’une alimentation ni de soins de santé adéquats.
La plupart des détenus n’ont pas été condamnés et peuvent passer des années en détention provisoire, faute d’accès aux services d’un avocat et en raison de la longueur des délais de traitement au sein du système judiciaire.
La lenteur du système judiciaire aggrave les autres problèmes très répandus en matière de droits humains, notamment les taux extrêmement élevés de violences sexuelles et fondées sur le genre. Au premier semestre 2016, le viol était le deuxième crime le plus fréquemment signalé au Libéria, en particulier contre des mineurs.
Le gouvernement, l’ONU et des donateurs ont investi dans la création de services de lutte contre les violences sexuelles et fondées sur le genre au sein de la police et des ministères, ainsi que d’un tribunal spécialisé chargé de traiter ces infractions dans le comté de Montserrado, dans le nord-ouest du pays. Des centres à guichet unique, proposant des services médicaux et de soutien aux victimes, ont été créés dans sept des 15 comtés ; de plus, un nouveau texte de loi sur la violence domestique a récemment été adopté par le corps législatif et attend la signature du président.
Cependant, les auteurs de viol restent largement impunis ; ainsi, seulement 2 % des cas de viol et de violences sexuelles et fondées sur le genre signalés en 2015 ont abouti à une condamnation devant les tribunaux. Parmi les défis à relever pour amener les auteurs d’infractions liées à la violence sexuelle et fondée sur le genre à rendre des comptes, on peut citer l’absence d’établissement opérationnel d’expertise médico-légale ou d’analyse ADN dans le pays, le fait qu’il n’existe que deux foyers sûrs pour les victimes, les difficultés d’accès aux centres à guichet unique pour les personnes qui se trouvent en dehors du comté de Montserrado, ainsi que la longueur et le coût des procédures judiciaires.
La situation est aggravée par la corruption, ainsi que par les attitudes culturelles et patriarcales à l’égard du signalement de ces crimes. Avec le départ de la Mission des Nations unies au Liberia (MINUL) en mars 2018 et l’arrivée prochaine d’un nouveau gouvernement, les militantes des droits des femmes craignent que la lutte contre les violences sexuelles et fondées sur le genre ne perde son caractère prioritaire.
« Il risque d’être plus complexe de s’attaquer à ces problèmes lorsque la MINUL partira et qu’il y aura moins d’intérêt de la part des donateurs », souligne Roberta*, militante des droits des femmes. « Il est particulièrement difficile de faire respecter l’obligation de rendre des comptes pour les actes de violence sexuelle et fondée sur le genre lorsqu’une personne influente est impliquée. »
Le nombre élevé de viols au Liberia est inextricablement lié aux 14 années de guerre civile, au cours desquelles 60 à 77% des femmes et des filles ont été violées, selon l’Organisation mondiale de la santé.
Cependant, les personnes soupçonnées de responsabilité pénale dans les crimes de guerre commis au Libéria, y compris les auteurs présumés de violences sexuelles en temps de guerre, n’ont pas été soumises à l’obligation de rendre des comptes.
Quelques affaires ont été examinées en dehors du Libéria, comme celle de Mohammed Jabbateh, actuellement jugé aux États-Unis pour parjure et fraude en matière d’immigration en raison de son rôle dans des crimes de guerre présumés. De nombreux militants appellent toujours de leurs vœux un tribunal internationalisé chargé de traiter les crimes de guerre, semblable à celui de la Sierra Leone voisine, afin d’affronter le douloureux passé du Liberia – comme l’a recommandé la Commission vérité et réconciliation en 2009.
Comme on pouvait s’y attendre, la volonté politique pour mettre fin au fléau de l’impunité fait défaut, car de nombreuses personnalités politiques de premier plan ont elles-mêmes été impliquées dans les guerres civiles. Ainsi, la Commission vérité et réconciliation a même fait figurer la présidente Johnson-Sirleaf sur la liste des personnalités qu’elle recommande d’interdire d’exercice de fonctions politiques pendant 30 ans.
Aujourd’hui, tous les regards sont braqués sur les élections prochaines et sur les membres du prochain gouvernement, pour voir s’ils amèneront des progrès et amélioreront la situation des droits humains dans le pays. Après deux guerres civiles et une épidémie d’Ebola catastrophique, le Liberia est, selon James, un pays aux ruines encore fumantes mais désormais en meilleure forme, où est apparue une lueur d’espoir.
* Son nom a été modifié pour préserver son anonymat
La version originale de ce billet de blog a été publiée le 6 octobre 2017 par The Africa Report