Pourquoi les observateurs d’Amnesty International ne peuvent-ils pas assister au procès de Julian Assange ? Par Stefan Simanowitz, Media Manager à Amnesty International

Julian Assange

Début septembre, la rue devant la cour de justice d’Old Bailey, à Londres, où se déroule le procès en extradition de Julian Assange, a pris des airs de carnaval.

À l’intérieur d’Old Bailey, la salle d’audience ressemblait davantage à un cirque : les multiples difficultés techniques, la crainte d’un cas de COVID-19 qui a contraint à suspendre la procédure et les nombreuses irrégularités de procédure, dont la décision de la juge présidant le tribunal de retirer la permission accordée à un observateur d’Amnesty International d’avoir accès à la salle d’audience.

« Si la rue à l’extérieur du tribunal avait des airs de carnaval, à l’intérieur c’est vite devenu le cirque » - Stefan Simanowitz, Amnesty International

Chaque matin, à l’arrivée au tribunal, mes sens étaient assaillis : le bruit des groupes de samba, les matériels de sonorisation et les chansons de la foule, ainsi que la vue des banderoles, des ballons gonflables et des pancartes à chaque coin de rue.

Le premier jour de l’audience, lundi 7 septembre, a attiré plus de 200 personnes rassemblées devant la cour de justice. Des gens déguisés se mêlant à des équipes de cameramen, de journalistes et à une flopée de photographes avides, qui disparaissaient régulièrement pour donner la chasse aux fourgons blindés blancs se dirigeant vers le tribunal et arc-bouter leurs longs objectifs sur les vitres teintées.

L’un de ces fourgons venait de la prison de haute sécurité de Belmarsh, lieu de résidence de Julian Assange depuis 16 mois.

Le fondateur de Wikileaks s’est présenté au tribunal pour la reprise de la procédure qui statuera au final sur la demande d’extradition aux États-Unis déposée par le gouvernement de Donald Trump. Les procureurs américains affirment que Julian Assange a comploté avec des lanceurs d’alerte (l’analyste des services de renseignement militaire Chelsea Manning) en vue d’obtenir des informations classées « secret défense ». Ils veulent qu’il soit jugé pour espionnage aux États-Unis, où il encourrait jusqu’à 175 ans d’emprisonnement.

Les avocats de Julian Assange ont ouvert le bal avec une requête demandant que le nouvel acte d’accusation déposé en juin et les preuves présumées qui y figurent ne soient pas pris en compte, car il intervient très tardivement. La juge a rejeté cette requête. L’après-midi, ils ont demandé un ajournement jusqu’à l’an prochain afin de leur laisser le temps de réagir à ce nouvel acte d’accusation des procureurs américains. Ils ont avancé qu’ils n’avaient pas eu suffisamment de temps pour examiner les nouvelles allégations, d’autant qu’ils n’avaient eu qu’un « accès limité » à leur client en prison. En effet, lors de cette audience, c’était la première fois depuis plus de six mois qu’ils pouvaient le rencontrer. La juge a rejeté cette requête.

« Nous avons demandé qu’un observateur chargé de suivre le déroulement du procès puisse avoir accès au tribunal, mais l’attribution d’un siège dans la salle d’audience nous a été refusée » - Stefan Simanowitz, Amnesty International

En réaction à la décision, Kristinn Hrafnsson, rédacteur en chef de Wikileaks, m’a dit : « Cette décision est une insulte aux tribunaux britanniques, à Julian Assange [1] et à la justice. Que le tribunal refuse la requête d’ajournement revient à priver Assange [2] de ses droits. »

Amnesty International avait demandé qu’un observateur soit autorisé à assister aux audiences pour suivre leur déroulement, mais le tribunal nous a refusé l’attribution d’un siège dans la salle d’audience. Au départ, notre observateur a reçu l’autorisation de suivre la procédure à distance, grâce à la technologie mise en place, mais le matin même de l’audience, il a reçu un courriel l’informant que la juge avait annulé l’accès à distance d’Amnesty International.

Nous avons réitéré notre demande mardi 8 septembre, soulignant l’importance de la présence d’observateurs et la vaste expérience d’Amnesty International en la matière dans certains des pays les plus répressifs de la planète.

La juge a répondu en exprimant ses « regrets » quant à sa décision et a déclaré : « Je reconnais pleinement que la justice doit être administrée en public. » Malgré ses regrets et bien qu’elle ait reconnu que la présence d’observateurs est une composante vitale d’une justice transparente, la juge n’a pas changé d’avis.

Le seul moyen pour Amnesty International et d’autres observateurs de suivre le procès était alors de faire la queue pour obtenir l’un des quatre sièges libres dans la zone réservée au public. Nous avons soumis une troisième demande afin d’obtenir un accès direct à la salle additionnelle, à l’intérieur du tribunal, d’où certains médias assistent au procès en direct, mais cette requête a également été rejetée.

