Droits et reconstruction

Un an après le séisme, le Népal encore en difficulté Par Aura Freeman, chargée de campagne d’Amnesty pour le Bangladesh, le Népal et les Maldives.

Un an après le séisme qui a dévasté le Népal, la reconstruction du pays est loin d’être terminée.

Nous étions sur la célèbre place Durbar à Kathmandou lorsque le sol a commencé à trembler. À proximité, deux temples se sont effondrés. Tout autour de nous, le bruit des bâtiments en train de tomber en ruines était accompagné des cris des personnes piégées en dessous. De la poussière tournoyait dans l’air tandis que les oiseaux affolés s’envolaient. Peu après, nous avons dû revivre ce moment terrifiant, lorsqu’une puissante réplique a tout secoué d’avant en arrière.

Entre les répliques incessantes, les gens se sont mis à fouiller frénétiquement dans les décombres pour tenter de secourir des survivants. Certains ont tourné leur attention vers nous, avec leur hospitalité inépuisable, pour s’assurer que nous étions sains et saufs. Un étranger m’a proposé une bouteille d’eau ; d’autres ont regretté que notre visite touristique se termine ainsi. Leur perte, bien entendu, était bien plus grande.

Amnesty International a constaté que la majorité des personnes dont l’habitation n’était plus qu’un tas de décombres s’abritaient encore sous les plaques de zinc et les bâches formant une fragile couverture

Selon les chiffres des autorités népalaises, quelque 9 000 personnes ont péri et plus de 600 000 logements ont été complètement détruits. Au bout d’un an, des milliers de personnes demeurent sans domicile. Lors d’une récente mission de recherche dans les districts de Rasuwa, Nuwakot et Dolakha, Amnesty International a constaté que la majorité des personnes dont l’habitation n’était plus qu’un tas de décombres s’abritaient encore sous les plaques de zinc et les bâches formant une fragile couverture. Là où des villages avaient été anéantis, leurs anciens habitants languissaient toujours dans des camps en bord de route.

La lenteur de la reconstruction par le gouvernement du Népal constitue de fait une privation du droit à un logement convenable pour les personnes qui demeurent sans domicile un an après le séisme. Les fonds ne manquent pas : les partenaires du développement ont promis plus de 4 milliards de dollars pour la reconstruction. Cependant, l’Autorité nationale de reconstruction s’est heurtée à des querelles politiques pendant 10 mois et vient juste de commencer à reconstruire des logements. À l’approche de la mousson, la reconstruction qui devrait démarrer pour de bon un an après le séisme va bientôt s’arrêter à nouveau – et pourrait rester inachevée au prochain anniversaire de cette catastrophe.

Plusieurs personnes interrogées nous ont affirmé qu’elles avaient droit à 200 000 roupies népalaises (environ 1 600 euros), mais ne savaient pas où aller chercher cet argent

Les autorités ont également manqué d’informer les personnes touchées de l’aide à laquelle elles ont droit. Plusieurs personnes interrogées nous ont affirmé qu’elles avaient droit à 200 000 roupies népalaises (environ 1 600 euros), mais ne savaient pas où aller chercher cet argent. Dans le village de Singati (district de Dolakha), qui a été décimé par un second séisme le 12 mai 2015, les habitants ont été invités à ouvrir un compte pour recevoir l’aide dans une banque provisoire. L’une après l’autre, les personnes qui faisaient la queue ont rempli lentement des formulaires complexes et utilisé leurs empreintes digitales pour signer le contrat, puis se sont vu remettre un reçu en anglais leur recommandant d’appeler un numéro pour récupérer leur chéquier et leur carte. Une jeune femme, qui avait marché toute une journée avec son bébé depuis son village pour rejoindre la banque, s’est tournée vers nous après avoir obtenu son reçu et nous a dit en népalais : « Je ne sais pas lire en anglais. »

Lors d’entretiens avec l’équipe d’Amnesty International dans les trois districts visités, les personnes touchées ont invariablement déclaré que les 200 000 roupies ne suffisaient absolument pas pour construire une maison capable de résister aux séismes. De plus, l’argent arrivera en trois tranches correspondant aux étapes de la construction d’une maison, qui doivent chacune être approuvées par un ingénieur désigné. Même si les familles rationnent soigneusement les fonds, y compris l’argent reçu au moyen de prêts à bas taux proposés par le gouvernement, en consacrant la totalité à la maison et sans céder à la tentation compréhensible de compléter leurs maigres revenus, elles ne pourront toujours pas avoir un logement totalement reconstruit.

Les autorités n’ont pas davantage pensé aux droits spécifiques des groupes marginalisés, notamment des populations indigènes et des communautés de caste inférieure, qui font partie des plus durement touchés par le séisme. Le nord du district de Rasuwa, qui a été décimé, est le lieu où vivent traditionnellement les Tamangs, un peuple indigène. Comme d’autres communautés touchées, ils n’ont jamais été consultés sur le processus de reconstruction et n’ont pas de moyen de s’exprimer au sein de l’Autorité nationale de reconstruction. Une femme tamang a indiqué à Amnesty International que les autorités leur avaient dit d’aller s’installer à un endroit «  situé en pleine jungle, où il n’y a pas d’école pour les enfants ». Dans ce cas et d’autres, les habitants ont dû construire eux-mêmes des abris de fortune sur des terrains privés et payer un loyer.

