Les voisins se sont dressés contre les voisins pendant 100 jours, dans un bain de sang alimenté par une campagne diabolisant les membres de la minorité tutsi. Cette campagne s’est appuyée sur des émissions de radio pour propager la haine ethnique et l’incitation au meurtre.
Entre le début du génocide le 7 avril 1994 et la fin des massacres en juillet de la même année, environ 800 000 personnes ont perdu la vie. Des milliers d’autres ont été torturées, violées et soumises à d’autres formes de violence sexuelle. Les victimes étaient principalement des Tutsis, désignés pour être éliminés, mais aussi des Hutus opposés au génocide et aux forces qui l’ont orchestré.
Si le catalyseur immédiat des massacres fut l’assassinat du président de l’époque Juvenal Habyarimana, dont l’avion fut abattu au-dessus de Kigali dans la soirée du 6 avril, le génocide couvait depuis longtemps.
Depuis des années, les Hutus tenants de la ligne dure et les dirigeants hutus soufflaient sur les braises des tensions ethniques, avivant une stratégie devenue bien trop familière de par le monde : la désignation comme bouc émissaire d’un groupe de la société par un autre groupe. Ils ne se sont pas contentés d’une propagande et de discours populistes, mais ont dispensé des entraînements et distribué des armes à leurs partisans, notamment aux miliciens Interahamwe.
Malgré l’ampleur des atrocités commises, la communauté internationale n’est pas intervenue. Deux semaines après le début du génocide, face à des preuves accablantes, le Conseil de sécurité de l’ONU a voté la réduction du nombre de soldats de maintien de la paix au Rwanda, au lieu d’intensifier son action pour mettre un terme aux massacres.
Ce n’est qu’après que le Front patriotique rwandais (FPR) eut pris le contrôle du pays que les dirigeants du monde ont fini par retrouver la parole pour proclamer : « Plus jamais ça ».
Et pourtant, trop souvent, en cet anniversaire des plus douloureux, mes collègues et moi-même avons fait une pause pour faire le point et regarder en face la terrible réalité : le monde n’a pas tiré les leçons du génocide au Rwanda en 1994.
Au cours des 25 années qui ont suivi ce génocide, le monde a été témoin de crimes innombrables relevant du droit international, ainsi que de violations des droits humains, qui découlent bien souvent des mêmes politiques de diabolisation et stratégies d’exclusion. Lorsque les institutions nationales ne respectent pas l’état de droit et les droits humains, nous supposons que les organismes internationaux vont intervenir, mais ils ne sont en général pas assez puissants pour mettre un terme aux atrocités.
En août 2017, l’armée birmane a lancé une campagne de nettoyage ethnique dans l’État d’Arakan contre le groupe ethnique des Rohingyas, majoritairement musulmans, victimes depuis des décennies de discriminations et de persécutions cautionnées par l’État. Tandis que des villages étaient réduits en cendres, des femmes et des enfants violés et des milliers de personnes tuées, plus de 720 000 Rohingyas ont fui vers le Bangladesh voisin.
Et le mois dernier, la terrible attaque contre deux mosquées à Christchurch, en Nouvelle-Zélande, nous a rappelé le danger mortel que représentent des politiques de diabolisation qui se déchaînent à leur guise.
Cependant, nous pouvons tirer des enseignements importants de cette tragédie. La réponse de la Nouvelle-Zélande, au niveau politique et citoyen, nous rappelle également que se mobiliser collectivement et refuser de se laisser intimider par une idéologie de la haine est une grande force de changement.
En ce bien triste anniversaire, nous témoignons notre solidarité aux victimes, à leurs familles et aux survivants du génocide et nous associons à leur peine.
Si nous voulons rendre hommage à la mémoire des victimes du génocide au Rwanda, nous devons amener nos dirigeants à rendre des comptes et veiller à ce qu’ils tirent les leçons de l’incapacité à stopper ce génocide – à la fois dans leurs discours politiques au niveau national et dans leurs engagements internationaux. Exigeons la fin des politiques clivantes du « nous contre eux ».
« Plus jamais ça » doit enfin prendre tout son sens.