La Pride interdite en Hongrie : quand l’Union Européenne agira-t-elle enfin ?

Moi, Dávid Vig, hongrois, je vis depuis dans un pays de l’Union européenne qui restreint ma possibilité de montrer qui je suis ou qui j’aime en public. Un pays qui a franchi une nouvelle étape dans les restrictions à la liberté d’expression et au droit au rassemblement, pourtant des droits fondamentaux. Depuis des années, je vis dans un endroit qui cherche à nous intimider, et cette tendance s’est accélérée depuis deux mois.

En effet, ce 18 mars 2025, le Parlement hongrois a franchi un pas supplémentaire dans la répression des droits fondamentaux. En adoptant une nouvelle loi modifiant la Constitution qui interdit de facto la Budapest Pride, les autorités hongroises ne se contentent plus de restreindre les droits des personnes LGBTQIA+ : elles cherchent désormais à les effacer de l’espace public.

Depuis trente ans, la Budapest Pride incarne un moment de visibilité, de solidarité et de liberté dans une société où les personnes LGBTQIA+ sont de plus en plus marginalisées. J’ai assisté à l’élargissement de la Pride devenue au cours des ans la manifestation la plus large de l’opposition au Premier ministre Viktor Orbán. Ainsi, depuis son arrivée au pouvoir et la multiplication des restrictions sur les droits humains qui se sont ensuivies, la Pride est devenue une manifestation rassemblant de nombreuses organisations critiques de la dérive autoritaire du gouvernement. Je l’ai ainsi vue devenir un espace annuel de résistance.

En une seule journée, on revient trois décennies en arrière

Mais cette année, la Hongrie a décidé de faire taire cette voix. En modifiant la loi sur la liberté de réunion, le Parlement hongrois autorise désormais l’interdiction de tout rassemblement jugé « contraire au développement moral des mineurs ». En seulement une journée – le texte d’amendement de la Constitution a été déposé le 17 mars et voté le 18 mars – le Parlement a radicalement restreint l’exercice des droits fondamentaux. Ce dernier a voté une formulation floue s’inspirant directement de la loi russe de 2013 sur la “propagande homosexuelle” [1], qui permet une censure arbitraire de toute manifestation défendant les droits de la communauté LGBTQIA+, y compris des manifestations pacifiques comme la Pride.

Le texte de loi va jusqu’à autoriser l’utilisation de systèmes de reconnaissance faciale pour identifier les participantes et participants aux évènements dorénavant interdits. L’utilisation de cette technologie constitue une sérieuse menace pour la protection de la vie privée et instille la peur. La loi prévoit des amendes jusqu’à 500 euros, une somme considérable quand l’on sait que le salaire minimum en Hongrie est de 707 euros par mois [2] et que l’inflation y est l’une des plus élevées [3] d’Europe.

Par ailleurs, les organisateurs d’évènements dorénavant interdits risquent des poursuites pénales avec des peines allant jusqu’à une année d’emprisonnement. Et la nouvelle loi élargit les situations où la police pourra disperser un rassemblement. À la veille du 30e anniversaire de la Budapest Pride, cette interdiction préjudiciable ramène mon pays trois décennies en arrière.

Une stratégie politique assumée

Loin d’être une dérive ponctuelle, c’est une stratégie politique cohérente et assumée. Je le vois depuis des années : Viktor Orbán a lentement, méthodiquement, déconstruit les garanties du respect des droits humains dans le pays. La liberté de la presse est attaquée, le pouvoir judiciaire est affaibli, les ONG indépendantes sont harcelées. Et depuis 2020, une législation toujours plus sévère vise directement les droits des personnes LGBTQIA+ : interdiction de la reconnaissance légale des personnes transgenres, censure des manuels scolaires, interdiction de l’adoption pour les couples de même sexe, amendement constitutionnel définissant la famille comme l’union « d’un homme et d’une femme », etc.

Cette accumulation de lois hostiles n’est pas seulement une offensive idéologique : elle répond aussi à un calcul politique cynique. En désignant les minorités sexuelles et de genre comme boucs émissaires, le gouvernement détourne l’attention des difficultés économiques, muselle les voix dissidentes. Dans ce contexte, interdire la Pride devient un geste symbolique fort : c’est refuser à une communauté entière le droit d’exister publiquement, de se dire fière, de revendiquer l’égalité.

Dans les rues de Budapest, la Pride est un moment d’espoir. Un espace où l’on pouvait marcher sans se cacher. Le gouvernement l’a transformée en “provocation illégale”. Mais l’espoir, lui, n’est pas si facilement effaçable. Et ce 28 juin, les Hongroises et Hongrois comptent bien défiler avec fierté.

Ces mots sont ceux de Dávid Vig, directeur d’Amnesty International en Hongrie.

Mais que fait l’Union Européenne ?

Face à cette offensive contre les droits fondamentaux, la commissaire européenne à l’Egalité, Hadja Lahbib, écrivait sur les réseaux sociaux : « Chacun devrait pouvoir être ce qu’il est, vivre et aimer librement. Le droit de se rassembler pacifiquement est un droit fondamental qui doit être défendu dans toute l’Union européenne. Nous sommes aux côtés de la communauté LGBTQI, en Hongrie et dans tous les États membres ».

La défense de ce droit fondamental doit maintenant se traduire dans les faits, l’Union européenne ne peut plus se contenter de déclarations. Les États membres doivent aussi se faire entendre. Car il y a urgence : le 28 mai, une demande d’autorisation pourrait être déposée par les organisateurs et les organisatrices de la Pride pour qu’elle puisse avoir lieu ; la police aura alors 48 heures pour répondre.

La Commission européenne doit agir d’urgence. Les outils existent. Cela peut se faire soit en demandant une mesure provisoire à la Cour de justice de l’Union européenne le plus tôt possible, soit par le biais de la procédure d’infraction déjà en cours à cette même Cour contre la Hongrie, soit par le biais d’une nouvelle procédure d’infraction à l’encontre du nouveau paquet d’amendements.

Par ailleurs à moyen terme, l’article 7 du Traité sur l’Union européenne permet de sanctionner un État membre qui viole gravement les valeurs communes. Ce mécanisme a été enclenché contre la Hongrie dès 2018, mais reste enlisé. Il est temps de sortir de cette paralysie. Jusqu’à présent, la Commission est restée inactive : dans le dernier dossier d’infraction, la protection du droit de réunion pacifique fait cruellement défaut.

Car l’interdiction de la Pride ne concerne pas que la Hongrie. Ce qui est en jeu, c’est l’idée même de ce que signifie appartenir à l’Union européenne. Peut-on accepter qu’un État membre interdise une marche pacifique sous le faux prétexte qu’elle « corrompt la jeunesse » ? Peut-on se taire face à la réécriture autoritaire du droit de manifester, du droit d’être qui l’on est ? Nous ne le pensons pas.

Résister, encore

En tant que défenseures et défenseurs des droits humains, nous continuerons à marcher. Parce que la fierté, ce n’est pas une provocation : c’est une affirmation de dignité. Parce que céder serait accepter que l’égalité soit conditionnelle. Parce que, depuis Budapest, malgré les intimidations, il y a des personnes qui restent fières. L’Europe devrait rester à leurs côtés.

Dávid Vig, directeur de la section hongroise d’Amnesty International
Carine Thibaut, directrice de la section belge francophone d’Amnesty International
Wies De Graeve, directeur de la section flamande Amnesty International

Cette carte blanche a initialement été publiée sur le site du Soir

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