Le gouvernement népalais reconnaît que la mousson n’est pas une période adaptée pour les travaux. Comment, alors, des personnes déplacées pourraient-elles supporter une pluie battante sous des bâches usées ou dans des huttes en terre ? Tant que des habitations capables de résister aux séismes ne pourront pas été complètement reconstruites, il faut leur fournir des logements temporaires abordables qui peuvent les protéger des éléments, et leur permettre d’accéder à des installations sanitaires adéquates. Une attention particulière doit être portée aux droits des minorités indigènes, des personnes handicapées, des femmes, des enfants, des personnes âgées et de toutes les personnes ayant besoin d’une protection physique renforcée. Il faut également les informer, dans une langue qu’elles comprennent, des possibilités d’accès à d’autres formes d’aide. Si la transparence est accrue, l’aide deviendra moins sujette aux abus et à la corruption – ce à quoi les pays donateurs doivent contribuer.

Jusqu’à présent, la population du Népal supporte ses pertes avec une patience pour laquelle elle est réputée à juste titre, mais il ne faut pas en profiter, ni la mettre davantage à l’épreuve.

Témoignage de Om Bahadur Silwal, paysan népalais

Je suis paysan. Je vis à Lele, dans le district de Lalitpur, dans la région du Centre, au Népal.

Je me trouvais juste devant chez moi lorsque le sol s’est mis à trembler. J’étais sur le point de me laver les mains après avoir mangé, au bord du champ, lorsque tout le monde s’est mis à crier : « Il arrive ! » J’ai couru jusqu’à une clairière et j’ai regardé ma maison – crack – s’effondrer.
À ce moment-là, j’ai pensé « Ma maison a disparu » et c’était comme si moi aussi, j’avais disparu. J’avais le sentiment que mes parents étaient morts. Mais il était inutile de pleurer.

Cette nuit-là, j’ai dormi dans les champs. J’ai fabriqué un abri de fortune en toile. Nous étions très nombreux dehors. Nous avons cuisiné et mangé là. C’est comme ça depuis un an maintenant. Et ma maison – la maison en terre que j’avais laborieusement construite – comment faire pour en construire une autre alors que je n’ai plus de source de revenus ? Si le gouvernement a promis qu’il donnerait de l’argent, nous perdons espoir de le voir arriver un jour.

Nulle part où se cacher

Le tremblement de terre a changé ma vie. Je cultivais ma propre terre et je travaillais pour d’autres. Pour qui travailler aujourd’hui ? Tout le monde est dans la même situation. Les gens disent « Venez travailler » et donnent ce qu’ils peuvent pour le déjeuner, mais il n’y a rien à manger pour le dîner, personne n’a d’argent pour payer. Où pourraient-ils trouver l’argent ?


Une maison endommagée par le tremblement dans le district de Dolakha, dans la région du Centre, au Népal. Le 25 avril 2015, un séisme de magnitude 7,8 sur l’échelle de Richter a frappé le Népal. Il a été suivi par un second séisme, de magnitude 7,3 le 12 mai 2015. Au total, 604 930 bâtiments ont été totalement détruits et 288 856 partiellement endommagés à travers le Népal. © Amnesty International

C’est le problème au village. Tout est en ruines. Nous nourrissions l’espoir que le gouvernement contribuerait à la reconstruction. Cet espoir est brisé. Le gouvernement ne cesse de dire qu’il donnera, qu’il donnera, mais qui sait quand ? Et maintenant la mousson est arrivée et notre abri provisoire va être emporté par le vent. Vous voyez ? Les abris de toile se déchirent déjà. Et comme lors du tremblement de terre du 25 avril, nous n’aurons plus rien.

Après avoir travaillé toute la journée, nous avons besoin d’un endroit où nous reposer. Même les oiseaux après avoir volé tout le jour se reposent, s’abritent dans la cavité d’un arbre. Nous leur ressemblons : après une journée de travail, après avoir gagné un peu d’argent, nous avons besoin d’un lieu où nous reposer. Or, nous n’avons pas d’abri. Tout notre stress tourne autour du logement.

Pas d’argent

Mon épouse est partie vivre avec ma fille dans le sud du Népal, et je dors dans la maison en ruines. Mes fils ne vivent pas avec moi, et le soir mon fils et ma belle-fille m’apportent un repas.

Je parle de construire une maison, je ne sais pas où mettre la terre et les pierres de l’ancienne bâtisse. L’argent que le gouvernement est censé donner n’est toujours pas là. Je n’ai même pas de quoi m’acheter du thé.

Que demander au gouvernement ? Les écoles sont toujours endommagées, les lieux de culte toujours en ruines. Si l’on en croit le vieux dicton, il ne faut pas dire aux pauvres que vous allez leur donner. Pourtant, c’est ce qu’a fait le gouvernement.

Il y a eu une secousse sismique récemment. Mon frère aîné et mon fils aîné m’ont dit : «  Un tremblement de terre, sors, sors. » J’ai pensé : « Non, même si je vis, que verrai-je maintenant ? Qu’est-ce que j’aurai à manger ? Il ne reste que ce chaos pitoyable. » Je me suis dit : « Si je dois mourir, je mourrai  », et je suis resté dans la maison.

Un an après le tremblement de terre d’avril 2015 au Népal, la plupart des victimes continuent de vivre dans des logements provisoires, de fortune. Leur droit à un logement décent est bafoué, conséquence de la lenteur de la reconstruction après le désastre. Les solutions de relogement proposées par le gouvernement sont inabordables, le coût de construction de bâtiments antisismiques étant largement supérieur aux sommes allouées aux victimes pour reconstruire leur logement. L’accessibilité est l’un des éléments clés du droit à un logement décent.


Un camp pour les personnes déplacées à Nuwakot, dans la région du Centre, au Népal. Les séismes et les répliques ont fait 8 856 morts et 22 309 blessés. © Amnesty International

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