Je vis à Santiago du Chili, dans un pays plutôt stable aux yeux du monde. Il est pourtant dur de vivre ici et de se faire entendre, surtout si vous êtes jeune, que vous êtes une femme et que vous militez en faveur des droits humains.
Dans notre famille, c’est ma mère qui subvenait à nos besoins. Lorsque j’étais jeune, elle a décidé de consacrer une grande partie de son salaire à mon éducation, car l’éducation de qualité n’est pas gratuite au Chili. Pendant neuf ans, j’ai fréquenté une école religieuse, et bien que j’aie étudié les langues et les sciences, les violences à l’école et liées au genre faisaient partie de mon quotidien.
Je me souviens que nous ne pouvions pas participer à certaines activités qui étaient considérées comme masculines : nous ne pouvions par exemple pas jouer au football ou porter des pantalons, même s’il faisait très froid. La longueur de nos jupes et notre hygiène personnelle étaient constamment surveillées. Beaucoup de mes camarades garçons souffraient également, leur créativité était systématiquement muselée et ils étaient relégués aux mathématiques et à la force brute.
J’ai pris mon courage à deux mains et j’ai décidé de changer d’environnement ; je suis donc passée d’une école catholique à une autre. La nouvelle était plus proche du centre-ville mais la réalité n’était pas très différente. La discrimination liée au genre n’était pas aussi évidente mais quelque chose d’encore pire se passait : ils essayaient de nous diviser en fonction de nos opinions « politiques ». Dès le début, les professeurs m’ont considérée comme une communiste parce que je croyais en l’égalité et la justice. Ils ont commencé à menacer mes camarades de classe et les élèves plus jeunes : « Ne traînez pas avec elle, elle a une mauvaise influence... Si vous êtes de bons élèves, vous m’écouterez ».
À partir de ce moment, une ségrégation épuisante a commencé. J’ai été exclue des élections de l’école pour que je ne puisse pas « commencer une révolution » parce que j’étais – et je suis toujours – une militante d’Amnesty International. C’était perçu comme un danger dans une institution où seules des connaissances sont enseignées.
Le harcèlement était si insupportable que j’ai décidé de continuer ma scolarité par correspondance. Je ne pouvais pas supporter ce traitement plus longtemps, je ne voulais pas étudier ou aller à l’école, les professeurs me faisaient pleurer et mes camarades de classe avaient peur de passer du temps avec moi. J’étais complètement déconsidérée.
J’ai plus tard découvert le programme C’est mon corps d’Amnesty qui donne aux jeunes militants les moyens de lutter pour les droits sexuels et reproductifs à travers l’éducation aux droits humains en Argentine, au Chili et au Pérou. J’étais très motivée de participer à ce programme. Il est difficile pour les jeunes d’ouvrir les yeux et de réaliser à quel point nous pouvons faire changer les choses si nous le décidons, surtout si nous sommes soutenus.
J’étais heureuse d’avoir accès à une réalité où nos voix avaient enfin la même valeur et étaient entendues au même titre que celles des adultes, de savoir que mes actions pouvaient avoir un impact et que je pouvais enfin prendre mes propres décisions.
Je n’avais pas de doute quant à ma participation. En fin de compte, si je ne prends pas mes responsabilités, personne ne le fera pour moi. Ce n’est pas la même chose de parler du point de vue d’un adulte que du point de vue d’un jeune ou d’un enfant et, encore aujourd’hui, de nombreuses organisations ne le comprennent pas. Je pense qu’il est important de donner aux jeunes une véritable importance dans ce programme, de ses bases à ses choix idéologiques. Il est essentiel de donner aux jeunes les moyens d’agir et qu’ils s’informent par eux-mêmes. Nous devons partager nos connaissances avec nos camarades à travers différentes méthodes. C’est le moyen le plus efficace de montrer à d’autres jeunes ce dont nous sommes capables et de faire en sorte que notre voix soit réellement entendue.
Maintenant, nous nous réunissons avec d’autres jeunes d’Amérique du Sud pour lutter en faveur des droits humains et nous essayons de briser les barrières historiques et culturelles absurdes qui nous ont été imposées. Nous reconnaissons nos objectifs communs et nous comprenons que nous avons des besoins similaires. Nous voulons tous que les choses changent, nous voulons tous vivre dans un pays et dans un monde juste pour nous et pour tout le monde. Si nous gardons cela à l’esprit, les frontières ne seront plus un obstacle. Il nous est égal de savoir d’où nous venons, ce qui nous intéresse, c’est où nous allons.
Nous aimons nos pays et nous voulons en faire des endroits meilleurs où nous pouvons vivre et nous épanouir. Je ne comprends pas comment un enfant ou un jeune peut espérer se développer pleinement dans un système qui ne le protège pas. C’est une réaction en chaîne qui explique les problèmes sociaux que nous avons aujourd’hui.
En plus du fait que les droits sexuels et reproductifs sont bafoués chaque jour, nous subissons également bien d’autres violations des droits humains qui nous empêchent de nous développer pleinement, et cela m’inquiète. Comment espérer qu’un jeune se batte pour ses droits s’il n’a pas accès à l’éducation ? Comment espérer donner du pouvoir aux jeunes en ce qui concerne leurs droits sexuels et reproductifs s’ils passent leur temps à travailler pour faire vivre leur famille ?
Dans mon pays et dans d’autres, les gens sont confrontés à des situations comme celle-ci et d’autres bien pires. C’est justement le principal enjeu pour nous. C’est sur cela que se concentre notre combat.
Le programme sur cinq ans C’est mon corps, financé par Operation Day’s Work avec des fonds collectés par des jeunes Norvégiens, se déroule en Argentine, au Chili et au Pérou, et vise à promouvoir les droits sexuels et reproductifs pour les jeunes militants âgés de 13 à 19 ans grâce à l’éducation aux droits humains, au travail de campagne et à la sensibilisation aux droits humains.