Tentez votre chance : pourriez-vous survivre si vous étiez migrant ?

Des personnes souffrent et meurent à nos frontières, arrêtons ça !

Par Camille Roch

Vous êtes journaliste et militant défenseur des droits des personnes LBGTI, poursuivi dans votre pays en raison de votre travail. Vous êtes en fuite et vous vous cachez de la police dans l’espoir de quitter le pays pour ne pas être emprisonné... Si vous étiez dans cette situation, que feriez vous maintenant ?

Le joueur lance les dés et avance. La police arrive chez vous et vous devez vous échapper rapidement. Vous avez 15 secondes pour décider : qu’emmenez-vous ?

Ce sont les questions qu’Alenka Mrakovcic, 23 ans, a posées aux participants du jeu de société à taille humaine qu’elle a installé dans les rues de Ljubljana, en Slovénie. La jeune coordinatrice des bénévoles de la campagne SOS Europe et son équipe ont créé un jeu d’immersion pour que les gens comprennent les différentes histoires des milliers de réfugiés qui quittent leur pays pour gagner l’Europe.


[argent]Un participant du jeu lance les dés pour découvrir la suite de l’histoire de son personnage de réfugié, place Prešeren, Ljubljana, Slovénie, 17 juin 2014, © Amnesty International Slovénie (Bojan Stepan ?i ?)[/argent]

« J’ai l’impression que la plupart des gens n’entendent pas vraiment parler des histoires des réfugiés », dit-elle. « Tout comme moi avant que je commence à travailler sur la campagne SOS Europe, les gens ne savent que peu de choses du parcours des migrants ou des raisons qui les ont poussés à tout quitter pour gagner l’Europe », explique Alenka.

Depuis qu’elle a commencé à travailler comme militante il y a trois ans, Alenka a essayé de trouver le meilleur moyen de transmettre ce qu’elle a appris sur l’immigration. « Ici, c’est assez difficile d’arrêter les gens dans la rue pour leur parler de la campagne. L’immigration n’est pas perçue comme un problème important parce que, contrairement à d’autres pays, il n’y a pas beaucoup d’arrivées ici. Pourtant je pense qu’il est important que les gens entendent parler du voyage des migrants et qu’ils apprennent des choses sur les préjugés et les stéréotypes qu’ils peuvent avoir ».

« Pour cela, il nous fallait une idée, quelque chose de nouveau et de provocateur, quelque chose qui arrêterait les gens et les ferait réfléchir ».


[argent]Les dés qui révèleront les scénarios aux joueurs, place Prešeren, Ljubljana, Slovénie, 17 juin 2014, © Amnesty International Slovénie (Bojan Stepan ?i ?)[/argent]

Quatre histoires, un nombre infini de possibilités

À mi-chemin entre le jeu de rôle et le jeu de hasard, l’outil d’Alenka est conçu pour un grand nombre de participants et de scénarios. Au début de chaque tour, les joueurs se voient attribuer au hasard l’une des quatre histoires principales qui constituent la base de l’intrigue : ils peuvent être soit un journaliste, soit un jeune garçon, une femme ou une mère, en route pour traverser la Méditerranée ou les Balkans. Les joueurs lancent ensuite les dés pour avancer. Les cases de couleur fournissent des informations sur la suite de l’histoire de leur personnage.


[argent]Pour la Journée des réfugiés, des bénévoles expliquent les règles du jeu de société à taille humaine à des passants, place Prešeren, Ljubljana, Slovénie, 17 juin 2014, © Amnesty International Slovénie (Bojan Stepan ?i ?)[/argent]

« Les cases rouges signifient que votre personnage va rencontrer des obstacles et les cases vertes symbolisent quelque chose de positif ou de nouvelles informations pour votre personnage. En revanche, il faut éviter les cases avec une croix qui vous mettent dans une situation désespérée marquant la fin du jeu ou la déportation de votre personnage » explique Alenka.

