« Il y a un poste de police au coin de cette rue » : nouvelles de Minsk

Belarus_Manifestations

« Jeune homme, venez par ici, il faut qu’on parle », dit-elle à un individu qui passe en courant devant l’entrée d’un immeuble résidentiel du centre de Minsk, la capitale du Bélarus. Elle a une cinquantaine d’années et tient un petit chien dans ses bras. Deux autres femmes, plus jeunes, s’abritent avec elle à l’ombre de la végétation entourant un immeuble de six étages en béton grisâtre, typique de toutes les anciennes villes soviétiques. Elles parlent à voix basse, tout doucement.

Il est trois heures du matin et ces trois femmes sont à l’affût. Elles mettent en garde les manifestant·e·s présents çà et là dans les cours d’entrée de ces immeubles uniformes de six étages que l’on trouve le long de la rue Yakub Kolas. Elles disent : « Il y a un poste de police juste à côté de cet immeuble, au coin de cette rue. »

« Merci ! », répond le jeune homme. « Je viens de jeter un œil par là-bas et j’ai vu la police antiémeutes frapper quelqu’un. » Il fait partie des milliers de manifestant·e·s descendus dans la rue à Minsk la nuit ayant suivi l’annonce des résultats officiels de l’élection présidentielle au Bélarus. Ces manifestant·e·s réclament le départ d’Alexandre Loukachenko, qui est au pouvoir depuis 1994 et qui, selon des informations officielles, a obtenu 80 % des votes le 9 août.

Ce jeune homme et un long cortège d’autres manifestant·e·s descendaient l’avenue Masherava, l’une des principales artères de la ville, lorsqu’ils se sont trouvés face à des fourgons de police vert foncé. Des centaines de personnes ont alors été bloquées entre ces véhicules de police et la façade du marché couvert de Komarovsky ; elles ont essayé de s’enfuir sur les côtés, avant que quelqu’un ne brise le portail du marché, ouvrant une brèche permettant aux manifestant·e·s de s’échapper.

Les manifestant·e·s ainsi dispersés sont devenus des proies faciles pour la police. Et tandis que nous parlons avec ces trois femmes et ce jeune homme, les poursuites continuent dans les rues avoisinantes. Dans l’obscurité des cours d’immeubles à Minsk, des ombres se précipitent - des petits groupes de manifestant·e·s se faufilent dans les rues, s’éparpillent dans la ville. Des minibus rôdent dans les allées sombres. C’est avec les portières ouvertes qu’ils parcourent le secteur, afin que des membres en civil des forces de sécurité puissent rapidement sauter en marche et appréhender dans la rue toutes les personnes qui leur semblent suspectes, des manifestant·e·s au simple badaud.

Le 9 août, premier soir des manifestations, le ministère de l’Intérieur a annoncé avoir arrêté un millier de manifestant·e·s à Minsk et 2 000 autres dans d’autres villes du pays.

Une des jeunes femmes de notre groupe nous révèle qu’elle aurait aimé participer aux manifestations. « Je suis infirmière, mais je suis sûre qu’ils s’en moquent, qu’on soit infirmières ou secouristes », dit-elle, faisant référence aux forces spéciales du ministère de l’Intérieur, devenues incontrôlables. Selon des rumeurs qui se sont rapidement propagées sur le réseau social Telegram, des policiers ont utilisé des ambulances pour approcher et arrêter des manifestant·e·s. Tandis qu’elle parle, elle se caresse le ventre sans s’en rendre compte. Il est clair qu’elle est enceinte.

« Les garçons, voulez-vous boire un peu d’eau ? », demande la plus âgée des trois femmes. Elle explique qu’elle et ses amies sont là depuis plusieurs heures, et suivent les informations grâce à un téléphone portable connecté à la Wi-Fi de leur appartement. Le réseau cellulaire mobile a été suspendu à travers le pays depuis le début du scrutin le 9 août, et un grand nombre de personnes descendues dans la rue ignorent totalement ce qui se passe dans la ville, risquant ainsi de tomber entre les mains de la police.

Privés des moyens habituels de communication en ligne, les manifestant·e·s de Minsk - dont un grand nombre ont à peine plus de 25 ans - font preuve d’une ingénuité et d’un soutien mutuel incroyables. « N’allez pas par-là, il y a des policiers antiémeutes qui rôdent dans les cours d’immeubles », dit l’un d’entre eux. « Allez-y sans faire de bruit, la rue est vide jusqu’à Nyamiha », explique une autre personne. On utilise des tracts : les manifestant·e·s les impriment chez eux, puis les collent dans les tunnels et les placent sous les essuie-glaces des voitures.

Trois jours après le début des manifestations, il apparaît clairement que la détermination des manifestant·e·s bélarussiens à revendiquer leurs droits et leurs libertés n’a pas été brisée. De leur côté, les autorités ne sont pas près de céder devant les manifestant·e·s et il est fort probable qu’elles recourront aux méthodes les plus brutales pour réprimer ce mouvement.

Le nom de l’auteur de cet article, qui travaille pour Amnesty International, n’a pas été mentionné, pour des raisons de sécurité.

Cet article a initialement été publié par l’EUObserver [1].

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