Mathias Esteban : « La visibilité transgenre est importante toute l’année, pas seulement au mois de juin »

Le 10 mai, le gouvernement péruvien a publié un décret classant les identités transgenres dans la catégorie des troubles mentaux. Les organisations de défense des droits humains ont réagi rapidement. Si les responsables du ministère de la Santé assurent que l’idée est de « protéger l’accès des personnes trans aux soins de santé », en réalité il les stigmatise et met en danger.
Mathias Esteban, militant transgenre de la ville de Cusco et leader du collectif Fraternidad Transdivergente, affirme que depuis la publication du décret, la situation est devenue plus difficile, même si la dynamique militante qui se développe le remplit d’espoir pour l’avenir. Voici son histoire.

« Les personnes transgenres au Pérou sont constamment confrontées à des obstacles et à des défis, dans tous les domaines de la vie. Depuis le décret qui affirme que notre identité est un problème de santé mentale, les choses sont devenues encore plus difficiles.

« C’était très gratifiant de voir cette belle unité, tous ces militant·e·s transgenres revendiquer leurs droits »

Lorsque le décret est sorti, tout le Pérou était sous le choc, alors nous nous sommes dit : « Il faut faire quelque chose. » Nous avons rapidement créé un organe national de coordination auquel plusieurs organisations de tout le Pérou ont adhéré pour réfléchir à la stratégie à adopter face à ce recul des droits humains. Nous avons publié une déclaration et organisé un sit-in à Lima le 17 mai. Je vis à Cusco et je suis allé jusqu’à Lima participer à cette manifestation.

Nous nous sommes rassemblés devant le ministère de la Santé pour réclamer l’abrogation de ce décret qui nous porte préjudice. C’était très gratifiant de voir cette belle unité, tous ces militant·e·s transgenres revendiquer leurs droits.

Il est temps de faire changer les choses

J’ai commencé à militer en 2020 avec le groupe Diverses d’Amnesty International.

Ce projet m’a ouvert les yeux parce que, même si j’étais transgenre, j’étais déconnecté de la réalité de ce que d’autres traversaient. C’est à ce moment-là que j’ai commencé à me demander ce que je pouvais faire pour essayer de faire évoluer la situation et c’est ce qui m’a amené à m’impliquer dans des activités militantes, pour essayer de changer les choses.

Aujourd’hui, je dirige un collectif baptisé Fraternidad Transdivergente.

« Nous faisons cela parce que nous souhaitons un monde meilleur pour nous et pour ceux qui seront là après nous »

Je travaille avec des enfants et des jeunes transgenres, parce que je ne veux pas qu’ils endurent ce que moi et d’autres comme moi avons traversé. Je veux apporter le genre de soutien que je n’ai pas eu. Je leur dis toujours que j’admire leur courage car, à leur âge, je n’avais pas révélé ma transsexualité et je ne me connaissais pas moi-même.

Je leur explique que ce n’est pas facile de militer, et que beaucoup remettent en cause nos motivations, pensant que c’est une perte de temps, mais je leur dis de ne pas se décourager : « Nous faisons cela parce que nous souhaitons un monde meilleur pour nous et pour ceux qui seront là après nous ».

La puissance de la marche des fiertés

À Lima, la première marche des fiertés a eu lieu en juin 2002. À Cusco, cela a démarré en 2016, car c’est une ville religieuse très conservatrice et très traditionnelle. En outre, la marche coïncide avec le festival local et le drapeau LGBTI est très similaire au drapeau local, ce qui donne l’impression que tout le monde soutient les droits des personnes LGBTI, alors qu’en réalité, cela en dérange encore beaucoup.

« J’ai toujours voulu participer, mais j’avais peur d’être vu »

La bonne nouvelle, c’est qu’au fil du temps, les marches ont pris de l’ampleur et que de plus en plus de jeunes y participent. Je trouve très positif de voir qu’ils sont déjà libres ou cherchent à l’être, qu’ils se libèrent de cette peur d’être jugés, sortent dans la rue et revendiquent leurs droits.

C’est la troisième année que je prends part à une marche ; avant de révéler au grand jour que je suis un homme transgenre, je n’osais pas. J’ai toujours voulu participer, mais j’avais peur d’être vu.

Ma première marche s’est très bien passée, car j’avais déjà fait mon coming-out en tant que personne trans et aussi parce que ce sont mes amis qui m’ont encouragé, en me disant : « Hé, nous voulons venir avec toi, allons-y ». C’était très rassurant de savoir que je n’étais pas seul.

J’étais en toute première ligne de la marche, avec les batucadas [des percussions], le drapeau géant et entouré par tant de monde. C’était une très belle expérience, très puissante.

Gagner en visibilité

La visibilité accrue des hommes transgenres, des transmasculinités, est également un très grand pas en avant pour nous – même si nous demeurons invisibles. L’État ne nous soutient pas, nous ne sommes pas protégés. C’est pourquoi la visibilité lors de la marche nous donne de la force, cela nous permet de montrer à beaucoup de gens que nous existons.

Je constate également que l’acceptation grandit peu à peu, bien que certains nous insultent ou nous agressent encore lorsque nous manifestons. Mais il y a aussi la musique, les gens qui dansent, ceux qui s’expriment… Une expérience très puissante.

De quoi avons-nous besoin aujourd’hui ? D’une loi qui protège l’identité et l’expression de genre de chacun·e. Sans loi, il est très difficile de lancer la procédure de changement de nom, qui est la base du changement de carte d’identité et, par conséquent, de l’accès à la santé, à l’éducation et au travail. Sans cela, tout est très compliqué. La procédure est fastidieuse, longue et coûteuse, et il n’est pas simple de trouver des gens pour vous aider dans la procédure de changement de nom parce qu’il faut des avocats. Tout serait beaucoup plus facile si une loi permettait aux personnes transgenres de s’exprimer pleinement.

La visibilité est très importante, mais pas seulement au mois de juin. Il semble que c’est le mois où tout le monde nous soutient et est à nos côtés. Ce mois-ci, nous avons des droits et nous existons. Mais au-delà de la visibilité, ce qui est essentiel, c’est de lutter pour amener le changement ; il s’agit d’une mobilisation permanente, pas seulement au mois de juin. »

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