La solution face au trafic de stupéfiants au Sri Lanka

Maru Sira, de son vrai nom D.J. Siripala, est mort à la prison de Bogambara, à Kandy, le 7 août 1975. Il a été exécuté par pendaison, sur ordre de l’État. Il avait été déclaré coupable par contumace de meurtre. Son exécution a suscité la controverse : inconscient lorsqu’il a été conduit à la potence, il a été placé sur une civière à travers la trappe, la corde autour du cou. Son inertie et la courte chute de seulement 70 cm, alors qu’elle est habituellement de 1,80 m, auraient causé la mort par asphyxie résultant d’une lente strangulation. S’il s’était tenu debout, sa mort aurait été instantanée. D’après certaines informations, il est décédé au bout de 18 minutes en raison de la manière dont son exécution a été menée.

Le caractère horrible de cette exécution a valu à Maru Sira une certaine renommée, bien plus sans doute que s’il avait continué de vivre. Son exécution lui a assuré une place dans le folklore, d’un point de vue artistique et cinématographique, en raison de la manière cruelle dont la vie lui a été ôtée, sous l’égide de la loi.

De fait, le Sri Lanka n’a procédé à aucune exécution depuis 1976 et est abolitionniste dans la pratique. En cela, le pays s’inscrit dans la tendance mondiale qui consiste à se détourner de ce châtiment cruel. Fin 2018, 106 pays dans le monde avaient totalement aboli la peine de mort dans leur législation nationale et 142 sont désormais abolitionnistes en droit et en pratique. On note une baisse de 31 % du nombre d’exécutions recensées au cours de l’année 2018 – soit le plus faible total enregistré par Amnesty International au cours des 10 dernières années. Ces chiffres ne tiennent pas compte des milliers d’exécutions qui selon toute vraisemblance continuent de se dérouler en Chine.

Si le Sri Lanka a cessé de procéder à des exécutions, depuis juillet 2018, le président Maithripala Sirisena a exprimé publiquement sa volonté de reprendre les exécutions dans le pays, après 43 ans d’interruption.

Cette annonce a été suivie de plusieurs mesures alarmantes visant à procéder à des exécutions au cours des six derniers mois. Hormis le fait que l’État n’en a pas pratiqué depuis plus de 40 ans, les critères pour reprendre les exécutions au Sri Lanka demeurent plus que problématiques.

Le président Maithripala Sirisena a parfois affirmé que les premiers à être exécutés seront ceux qui (a) sont sous le coup d’une condamnation à mort pour des infractions liées aux stupéfiants ; (b) se livrent au trafic de stupéfiants depuis l’intérieur des prisons et (c) sont des ressortissants sri-lankais (ce dernier critère a été ajouté après qu’on a découvert que quatre Pakistanais déclarés coupables d’infractions liées aux stupéfiants ne seraient pas inscrits sur la liste). Le ministère de la Justice aurait envoyé une liste de 13 noms au président, à sa demande. On ignore encore si les malheureux qui figurent sur cette « liste de la mort » en ont été informés ou s’ils sont préparés au sort qui semble désormais leur être réservé.

Venant s’ajouter à cette incertitude, on ignore comment le président déterminera quels condamnés à mort se livrent au trafic de stupéfiants depuis l’intérieur des prisons (ce qui constitue une infraction distincte pour laquelle il faudra une décision judiciaire distincte). En vue de garantir le respect du droit à un procès équitable, ce ne sont ni les autorités carcérales ni le ministère de la Justice qui peuvent établir si une personne a réellement commis une infraction, mais une cour de justice.

Comme dans la plupart des pays, le système judiciaire pénal au Sri Lanka est loin d’être parfait, la torture et autres violences étant monnaie courante en détention.

Il s’agit là de principes bien établis, à la fois en droit national et en droit international. Une grande ambiguïté entoure la sélection des 13 détenus devant être exécutés. En février 2019, 48 personnes se trouvaient dans le quartier des condamnés à mort pour des infractions liées à la législation sur les stupéfiants, alors que ces infractions n’entrent pas dans la catégorie des « crimes les plus graves » qui seuls, au regard du droit international, peuvent emporter la peine capitale dans les pays n’ayant pas encore aboli ce châtiment. En outre, au moins six nouvelles condamnations à mort ont été prononcées en 2018 pour de telles infractions.

Comme dans la plupart des pays, le système judiciaire pénal au Sri Lanka est loin d’être parfait, la torture et autres violences étant monnaie courante en détention. La Commission des droits humains du Sri Lanka l’a souligné dans le rapport qu’elle a présenté au Comité contre la torture en 2016, en ces termes :

«  La torture est régulièrement utilisée dans toutes les régions du pays, indépendamment de la nature de l’infraction présumée pour laquelle le suspect est arrêté. Par exemple, des personnes soupçonnées de vol qualifié, possession de drogue, coups et blessures, chasse au trésor, conflit avec la famille ou l’époux, sont soumises à la torture. La culture de l’impunité qui prédomine vis-à-vis des personnes accusées de torture est aussi un facteur qui contribue au recours régulier à la torture comme méthode d’interrogatoire et d’investigation ». Commission des droits humains du Sri Lanka, 2016.

