Il y a 25 ans jour pour jour, Faysal Baraket était torturé à mort dans un poste de police de la ville côtière de Nabeul après avoir dénoncé des brutalités policières. Il n’avait que 25 ans et étudiait les mathématiques et la physique à l’université de Tunis.
Le cas de Faysal Baraket est emblématique de la torture et des mauvais traitements généralisés devenus la marque de fabrique du régime du président Zine el Abidine Ben Ali, et montre jusqu’où les autorités tunisiennes étaient prêtes à aller pour entraver les investigations et couvrir les crimes commis par des agents de l’État. Pour la famille de Faysal, la douleur qui a accompagné sa perte est aggravée par l’injustice qui continue de planer sur cette affaire.
Un quart de siècle plus tard, pas une seule personne soupçonnée d’avoir commis, ordonné ou cautionné les tortures infligées à Faysal Baraket n’a été déférée à la justice. Dans le cadre de l’enquête judiciaire en cours, ouverte en 2009 – la quatrième dans cette affaire – certains policiers ont été convoqués pour interrogatoire, mais aucun ne s’est présenté devant le juge en charge de l’enquête sur le décès de Faysal Baraket. Son frère Jamel affirme qu’ils « continuent de vivre une vie normale sans avoir à se cacher, au mépris de la justice ».
Après le renversement de Ben Ali, l’enquête semblait devoir progresser. La dépouille de Faysal Baraket a été exhumée en mars 2013, en présence de sa famille, de juges et de médecins légistes tunisiens, du médecin légiste britannique Derrick Pounder et de délégués d’Amnesty International. Son exhumation a révélé des éléments médicolégaux supplémentaires attestant d’actes de torture, qui ont été ajoutés au dossier, faisant naître l’espoir qu’enfin, justice serait rendue pour son homicide. Pourtant, trois ans plus tard, aucune conclusion n’a été dévoilée et les espoirs d’avancer s’estompent.
Faysal Baraket, qui était membre du parti d’opposition islamiste Ennahda (Renaissance), alors interdit, avait critiqué lors d’un entretien télévisé, diffusé le 8 mars 1991, la façon dont le gouvernement avait géré les affrontements entre policiers et étudiants qui avaient coûté la vie à plusieurs étudiants. Il a été contraint d’entrer en clandestinité et condamné par défaut à six mois de prison pour, entre autres chefs d’accusation, appartenance à une organisation interdite. Sept mois plus tard, le 1er octobre, des policiers ont arrêté son frère Jamal, semble-t-il afin de faire pression sur Faysal pour qu’il se rende. Jamal a été torturé de manière répétée durant sa détention. Moins d’une semaine plus tard, Faysal Baraket a été interpellé à l’endroit où il se cachait.
Après la mort de Faysal Baraket, les autorités tunisiennes se sont efforcées d’occulter les tortures qu’il avait subies, affirmant qu’il était mort dans un accident de voiture. Cependant, dès janvier 1992, Amnesty International a recueilli des informations auprès de témoins disant l’avoir entendu hurler lorsqu’il a été frappé et torturé pendant des heures au poste de police de Nabeul. Ils l’ont ensuite vu effondré dans un couloir, sans connaissance. Son corps était contorsionné dans la position dite du « poulet rôti » – méthode de torture où la victime est ligotée, les mains et les pieds attachés ensemble, à une barre horizontale. Son visage portait des hématomes et il avait des entailles autour des yeux.
Un rapport d’autopsie obtenu par Amnesty International et examiné par l’expert médicolégal renommé Derrick Pounder, a révélé que Faysal avait été violé à l’aide d’un objet et roué de coups sur les pieds et les fesses. Ses blessures résultaient de violences corporelles répétées et systématiques. Derrick Pounder a conclu que la mort du jeune homme n’avait pas pu être causée par un accident de la circulation.
Il est totalement indéfendable que face à des preuves aussi accablantes et après tant d’années, personne n’ait eu à rendre des comptes pour sa mort. Ce n’est qu’après la chute du régime du président Ben Ali que l’exhumation de la dépouille de Faysal Baraket a enfin eu lieu – 14 ans après la recommandation du Comité contre la torture de l’ONU.
Toutefois, le risque est que cet héritage d’impunité ne continue d’alimenter la torture et les mauvais traitements en Tunisie aujourd’hui. En janvier 2016, Amnesty International a recueilli de nouveaux éléments attestant de morts en détention et de cas de torture, qui démontrent que ces crimes perdurent. Depuis 2011, dans au moins six cas de mort en détention, aucune investigation digne de ce nom n’a été menée et aucune poursuite pénale n’a été engagée.
Il est grand temps pour la Tunisie de rompre avec son passé et de rendre justice à la famille de Faysal Baraket et aux nombreuses victimes torturées sous le régime de Ben Ali, ainsi qu’à ceux qui ont été torturés depuis sa chute.
Les autorités tunisiennes doivent coopérer pleinement avec les enquêtes judiciaires sur les cas de morts en détention et de torture, notamment en veillant à ce que les membres des forces de sécurité convoqués pour interrogatoire comparaissent devant les enquêteurs. Il convient de mener des enquêtes judiciaires approfondies, indépendantes et impartiales, avec la diligence requise. Pour que ces violences cessent, les auteurs présumés doivent être déférés à la justice.
Alors seulement, il sera possible de rétablir la confiance de la population tunisienne dans la justice et les forces de sécurité.
Cet article a été initialement publié par le Huffington Post Maghreb