« Amnesty International a suivi des procès, de Guantanamo Bay à Bahreïn, de l’Équateur à la Turquie. Le fait que notre observateur se voit refuser l’accès au tribunal compromet fortement la transparence de la justice » - Stefan Simanowitz, Amnesty International

La décision de la juge de ne faire « aucune exception » pour des observateurs spécialistes de l’équité des procès est très inquiétante. À travers ce refus, le tribunal omet de reconnaître une composante essentielle d’une justice transparente : le fait que les observateurs internationaux passent au crible une audience à l’aune du respect du droit national et international. Ils sont là pour évaluer l’équité d’un procès en livrant un compte-rendu impartial de son déroulement dans la salle d’audience et pour faire progresser les normes en matière d’équité en faisant savoir à toutes les parties concernées qu’elles sont observées.

« Amnesty International a suivi des procès, de Guantanamo Bay à Bahreïn, de l’Équateur à la Turquie. Le fait que notre observateur se voit refuser l’accès au tribunal compromet fortement la transparence de la justice. »

Amnesty International a suivi des procès, de Guantanamo Bay à Bahreïn, de l’Équateur à la Turquie. Le fait que notre observateur se voit refuser l’accès au tribunal compromet fortement la transparence de la justice.

Dans la salle additionnelle, des problèmes techniques au niveau de la qualité sonore et audio sont à déplorer. Plus d’une semaine après le début de la procédure, ces écueils techniques basiques ne sont toujours pas résolus et de grandes parties des témoignages sont inaudibles. Ces difficultés technologiques ne se limitent pas à la salle additionnelle. Certains témoins qui ont tenté d’appeler en visio la salle d’audience la semaine dernière n’ont pas pu. Du fait de ces problèmes techniques de base, les personnes présentes dans la salle ne peuvent pas bien suivre la procédure.

« Si Julian Assange est réduit au silence, d’autres seront également bâillonnés, soit directement, soit par la peur d’être persécutés ou poursuivis » - Stefan Simanowitz, Amnesty International

Nous continuons d’espérer trouver un moyen pour que notre expert juridique puisse assister aux audiences, car la décision dans cette affaire revêt une importance capitale. Elle touche au cœur des principes fondamentaux de la liberté de la presse, qui étayent les droits à la liberté d’expression et le droit de la population d’avoir accès à l’information.

Le gouvernement américain poursuit sans répit Julian Assange parce qu’il a publié des documents jusque-là secrets : ce n’est rien de moins qu’une vaste offensive contre le droit à la liberté d’expression. Le possible effet de dissuasion sur les journalistes et tous ceux qui dénoncent les méfaits des autorités en publiant des informations qui leur sont divulguées par des sources crédibles pourrait avoir de profondes répercussions sur le droit des citoyens de savoir ce que font leurs gouvernements.

Si Julian Assange est réduit au silence, d’autres seront également bâillonnés, soit directement soit par la peur d’être persécutés ou poursuivis, qui planera sur une communauté médiatique mondiale déjà malmenée aux États-Unis et dans de nombreux pays du globe.

Le ministère américain de la Justice poursuit un éditeur tenu par une obligation de non-divulgation, qui plus est un éditeur qui n’est pas un ressortissant américain et qui ne se trouve pas aux États-Unis. Le gouvernement américain se comporte comme si sa juridiction s’étendait au monde entier pour poursuivre une personne qui reçoit et publie des informations concernant des méfaits des autorités.

« Quelle ironie qu’aucune personne susceptible d’avoir commis des crimes de guerre en Irak et en Afghanistan ne soit sanctionnée. En revanche, celui qui a dénoncé ces crimes potentiels se trouve sur le banc des accusés. »

Si le Royaume-Uni extrade Julian Assange, il sera poursuivi aux États-Unis pour espionnage, ce qui pourrait lui valoir d’être emprisonné pour le restant de sa vie – probablement dans un établissement réservé aux détenus les plus dangereux et dans le cadre d’un régime quotidien très strict, notamment le maintien prolongé à l’isolement. Tout ça pour avoir fait ce que les directeurs de l’information font partout dans le monde : publier des informations fournies par des sources et qui relèvent de l’intérêt public.

« Quelle ironie qu’aucune personne susceptible d’avoir commis des crimes de guerre en Irak et en Afghanistan ne soit sanctionnée. En revanche, celui qui a dénoncé ces crimes potentiels se trouve sur le banc des accusés. » - Stefan, Simanowitz, Amnesty International

À l’extérieur de la cour de justice, je suis tombé sur Eric Levy, 92 ans. Son intérêt pour l’affaire Assange est tout personnel. Il se trouvait à Bagdad en 2003, pendant l’opération américaine « Choc et effroi ». Il s’était rendu en Irak dans le cadre du mouvement des boucliers humains, qui visait à stopper la guerre et, ayant échoué, à protéger la population irakienne.

« Si je suis ici aujourd’hui, c’est pour la même raison que je me trouvais en Irak. Parce que je crois en la justice et en la paix, m’a-t-il confié. Julian Assange n’est pas vraiment poursuivi pour espionnage, mais pour avoir fait passer l’Amérique pour des criminels de guerre. »

En effet, quelle ironie qu’aucune personne susceptible d’avoir commis des crimes de guerre en Irak et en Afghanistan ne soit poursuivie, et encore moins sanctionnée. En revanche, celui qui a dénoncé leurs crimes se trouve sur le banc des accusés et encourt la réclusion à perpétuité. »

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