Par ailleurs, la Commission des droits humains du Sri Lanka et le rapporteur spécial de l’ONU sur l’indépendance des juges et des avocats ont mis en avant d’autres lacunes au sein du système de justice pénale, qui pointent une possible violation des garanties d’une procédure régulière et du droit à un procès équitable au Sri Lanka. Des études menées dans différents pays montrent aussi que la peine capitale est prononcée de manière disproportionnée contre les citoyens issus de milieux économiques défavorisés ou appartenant à des minorités ethniques ou religieuses. Le Haut-Commissariat aux droits de l’homme des Nations unies a également noté que la peine de mort affecte de manière disproportionnée les personnes vivant dans la pauvreté.

Un autre problème se fait jour lorsque l’on cherche à savoir si la criminalité liée aux stupéfiants serait résolue grâce à des exécutions. En effet, il n’existe aucun élément prouvant que la peine de mort ait un effet dissuasif particulier sur la criminalité. En fait, des éléments prouvent que certains pays commencent à le comprendre. En Iran, le recours à la peine de mort pour les infractions liées aux stupéfiants a été limité en janvier 2018, l’État ayant pris conscience qu’elle n’a pas d’effet dissuasif sur ce type d’infractions – lors même que l’Iran procède à de nombreuses exécutions pour tout un éventail de crimes.

S’agissant des infractions liées à la législation sur les stupéfiants, la peine capitale bafoue le droit international et les normes en la matière, et n’a que peu d’effet sur le fléau qu’elle est censée résoudre.

Il faut donc chercher ailleurs les réponses aux problèmes liés au trafic de stupéfiants. L’Office des Nations unies contre la drogue et le crime a montré que, malgré des lois pénales sévères, le trafic de drogue est un business en plein boom, tandis que les violations des droits humains se généralisent dans le cadre de la « guerre contre la drogue ». Malgré de lourdes peines, dont la peine capitale, les politiques punitives sont reconnues par les organismes de l’ONU comme inefficaces pour faire baisser le trafic ou résoudre les problèmes associés à la consommation, la production et la vente de stupéfiants « et continuent de saper les droits humains et le bien-être des consommateurs de drogues, de leurs familles et de leurs communautés. »

Pour trouver des solutions efficaces et durables aux problèmes que pose le trafic de stupéfiants, il faut s’attaquer aux causes profondes du fléau. Les gouvernements doivent prêter une attention toute particulière aux facteurs socio-économiques sous-jacents qui conduisent des personnes à participer au trafic de drogue, notamment des problèmes de santé, l’absence d’éducation, le chômage, l’absence de logement, la pauvreté et la discrimination. En plaçant la protection de la santé publique et les droits humains au cœur des politiques relatives aux stupéfiants, les gouvernements se trouveraient en bien meilleure position pour apporter des réponses à d’autres préoccupations de longue date – garantir l’égalité et la non-discrimination, et éviter les violences induites par le commerce illicite des stupéfiants.

Il importe tout autant de s’attaquer aux injustices profondément ancrées dans le système judiciaire pénal qui se traduisent par des répercussions disproportionnées sur les populations marginalisées. En ce sens, une mesure décisive consiste à abolir la peine de mort pour les infractions liées aux stupéfiants, à titre de premier pas vers l’abolition totale de ce châtiment cruel. En outre, les gouvernements doivent s’efforcer de modifier les lois pénales et envisager la mise en œuvre d’alternatives à la criminalisation des infractions mineures et non violentes liées aux stupéfiants, qui touchent principalement les personnes appartenant à des groupes marginalisés, bien souvent des femmes et des membres de minorités ethniques ou autres.

Pour sûr, le commerce illicite de la drogue confère un immense pouvoir de corruption aux bandes criminelles organisées ; il convient d’y remédier. Mais tant que les gouvernements n’investissent pas dans des politiques qui font la part belle à la protection de la santé et des droits humains, l’interdiction générale des stupéfiants reviendra à mener une guerre contre les personnes, touchant particulièrement les groupes les plus pauvres et les plus marginalisés de la société.

Reprendre les exécutions serait une mise en accusation de notre société, mais également un sombre chapitre de l’histoire du Sri Lanka, un chapitre que nous aurions bien du mal à expliquer aux générations futures. Au lieu de privilégier des réponses punitives et répressives pour combattre les problèmes associés aux stupéfiants, le gouvernement doit explorer de nouveaux modèles de réglementation qui placent la protection de la santé et des droits humains au cœur de son action.

Cet article a été initialement publié sur Groundview.

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