Les travailleurs·euses migrants ne doivent pas être abandonnés à leur sort

Népal_travailleurs migrants

Les travailleuses et travailleurs migrants ont contribué à maintenir l’économie à flot. Aujourd’hui, c’est au tour du gouvernement de leur rendre la pareille.

Babu Ram Pant, chargé de campagne sur l’Asie du Sud à Amnesty International

Si le gouvernement du Népal prend des mesures afin de protéger la population contre la propagation du coronavirus COVID-19 à l’intérieur du pays, il ne semble guère se préoccuper de ses ressortissants qui vivent à l’extérieur de ses frontières – les millions de travailleuses et travailleurs migrants employés dans les pays du Golfe, la Malaisie et ailleurs encore. Par les temps qui courent, leurs conditions de vie sont précaires.

On ignore s’ils seront en mesure de rentrer au Népal sous peu ou resteront bloqués dans les pays où ils sont employés, loin de leurs familles. Durant cette période, alors que les États adoptent des mesures de confinement, pourront-ils prolonger leurs visas sur le point d’expirer, auront-ils des contrats leur permettant de continuer de travailler et, avant tout, auront-ils les moyens de subvenir à leurs besoins ? Les travailleuses et travailleurs migrants népalais sont souvent salués comme une source de revenus, qui représente pas moins d’un quart du PIB du pays. Aujourd’hui, ils risquent d’être abandonnés à leur sort.

Au lieu de venir en aide de manière volontariste aux travailleurs·euses migrants népalais, le gouvernement semble limiter son action à un rôle mineur de partage d’informations. Le mois dernier, le ministre des Affaires étrangères et le ministre du Travail ont donné comme instructions aux missions népalaises dans les pays du Golfe de « rester en contact régulier avec les ressortissants népalais », leur conseillant de rester en sécurité, de prendre des précautions et de suivre les protocoles sanitaires définis par les gouvernements de leurs pays d’accueil. Ils ne reçoivent pas de soutien lors même qu’ils doivent faire face à la perspective d’une fin de contrat, du retard ou du non-versement de leurs salaires, de congés forcés sans solde, ou pourraient être contraints de travailler dans des conditions dangereuses qui les exposent à un risque accru de contracter le COVID-19.

Un aperçu de l’impact disproportionné de la crise sur les travailleurs·euses migrants népalais a été révélé le mois dernier, lorsque les médias népalais ont relaté [1] que des centaines d’entre eux ont été arrêtés, détenus et expulsés par les autorités qatariennes. On ignore quel fondement juridique a pu justifier leur expulsion. Les informations parues dans les médias laissent entendre qu’ils ont enfreint les restrictions apparemment mises en place par le gouvernement pour contenir la propagation du COVID-19, mais ils ont assuré n’avoir jamais été informés de ces restrictions. Nombre d’entre eux ont raconté le traitement inhumain qu’ils ont subi durant leur détention et leur expulsion.

Selon d’autres informations, des centaines de travailleurs·euses migrants népalais sont bloqués aux point de passage frontaliers entre l’Inde et le Népal, sans nourriture et sans abri. Certains ont même risqué leur vie en tentant de traverser à la nage le fleuve Mahakali pour entrer dans le pays.

Pour celles et ceux qui restent dans leurs pays d’accueil, la situation n’est guère plus rassurante. Amnesty International a recueilli de nombreux éléments mettant en évidence le calvaire enduré depuis fort longtemps par les travailleurs·euses migrants népalais, notamment leurs conditions de vie déplorables – avec parfois huit personnes ou plus entassées dans une seule pièce. En outre, leurs lieux de vie ne sont pas équipés d’installations sanitaires suffisantes et n’ont pas l’eau courante. Dans de telles conditions, la distanciation sociale est impossible et il leur est difficile de maintenir des niveaux d’hygiène adéquats pour se protéger contre le COVID-19.

Étant donné que chacun se confine chez soi pour s’isoler, la situation des femmes qui travaillent comme employées de maison est particulièrement inquiétante. Dans de telles conditions, elles risquent de devoir assumer aussi le rôle de soignantes, d’être surchargées et de s’occuper des familles toute la journée, ce qui aggravera probablement l’exploitation au travail que beaucoup subissent déjà.

