Il nous livre ici son histoire et dénonce l’exploitation dont il a été victime en tant que travailleur migrant au Qatar, pendant l’année qui a suivi la Coupe du monde de la FIFA 2022 dans le pays.
« Avec l’éclosion de la crise pétrolière et la hausse du prix des denrées alimentaires au Sri Lanka, il devenait difficile de subvenir aux besoins de ma famille, même si j’avais un emploi stable. Lorsque j’ai entendu parler d’une offre d’emploi au Qatar, j’espérais pouvoir faire davantage pour ma famille en travaillant à l’étranger et en gagnant un meilleur salaire.
« L’agence de recrutement au Sri Lanka m’a dit que je devais payer 4 000 roupies sri-lankaises (environ 12 euros) pour enregistrer ma candidature. J’ai vendu mon tuk-tuk à trois roues pour obtenir de l’argent, même si c’était mon seul moyen de transport et de gagner ma vie. J’ai senti qu’il fallait que je fasse ce sacrifice si je voulais subvenir à mes besoins et à ceux de ma famille.
« Début 2023, j’ai quitté le Sri Lanka, rêvant d’un avenir meilleur. Mais lorsque je suis arrivé au Qatar et que j’ai vu mon logement, tous mes espoirs ont été brisés. Un sentiment de malaise m’a envahi. Je savais que quelque chose clochait. J’ai travaillé à l’étranger auparavant, mais c’était différent.
« Le logement était sale et nous étions 10 à partager une pièce. On nous a fait travailler par tranches de 10 heures sur des chantiers de construction de maisons. Nous n’avons reçu aucun équipement de protection, pas même un casque. Il s’agissait d’un travail manuel dur et intense, dans une chaleur excessive.
« Un mois a passé et alors que j’attendais le chèque de ma paye, l’entreprise nous a dit qu’elle allait garder notre premier mois de salaire. Elle a ajouté que nous allions recevoir notre paye à partir du deuxième mois. Nous étions épuisés par notre labeur et n’avons reçu qu’une petite allocation hebdomadaire pour la nourriture et d’autres produits de base.
« Ce n’était pas du tout ce qu’on m’avait promis au Sri Lanka. J’étais frustré, mais je devais continuer de travailler. J’avais besoin de ce boulot pour subvenir aux besoins de ma famille restée au pays et je me disais qu’au moins, lorsque je toucherais mon salaire, cela soulagerait ma famille ; donc je ne me suis pas plaint et j’ai supporté le stress qui en découlait.
« Au bout de trois mois sans salaire, j’étais désespéré et frustré. Avec quelques-uns de mes collègues, nous avons déposé une plainte contre l’entreprise pour rétention de salaire. Certains de mes collègues n’avaient pas été payés depuis des mois »
« Le deuxième mois est arrivé et s’est écoulé. Nous avons de nouveau demandé nos salaires, on nous a répondu que nous allions recevoir notre argent le mois suivant. Je n’ai pas pu envoyer d’argent à la maison et, sans autre source de revenus, ma mère et ma femme ont dû emprunter à des voisins et mettre des bijoux en gage pour avoir de quoi survivre. Elles se sont senties impuissantes, sans personne vers qui se tourner. Elles ont à peine réussi à s’en sortir.
« Au bout de trois mois sans salaire, j’étais désespéré et frustré. Avec quelques-uns de mes collègues, nous avons déposé une plainte contre l’entreprise pour rétention de salaire. Certains de mes collègues n’avaient pas été payés depuis des mois.
« En général, lorsqu’une plainte est déposée, l’entreprise en est informée. Pendant ce temps, nous avions arrêté de travailler dans l’espoir d’un dénouement positif de notre affaire. En rétorsion, l’entreprise a cessé de nous verser notre allocation alimentaire de base et nous a expulsés du logement, tout en refusant de nous verser nos salaires.
« Un jour, avec mes collègues, nous avons marché jusqu’au tribunal du travail car nous n’avions pas d’argent. Il n’y avait pas de trottoir, alors nous avons marché sur l’autoroute sous un soleil de plomb, pour nous entendre dire qu’ils n’avaient pas reçu notre dossier »
« Les semaines ont passé et nous avions un repas par jour maximum, ou pas de repas du tout. J’étais désespéré et j’ai recherché l’aide dont je pourrais bénéficier. J’ai entendu parler de la campagne d’Amnesty International au sujet de la FIFA et du traitement réservé par le Qatar aux travailleuses et travailleurs migrants, et je les ai contactés. Amnesty International nous a recommandés au Comité national des droits humains du Qatar, qui nous a aidés à trouver un abri, tandis qu’un militant local [1] nous a aidés pour la nourriture.
« Un jour, avec mes collègues, nous avons marché jusqu’au tribunal du travail car nous n’avions pas d’argent. Il n’y avait pas de trottoir, alors nous avons marché sur l’autoroute sous un soleil de plomb, pour nous entendre dire qu’ils n’avaient pas reçu notre dossier.
« Nous avons gardé espoir de voir les tribunaux rendre une décision équitable pour le temps et l’argent perdus. Nous avons été rappelés au tribunal du travail et un fonctionnaire nous a assurés qu’il veillerait à ce que nous recevions nos salaires impayés et notre carte d’identité du Qatar, afin que nous puissions changer d’entreprise et continuer de travailler pour subvenir aux besoins de nos familles. J’avais déjà dépensé tant d’argent et je m’étais endetté pour venir au Qatar, je ne pouvais donc pas me permettre de repartir trop tôt. Nous n’avons cessé de demander et de redemander, mais il n’a jamais tenu ses promesses.
« A la fin, huit mois s’étaient écoulés depuis mon arrivée à Doha, et l’entreprise ne m’a versé que deux mois de salaire. Ils ne nous ont pas donné notre carte d’identité, alors il n’y avait pas d’autre choix que d’accepter un billet d’avion pour rentrer au Sri Lanka.
« Je pense que le tribunal du travail a des liens avec ces entreprises, et de ce fait, nous ne pourrons pas obtenir justice dans notre situation »
« Le gouvernement qatarien ne fait pas appliquer les lois pour protéger dûment les gens comme nous. Les entreprises savent que la plupart des travailleurs migrants préfèrent rentrer chez eux et tout perdre, plutôt que de rester là sans logement ni nourriture. Si nous n’avions pas bénéficié du soutien d’organisations de défense des droits humains, comme Amnesty, nous n’aurions pas survécu aussi longtemps.
« Je pense que le tribunal du travail a des liens avec ces entreprises, et de ce fait, nous ne pourrons pas obtenir justice dans notre situation.
« Maintenant que je suis rentré à la maison, je dois travailler comme journalier, et je fais divers petits boulots dans ma ville en attendant de trouver un emploi plus stable. Pour un jour de travail correct, je gagne 1 500 roupies sri-lankaises (environ 4,25 euros). Je suis revenu du Qatar dans une situation bien pire qu’avant mon départ. Il aurait mieux valu que je ne parte jamais. J’ai perdu plus que je n’ai gagné en acceptant cet emploi au Qatar.
« Je tiens à raconter mon histoire, afin que d’autres ne subissent pas le même sort. Hélas, je ne suis pas le seul à avoir souffert. Les travailleuses et travailleurs migrants au Qatar ne doivent pas être exploités et abusés comme je l’ai été. »