La fin de la guerre froide a provoqué d’immenses bouleversements dans toute l’Afrique.
En Zambie, elle a marqué le retour au multipartisme après 18 ans d’un régime à parti unique. Face au soulèvement populaire de 1990, le président Kenneth Kaunda a levé l’interdiction des partis politiques, avant d’être évincé par Frederick Chiluba, dirigeant du Mouvement pour le pluralisme démocratique (MMD).
La lutte en faveur de la libre expression d’opinions diverses s’est étendue à d’autres pays du continent, comme l’Afrique du Sud, qui s’est affranchie du joug colonial et de l’apartheid en 1994.
Cependant, bientôt 30 ans après la fin de la politique du parti unique en Zambie, nous voyons les libertés d’expression, d’association et de réunion pacifique s’amenuiser constamment, et les acquis s’éroder de façon inquiétante.
Le dernier exemple en date concerne un rassemblement public qui devait se tenir le 16 mai à la cathédrale Sainte-Croix de Lusaka et que l’Église a annulé sous les pressions politiques. L’objectif de cette manifestation, organisée par trois femmes, était de débattre de la situation du pays, y compris le chômage, la violence, la dégradation des soins de santé et la corruption.
Avant l’annulation, l’information a été largement relayée sur Twitter, sous le hashtag #kwatha (qui signifie « c’est fini » ou « ça suffit », selon le contexte). La manifestation a également été annoncée sous le hashtag #WhatisyourNO, qui pose la question rhétorique de savoir à quoi la population dirait « non » parmi les problèmes qui gangrènent actuellement le pays, notamment la faim, la violence et la corruption.
À l’instar de nombreuses autres Zambiennes, les organisatrices étaient préoccupées par les conséquences de la pauvreté pour les femmes. Elles prévoyaient de se présenter à la cathédrale en tenue de deuil, un cierge à la main.
Le choix de ce lieu leur permettait de contourner la tristement célèbre Loi relative à l’ordre public, dont la police zambienne use pour priver les potentiels détracteurs du régime de leur droit de se réunir publiquement.
Bien que les gouvernements successifs se soient appuyés sur [la Loi relative à l’ordre public] pour étouffer le débat public, la tendance s’est accentuée sous le gouvernement actuel : de plus en plus de réunions sont perturbées par la police ou des cadres du parti au pouvoir, le Front patriotique, qui dictent visiblement leur propre loi.
En septembre 2017, des cadres du Front patriotique ont attaqué, au vu et au su de la police, des militants pacifiques qui protestaient contre ce qu’ils considéraient comme l’achat frauduleux de 42 camions de pompier pour un montant de 42 millions de dollars des États-Unis.
Six militants, Fumba Chamba (un chanteur couramment appelé Pilato), Lewis Mwape, Laura Miti, Sean Enock Tembo, Bornwell Mwewa et Mika Mwambazi, ont été arrêtés et inculpés de « désobéissance à des ordres légitimes » ; ils ont plaidé coupable. Leur procès doit s’ouvrir le 25 juin.
Pilato a été arrêté le 16 mai dès son atterrissage à l’aéroport international Kenneth Kaunda, ce qui constitue un scandaleux affront à la justice. Il rentrait d’Afrique du Sud, où il s’était réfugié en janvier après avoir reçu des menaces en rapport avec sa chanson Koswe Mumpoto (« un rat dans la marmite »), qui a été perçue comme une critique visant le président Edgar Lungu.
Les Zambiens qui dénoncent ouvertement les abus de pouvoir et les violations des droits humains payent un tribut de plus en plus lourd. Il est tout aussi inquiétant d’en constater les répercussions sur le travail des défenseurs des droits humains et la liberté d’expression.
Nous savons que les Zambiens qui remettent en cause l’action du gouvernement ou tentent d’exprimer leurs opinions divergentes en public, comme les organisatrices de la manifestation qui devait se dérouler à la cathédrale Sainte-Croix, sont dénigrés sur des plateformes telles que WhatsApp et décrits comme des traîtres.
Ils sont la cible de personnes qui, sous couvert d’anonymat, tentent de les dissuader de tenir ce type de rassemblement. Ils se rendent compte qu’ils ne peuvent plus gagner leur vie ou découvrent que les enfants ont été retirés de l’école sans explication.
Ces manœuvres d’intimidation et actes de harcèlement créent un climat de peur au sein de la population.
Le silence ne sera que plus assourdissant si nous ne résistons pas à cette tentative éhontée d’écraser les libertés et de museler les critiques. Il ne faut pas que la Zambie puisse redevenir un pays où le respect des droits humains et de l’état de droit sont l’exception et non la règle.
Les Zambiens ont tout à gagner et rien à perdre de la tradition de respect des libertés qui a presque toujours caractérisé le pays depuis son indépendance.