Du fait des quarantaines et des confinements imposés par les gouvernements, les quelques employées de maison qui auparavant pouvaient sortir de leurs lieux de vie et rencontrer des amies une fois par semaine resteront confinées et ne pourront pas solliciter l’aide ni le soutien dont elles pourraient avoir besoin. D’aucuns craignent que, dans ces situations, les employées de maison ne soient privées de leur unique jour de repos par semaine. Celles qui n’ont pas de papiers sont particulièrement fragiles, car elles ne seront protégées ni par le gouvernement hôte ni par le leur, et hésiteront sans doute à se faire soigner par peur d’être arrêtées.

Dans certains pays, des informations indiquent que les travailleurs·euses migrants sont en butte à la discrimination et à la xénophobie de la part de la population locale, qui les rend responsables de l’arrivée du COVID-19 dans leur pays.

La perte éventuelle de leur emploi et de leur source de revenus affectera les travailleurs·euses migrants, qui se sont souvent endettés à des taux d’intérêt exorbitants se montant parfois à 50 % pour décrocher un emploi à l’étranger, mais aura également des répercussions au Népal. En effet, des millions de personnes au Népal dépendent d’eux pour leur subsistance. Ceux qui ont été expulsés ou contraints de toute autre manière de rentrer au Népal risquent de se retrouver avec d’énormes dettes, qui pourraient conduire à des situations de servitude pour dettes.

Le ministère des Affaires étrangères doit prendre des mesures énergiques afin de venir en aide à tous les travailleurs·euses migrants par l’intermédiaire des missions népalaises en place dans les pays d’accueil. Elles doivent déterminer s’ils sont en sécurité et disposent actuellement de l’essentiel, à savoir de l’eau, de la nourriture et un logement adéquat, et s’ils peuvent mettre en place des mesures préventives afin de se protéger contre le risque d’infection au travail et à la maison. Elles doivent aussi leur fournir des informations précises et factuelles sur le COVID-19, les risques auxquels ils sont exposés et les établissements de soins où ils peuvent se rendre le cas échéant. Par ailleurs, les autorités népalaises doivent demander aux gouvernements d’accueil d’intégrer les travailleurs·euses migrants dans leurs réponses à la crise du COVID-19. Au titre du droit international relatif aux droits humains, les États sont tenus de respecter les droits fondamentaux de toutes les personnes relevant de leur juridiction.

Les autorités népalaises doivent utiliser les canaux diplomatiques pour que les gouvernements d’accueil protègent les droits des travailleurs·euses migrants. Il s’agit entre autres d’obtenir l’assurance qu’ils ne seront pas pénalisés si leurs visas expirent durant la crise et qu’ils ne peuvent ni les prolonger ni retourner au Népal. Elles doivent aussi solliciter l’assurance que leurs contrats ne seront pas résiliés de manière arbitraire et soudaine, que leur droit à un niveau de vie suffisant et à la sécurité sociale sera protégé et qu’ils ne seront pas expulsés de manière arbitraire.

D’après l’Organisation internationale du travail (OIT), en l’absence d’une réponse multilatérale coordonnée, pas moins de 25 millions d’emplois sont menacés à travers le monde dans le cadre de la crise du COVID-19. D’autres estimations sont bien plus élevées. Dans ce contexte, il est primordial que les autorités népalaises évaluent elles-mêmes l’impact potentiel sur les travailleurs·euses migrants – sur leurs emplois comme sur leur santé. Il faut élaborer un plan visant à répondre à leurs besoins à long terme s’ils devaient se retrouver privés des moyens de subsistance dont eux-mêmes et leurs familles dépendent.

Tandis que le Népal lutte contre l’épidémie de COVID-19, certains cercles au sein du gouvernement pourraient se montrer enclins à penser que cette pandémie est une crise nationale d’une ampleur sans précédent, limitant de fait l’action du gouvernement. Or, la nature de cette crise est précisément la raison pour laquelle le Népal doit se montrer encore plus déterminé à protéger ses travailleurs·euses migrants, qui comptent parmi les plus exposés et les plus marginalisés dans leurs pays d’accueil. Que ce soit pendant les 10 années de conflit armé ou durant le tremblement de terre dévastateur de 2015, les travailleurs·euses migrants n’ont pas ménagé leur peine dans des environnements difficiles pour contribuer à maintenir l’économie du pays à flot, envoyant des centaines de milliards de roupies à la maison. Aujourd’hui, ils se retrouvent en situation de détresse et ont besoin que leur gouvernement fasse tout son possible.

Cet article a initialement été publiée par The Kathmandu Post : https://kathmandupost.com/columns/2020/04/03/migrant-workers-must-not-be-left-behind

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