Le Mexique doit se montrer à la hauteur en mettant fin à la torture de femmes par la police et l’armée Par Erika Guevara-Rosas, directrice pour la région des Amériques à Amnesty International

Verónica Razo, une Mexicaine de 37 ans mère de trois enfants, est terrifiée à l’idée de s’endormir. Chaque nuit, alors qu’elle est allongée dans son lit d’une petite cellule de la prison fédérale de Morelo, à une heure de Mexico, la capitale, elle se remémore les 24 heures les plus effrayantes de sa vie.

Le 8 juin 2011, des policiers fédéraux l’ont violée, et soumise à un simulacre d’étouffement et à des décharges électriques dans un entrepôt de Mexico. Les actes qu’elle a subis étaient si graves qu’elle a failli mourir. La police voulait qu’elle dise appartenir à l’une des bandes criminelles violentes causant des troubles à travers le pays. Elle se trouve depuis lors en détention.

L’histoire de Verónica devrait être une exception, une terrible aberration, le résultat de la présence de quelques brebis galeuses au sein des forces mexicaines de sécurité.

Ce n’est malheureusement pas le cas.

Un rapport publié par Amnesty International livre les témoignages bouleversants de 100 femmes arrêtées par la police ou l’armée mexicaines, la majorité depuis que le président actuel, Enrique Peña Nieto, est arrivé au pouvoir en décembre 2012.

Sur ces 100 femmes, 97 ont dit avoir subi des violences physiques, 72 ont affirmé avoir été victimes d’agressions sexuelles et 33 ont dit avoir été violées. Comme dans le cas de Verónica, les autorités ont torturé beaucoup d’entre elles pour les forcer à « avouer » qu’elles appartenaient à un cartel de la drogue ou un réseau de kidnapping.

Nous nous sommes rendus dans la seule prison fédérale pour femmes du Mexique afin de mener des entretiens pour ce rapport ; et les récits de violations se sont enchaînés.

Une femme au foyer qui allait faire des courses, enlevée par des inconnus plus tard identifiés comme des membres des forces de sécurité ; une mère arrêtée alors qu’elle allait chercher ses enfants à l’école à pied ; et une jeune femme qui a vu son mari être torturé à mort par des policiers, sont quelques-unes des histoires recueillies par Amnesty International.

Le fait que la torture soit si commune au Mexique n’a rien d’une information nouvelle. Selon une enquête récente menée par Amnesty International, les plaintes pour torture déposées au niveau fédéral ont doublé entre 2013 et 2014. Les autorités n’ont pas été en mesure de fournir une mise à jour de ces chiffres depuis 2014.

Mais notre rapport le plus récent jette une lumière nouvelle et véritablement glaçante sur ces premiers constats. Le viol et d’autres formes de violences sexuelles sont fréquemment employés pour torturer des femmes et leur faire « avouer » des crimes. Ces « aveux » gonflent les chiffres du ministère public et créent l’illusion que les autorités font quelque chose pour s’attaquer à la crise à laquelle le Mexique est actuellement en proie sur le terrain de la sécurité.

Si ces révélations sont choquantes, elles ne devraient pas surprendre le gouvernement Peña Nieto.

Il y a à peine deux mois, la divulgation d’une vidéo à la presse mexicaine a provoqué un scandale public. Elle montrait des policiers et des soldats en train d’asphyxier une femme avec un sac en plastique et de l’interroger tandis qu’elle hurlait de douleur.

Fait sans précédent, le chef de l’armée s’est exprimé sur les ondes afin de condamner publiquement ces agissements et de présenter des excuses. Le chef de la police fédérale lui a emboîté le pas. Cette vidéo a mis en évidence une réalité très crue : le fait que la torture continue à constituer une stratégie clé dans la lutte menée par Mexique contre les cartels de la drogue et le crime organisé.

