Les militants des peuples indigènes de l’Équateur sont attaqués. Le gouvernement les protègera-t-il ? Par Erika Guevara Rosas, directrice du programme Amériques d’Amnesty International

Tôt dans la matinée du 5 janvier 2018, Patricia Gualinga a entendu du raffut devant sa maison, à Puyo, en Équateur. Un homme criait des menaces et jetait des pierres sur sa maison.

« Salope, la prochaine fois je te tuerai ! », a-t-elle déclaré l’avoir entendu hurler, lors d’une interview avec des médias locaux.

En tant que dirigeante des Kichwas de la communauté sarayaku, Patricia Gualinga pense qu’elle a été visée en raison de la campagne menée contre des projets d’extraction pétrolière qui menacent l’environnement.

Alors que les communautés indigènes dans tout l’Équateur célèbrent la Journée internationale des populations autochtones ce 9 août, des militants tels que Patricia Gualinga vont demander au président Lenín Moreno de respecter l’engagement qu’il a pris de protéger ces communautés ainsi que leurs territoires. Cette journée internationale arrive alors que des défenseurs des droits humains indigènes, comme Patricia Gualinga, ont récemment été victimes de toute une série d’attaques et de menaces qui soulignent les dangers auxquels ces personnes sont exposées.

Élu en avril 2017 après avoir occupé pendant six ans les fonctions de vice-président de Rafael Correa, le président Moreno a cherché le soutien des communautés indigènes pendant sa campagne présidentielle, prenant ses distances avec le président Correa, la politique et les discours de ce dernier ayant abouti à des relations tendues avec les populations indigènes. Lors de sa prise de fonctions, Lenín Moreno a tendu un rameau d’olivier en amnistiant plusieurs militants indigènes de premier plan qui avaient été emprisonnés pour des infractions qu’ils auraient commises lors de manifestations deux ans plus tôt.

Quand le président Moreno a rencontré les dirigeants de la Confédération des nationalités indigènes de l’Équateur (CONAIE), un mois plus tard, c’était la première fois en huit ans que des dirigeants indigènes rencontraient le chef de l’État au palais présidentiel. Ils lui ont remis un document exposant leurs principaux motifs de préoccupation, et ont demandé à son gouvernement de protéger les défenseurs des droits humains.

Mais cette lune de miel n’a pas duré. Les militants indigènes ont été échaudés par les projets du gouvernement visant à attirer des investisseurs dans le secteur minier, entre autres, et fin 2017, la CONAIE a mené une marche qui a duré plusieurs semaines, de Puyo jusqu’à Quito, pour réclamer « un dialogue avec des résultats ». Le point d’orgue de cette marche a été l’entretien avec le président Moreno, qui a promis de ne pas accorder de nouvelles concessions minières aux entreprises qui ne respectent pas leurs obligations environnementales.

Actuellement, les militants des droits humains disent que le gouvernement n’a pas enquêté sur les attaques et les menaces dont ils ont été victimes durant le premier semestre de l’année 2018.

La présidente de la nation sapara, Nema Grefa Ushigua, qui a signalé avoir reçu des menaces en avril, dit que le gouvernement ne lui a octroyé aucune mesure de protection telle que des caméras de surveillance ou une protection policière.
 

« J’ai très peur, a-t-elle déclaré, à l’époque, lors d’une conférence de presse. Je suis une femme sapara et je continuerai de me battre pour mon territoire. »

Le 13 mai, Salomé Aranda, dirigeante kichwa de la communauté moretecocha, a été réveillée à l’aube par des jets de pierres lancées contre sa maison par des inconnus. Les autorités n’ont pas révélé si cette attaque visant Salomé Aranda, qui a protesté contre des forages pétroliers dans le bassin de la rivière Villano, faisait l’objet d’une enquête.

Patricia Gualinga, Nema Grefa Ushigua et Salomé Aranda sont membres du Collectif des femmes amazoniennes. Elles ont rencontré le président Moreno en mars pour lui demander des mesures de protection pour les défenseures des droits humains, qui sont nombreuses à avoir été menacées en raison de leur opposition à des projets d’extraction minière. Dans un tweet rédigé à la suite de cet entretien, le président Moreno a indiqué que les préoccupations des femmes indigènes étaient légitimes, et que son gouvernement était déterminé à protéger ces femmes et leurs enfants.

Les agressions se sont pourtant poursuivies. Autre cas, celui de Yaku Pérez Guartambel, qui défend les droits relatifs à l’eau et qui est le président de la Confédération des Kichwas de l’Équateur et le coordonnateur de la Coordination andine des organisations indigènes ; il a été attaqué et brièvement enlevé alors qu’il conduisait son véhicule, le 9 mai. Il a raconté que ses assaillants ont endommagé son véhicule et l’ont accusé d’avoir orchestré l’incendie d’un campement à proximité appartenant au projet minier Río Blanco.

Le lendemain, Yaku Pérez Guartambel a porté plainte pour enlèvement, torture et tentative de meurtre auprès du bureau local du procureur.
 

« Le responsable, c’est le gouvernement, qui insiste pour que se poursuive ce projet  », a-t-il déclaré à la presse par la suite.

Un juge civil a ultérieurement suspendu le projet minier Río Blanco, estimant que les populations locales n’avaient pas été préalablement consultées, mais le gouvernement a fait appel de cette décision. Peu de temps après, le ministère de l’Intérieur a porté plainte contre plusieurs militants, y compris contre Yaku Pérez Guartambel, les accusant de sabotage parce qu’ils auraient barré une route menant au campement minier le 6 mai. Le parquet local mène une enquête sur eux. Le 3 août, un tribunal de la province a rejeté l’appel interjeté et confirmé la suspension du projet Rio Blanco.

Ces attaques incessantes et l’impunité qui les accompagne illustrent les dangers auxquels sont confrontés les défenseurs des droits humains en Équateur.

Les autorités équatoriennes doivent reconnaître l’importance du travail mené par les défenseurs des droits humains, notamment par ceux qui se consacrent à la défense de leurs terres et de l’environnement, et garantir leur sécurité. Comme l’a déclaré le président Moreno lors de l’Assemblée générale de l’ONU en 2017 : « Nous devons non seulement protéger mais aussi mettre à profit les connaissances traditionnelles des gardiens de la nature : les peuples, communautés et nations indigènes. »
 

En ce qui concerne Patricia Gualinga, les autorités locales ont rejeté sa demande de visionnage des images de vidéosurveillance qui pourraient permettre d’identifier ses assaillants. En juillet, le parquet local a clos l’enquête sur cette agression.

« Je défends les droits humains, les droits des peuples indigènes. Ma position est très claire en ce qui concerne les activités d’extraction telles que l’exploitation pétrolière, a déclaré Patricia Gualinga lorsqu’on l’a interrogée au sujet des motifs possibles de cette attaque. Nous ne nous attendions pas à ce que de telles choses se produisent sous ce gouvernement.  »

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