Né dans les champs de bataille d’Érythrée

Les parents d’Ibrahim ont combattu lors de la longue guerre qui a abouti à l’indépendance de l’Érythrée. Après la fin des combats, en 1991, sa mère, Aster Fissehatsion est devenue une responsable politique de premier plan et son père, Mahmoud Ahmed Sherifo, a été nommé à la vice-présidence du nouvel État. En septembre 2001, tous deux ont été arrêtés après avoir critiqué le président. On est depuis sans nouvelles d’eux. Ibrahim nous fait le récit de leur histoire.

Comme beaucoup d’enfants de ma génération, je suis né dans les champs de bataille d’Érythrée. Nous vivions dans une cabane dissimulée dans une extension naturelle d’un promontoire rocheux. J’ai vécu là des moments heureux avec ma tendre mère et mon père, un homme calme à la voix douce. Je ne connaissais pas d’autre vie que celle-ci, une vie où l’on ne se plaignait pas, une vie de courage et camaraderie.

J’avais de bons amis, des enfants eux aussi habitués à une existence chaotique – explosions, fuites précipitées pour trouver un lieu sûr pendant les bombardements aériens, repli dans les abris anti-aériens, évacuations de ceux-ci, départ des combattants vers le front, retours des champs de bataille... Nous entonnions des chants pour l’Érythrée, sur l’histoire, les traditions et les luttes de notre peuple.

Mes parents étaient des combattants de la liberté, sans arrêt mobilisés pour des missions militaires qui les éloignaient de moi. Mais je me disais que je vivais dans le luxe car je connaissais d’autres enfants qui ne voyaient pas leurs parents revenir des combats.

La vie était comme une fête

Dès que nos combattants ont libéré l’Érythrée, en mai 1991, je suis parti à Asmara, la capitale. Le plus frappant, là-bas, c’est que nous n’avions plus peur. Je me suis fait de nouveaux amis, j’allais à l’école maternelle et je m’amusais dans les aires de jeu du quartier.

J’étais épaté par tout un tas de choses. Il y avait l’eau courante et l’électricité chez moi, je portais de beaux habits et de vraies chaussures. La vie à Asmara, c’était comme une grande fête.

J’ai vécu là les meilleures années de ma vie, de loin. Mais en 1998, alors que j’étais sur le point de terminer le collège, l’Érythrée est entrée en guerre contre l’Éthiopie. Quand la guerre s’est achevée, en 2000, je commençais le lycée ; 19 000 jeunes Érythréens étaient morts.

Des dissensions ont éclaté dans les hautes sphères du pouvoir et parmi les responsables du parti, à propos de cette guerre qui laissait l’Érythrée exsangue et s’était soldée par la perte de vastes portions de territoire au profit de l’Éthiopie.

On ne les a plus jamais revus

En mai 2001, mes parents et d’autres détracteurs du gouvernement ont été suspendus de leurs fonctions. Le 18 septembre, ils ont publié une lettre ouverte appelant à un dialogue pacifique et démocratique. Cette lettre a scellé le sort de mes parents : des membres des services de sécurité sont venus les cueillir un jour et on ne les a plus jamais revus.


« Les gens ont le droit de savoir ce qui est arrivé à Aster, dit la famille d’Ibrahim. Ils doivent savoir ce que vit la mère d’Aster, cette femme qui s’accroche aux images de plus en plus évanescentes de sa fille bien-aimée. »

J’éprouve de la fierté et de l’admiration quand je pense à mes parents. Je ne sais pas dans quel état physique et psychologique ils sont, je ne sais pas s’ils ont besoin d’être soignés. Mais ils restent très vivants dans mon cœur et dans mon esprit. Et leurs idéaux résisteront à l’épreuve du temps.

Devant le tribunal de la conscience, le président et ses acolytes sont coupables. Donc ce sont eux, les vrais prisonniers. Les opinions et les idéaux de mes parents s’épanouissent librement entre les quatre murs de leur cellule, et bien au-delà.

Passez à l’action

Aster Fissehatsion est la seule femme du groupe de 11 responsables politiques jetés en septembre 2001 dans les prisons érythréennes, où les conditions de détention sont particulièrement rudes. Signez notre pétition réclamant sa libération et tweetez un message de soutien à sa famille en utilisant le hashtag #FreeAsterNow.

Avec d’autres enfants de détenus érythréens, Ibrahim fait campagne pour obtenir la libération de ses parents.

Érythrée : 7 faits et chiffres

• C’est le pays du monde qui exerce la censure la plus forte.
• Depuis 1993, plus de 10 000 personnes ont été arrêtées et placées en détention sans inculpation ni procès pour des raisons politiques.
• Un grand nombre sont entassées dans des cellules souterraines ou des conteneurs installés en plein désert, où règnent des températures extrêmes.
• Chaque mois, environ 3 000 personnes fuient le pays ; beaucoup cherchent à échapper au service militaire obligatoire qui peut se prolonger indéfiniment.
• Les Érythréens représentent 10 % des personnes qui entreprennent la traversée mortellement dangereuse de la Méditerranée pour gagner les rivages de l’Europe (chiffre de janvier à fin avril 2015).
• L’annexion de l’Érythrée par l’Éthiopie en 1962 a marqué le début d’une violente lutte pour l’indépendance.
• Le régime d’Issayas Afeworki, seul président qu’ait connu l’Érythrée depuis 1993, est autocratique et très répressif.

Une version plus longue de ce récit paraîtra dans le numéro de juillet-septembre du Fil, le magazine mondial d’Amnesty.

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