Elle donne également à voir le coût humain de cette démarche - deux minutes insoutenables des souffrances subies par une femme. Mais le pire, peut-être, c’est que nous ignorons ce qui s’est passé une fois la caméra éteinte. Nous ne savons pas ce que cette femme a dû endurer d’autre.
Sur le papier, il est possible que le Mexique ait tout du bon élève du système international des droits humains. Il a ratifié quasiment tous les traités importants en la matière. Pourtant, l’impunité pour les violations des droits humains y est presque absolue ; malgré les milliers de plaintes pour torture et autres formes de mauvais traitements déposées chaque année, les auteurs ne sont pas inquiétés.

La procureure générale fédérale n’a pas été en mesure de nous montrer qu’une seule charge avait été retenue contre des tortionnaires en 2014 ou 2015. Et quand nous avons demandé combien de soldats avaient été suspendus pour agression sexuelle ou viol depuis 2010, l’armée n’a pas pu en nommer un seul.

Lorsque des femmes sont soumises à la torture ou à d’autres mauvais traitements, elles risquent tout particulièrement de connaître des formes de violence qui les visent en raison de leur genre. Passages à tabac ; menaces de viol contre elles et leur famille ; asphyxie ; décharges électriques sur les parties génitales ; palpations des seins et pincements sur les mamelons ; viol, notamment avec des objets, les doigts et des armes à feu - il ne s’agit là que de quelques-unes des formes de violence infligées à ces femmes et recensées par Amnesty International.

Une femme issue d’un milieu défavorisé est par ailleurs une cible facile. La police et l’armée semblent tirer parti du fait que lorsque des femmes vivent dans la pauvreté, elles n’ont pas les moyens de remettre en question les agissements des autorités. Par exemple, une jeune travailleuse du sexe et mère célibataire de deux enfants a déclaré à Amnesty International qu’elle était seulement « sortie travailler afin de survivre » une nuit lorsqu’elle a été arrêtée par la police fédérale en 2014. Elle a été frappée et maltraitée, et plus tard accusée d’une infraction grave.

Plusieurs des femmes auxquelles nous avons parlé avaient été violées par des hommes appartenant à la marine. Les marins mexicains participent à des opérations de sécurité publique et sont généralement considérés comme un corps d’élite. Les recherches que nous avons menées ont cependant indiqué que les arrestations effectuées par la marine s’accompagnaient du taux de viol le plus élevé. En 2011, ce sont des marins qui ont infligé à Denise Blanco et Korina Utrera 30 heures de supplice, impliquant des viols et des rituels d’humiliation visant à les punir d’être lesbiennes. Elles se trouvent toujours en détention sur la base de charges de crime organisé et d’infractions à la législation sur les stupéfiants.

Alors que doit faire le gouvernement pour éradiquer ces pratiques abjectes ? Les éléments recueillis indiquent que la formation a très peu d’impact. En fait, l’armée, la marine et la police fédérale ont signalé à Amnesty International que des centaines de formations sur « les droits des femmes et la perspective de genre » ont été dispensées à leurs membres ces dernières années.

Si cela est décourageant, Amnesty International est convaincue que cette situation peut et doit changer. Nous pensons aussi que la meilleure manière de combattre les violations est de garantir que ceux qui les commettent subissent des conséquences.

Le gouvernement est déjà doté des outils dont il a besoin pour cela. Le 9 septembre 2015, il a établi au sein de ministère de l’Intérieur une petite équipe spéciale chargée de la question de la torture sexuelle des femmes. Le but de cette équipe était de coordonner l’action de différentes institutions gouvernementales autour de la question, afin de permettre de réelles avancées dans les enquêtes relatives à ces cas. Elle reste cependant largement en sommeil depuis sa création.

Il faut donner un coup d’accélérateur à cette équipe, nommée Mécanisme officiel sur la torture sexuelle envers les femmes, et lui donner de toute urgence les ressources dont elle a besoin pour commencer à livrer des résultats.

Si l’équipe n’a pas les moyens d’effectuer son travail, elle échouera. Mais de terribles histoires continuent à émerger des prisons mexicaines ; il ne faut pas que cela puisse se produire. Le cauchemar doit prendre fin.

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