Alenka étudiait les arts du spectacle et le théâtre. Inspirée par une performance basée sur un concept similaire dont elle se souvenait, elle a développé un outil qui pourrait fournir autant d’informations que possible tout en assurant une forte participation. Avec une équipe, elle a rassemblé des rapports, des informations et des témoignages sur le voyage de migrants se rendant en Europe, afin de créer des scénarios fictifs basés sur des faits réels. Pour écrire l’intrigue du jeu, l’équipe a tenu compte des endroits, des routes, des transports et des procédures administratives auxquels les migrants sont confrontés.


[argent]Chacune des 21 cases colorées du jeu révèle un scénario différent pour le voyage du personnage des joueurs vers l’Europe, place Prešeren, Ljubljana, Slovénie, 17 juin 2014, © Amnesty International Slovénie (Bojan Stepan ?i ?)[/argent]

Alenka et son équipe ont introduit des situations difficiles et des dilemmes pour montrer les dangers mais également le coût de ces voyages.

« Je comprends que certaines personnes soient troublées par le fait que ce type de situation puisse réellement exister. Lorsque nous avons installé le jeu sur la place principale de Ljubljana pour la Journée des réfugiés, quatre célébrités locales sont venues nous voir et ont participé. Je me souviens que l’une d’entre elles a dit : "Pour moi, c’est un jeu, mais quand je m’imagine que cette situation pourrait être bien réelle pour quelqu’un d’autre, cela me fait de la peine." Le jeu permet aux participants de se mettre à la place de quelqu’un d’autre et de comprendre les difficultés que cette personne rencontre. C’est quelque chose que les gens ne feraient pas forcément sinon. »

« Avec ce jeu, nous voulions permettre aux gens de voir l’immigration sous un autre angle pour qu’ils puissent se demander « qu’est-ce que je ferais si j’étais dans cette situation ? » ou qu’ils réalisent que « cela aurait pu être moi ». Notre jeu est fait pour être provocateur. »

Proposer le jeu dans les salles de classe

Alenka et son équipe ont travaillé avec Amnesty International Slovénie pour créer une autre version du jeu pour les enfants et les élèves à l’école. Il se présente sous la forme d’un jeu de l’oie et représente le voyage d’un garçon somalien qui souhaite venir en Slovénie. « De cette manière, il est plus facile pour les enfants de s’identifier à l’histoire  », explique Alenka.


[argent]Modèle de plateau du jeu « Begunec, ne jezi se ! », inspiré du jeu de l’oie et distribué aux élèves et aux enseignants, © Amnesty International Slovénie.[/argent]

Les 9 et 10 mai 2015, le jeu a été utilisé comme support pour les activités d’éducation aux droits humains d’Amnesty International Slovénie lors de l’évènement annuel « Chemin du fil barbelé ». Cette marche est l’une des plus grandes manifestations commémoratives du pays et rassemble chaque année 30 000 personnes pour commémorer la fin de l’occupation de Ljubljana pendant la Seconde Guerre mondiale.

Le jeu pour enfants a été distribué dans des écoles avec un modèle d’atelier participatif que les enseignants peuvent utiliser en classe. « Les élèves ici n’ont pas vraiment de contact avec les migrants et leur histoire, par conséquent ils peuvent avoir beaucoup de préjugés et de craintes. Ce jeu et cet atelier peuvent nous aider à présenter les choses aux enfants sous un autre angle  », explique Ana Cemazar à Amnesty International Slovénie.

« Le jeu et l’atelier donnent aux élèves une chance de se rendre compte des obstacles physiques et administratifs auxquels les migrants sont confrontés au cours de leur voyage vers l’Europe. Après cette activité, les évaluations des élèves ont montré qu’ils étaient plus sensibilisés au sujet. Ils ont dit qu’ils avaient réalisé à quel point le voyage vers l’Europe pouvait être dangereux et coûteux pour les personnes qui n’ont pas d’autre choix que celui de quitter leur pays », déclare Ana.

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