Un rassemblement de fantômes pour la liberté Par Tom Rainey Smith

Tom Rainey Smith, chargé de campagne pour Amnesty International Corée, explique pourquoi il a organisé récemment une manifestation « fantôme » dans le centre-ville de Séoul.

Les manifestations sont courantes dans cette ville. Il n’est pas rare de voir des dizaines de milliers de personnes rassemblées devant l’hôtel de ville ou défilant dans le centre-ville pour exprimer une revendication collective. Après tout, c’est dans ces rues que le peuple s’est battu pour la démocratie et qu’il l’a obtenue dans les années 1980, renversant avec succès une dictature militaire.

Il était donc démoralisant de voir que, depuis quelques années, la police répondait de plus en plus aux rassemblements publics par la force, et que ceux-ci étaient soumis à un certain nombre de restrictions. En particulier, sous le président actuel, Park Geun-hye, les restrictions sur les rassemblements à proximité de la Maison bleue – la résidence présidentielle – se sont multipliées ces deux dernières années.

Non seulement la police a interdit des rassemblements publics, mais elle a aussi de plus en plus souvent recours aux barricades formées par des bus, aux canons à eau et aux produits chimiques irritants. Il est donc devenu beaucoup plus difficile pour les Sud-Coréens d’exercer leur droit à la liberté de réunion pacifique, et les gens osent de moins en moins faire entendre leur voix.

Les participants à la manifestation « fantôme » dans le studio pour être filmés

Frapper l’imagination du public

Puisque la police a commencé à considérer comme illégaux et violents une grande partie des rassemblements pacifiques avant même qu’ils aient eu lieu, nous nous sommes dit que nous devions faire preuve de créativité pour faire passer notre message, à savoir que la liberté de réunion pacifique est un droit et non un privilège, tout en frappant l’imagination du public. Notre problème était : comment organiser un événement qui permettrait au grand public de participer librement dans le contexte actuel ?

Impressionnés par la façon dont des militants espagnols avaient utilisé des hologrammes dans les rues de Madrid en 2015 pour protester contre une « loi du bâillon » restrictive limitant les rassemblements à proximité des bâtiments gouvernementaux, nous avons décidé de nous lancer dans l’organisation de notre propre manifestation d’hologrammes dans le centre de Séoul. Face à la disparition rapide de la liberté de manifester pacifiquement, nous avons conclu que nous n’avions pas beaucoup d’autres choix que d’essayer quelque chose de différent. Nous sommes donc passés à l’action.

D’abord, nous avons annoncé en ligne et sur les réseaux sociaux que nous allions organiser une manifestation « fantôme » pour demander au gouvernement de respecter le droit à la liberté de réunion pacifique, et nous avons invité les gens à participer. Cela pouvait se faire de plusieurs manières : en venant dans un studio pour y être filmé, en nous envoyant un enregistrement vocal ou en nous écrivant un message de protestation.

L’accueil du public a été fantastique ! Nous avons reçu beaucoup d’enregistrements vocaux et plus de 130 messages écrits. Plus de 120 personnes sont également venues dans le studio pour être filmées, sur fond vert, en train de marcher, de danser, de chanter et de scander des slogans. Les images enregistrées sont devenues les manifestants « fantômes » de l’événement.

Manifestation de « fantômes »
La manifestation « fantôme » devant le palais ancien de Gyeongbok

Dans la soirée du 24 février 2016, nous nous sommes rassemblés, accompagnés de nombreux médias et spectateurs curieux de voir cette manifestation dans un des lieux les plus emblématiques de la ville. À 20 h 30, les « manifestants » se sont retrouvés sur le devant de la scène, avec en arrière-plan le palais de Gyeongbok. Les images et les messages que nous avions reçus ont été projetés sur un grand écran installé sur la place, prenant des formes fantomatiques.

Avant l’événement, la police avait rejeté notre demande d’organiser la manifestation plus près de la Maison bleue, nous obligeant à choisir un nouvel emplacement près du vieux palais. Les policiers nous avaient également avertis que, si une ou plusieurs personnes physiquement présentes décidaient de scander des slogans lors de l’événement, ils réagiraient fermement. De ce fait, et tandis que la police nous surveillait de près, certains journalistes ont même plaisanté qu’ils étaient surpris de ne pas voir d’hologrammes de canons à eau. Depuis, les autorités ont aussi commencé à réfléchir à la manière dont elles pourraient engager des poursuites en cas d’utilisations similaires d’hologrammes à l’avenir.

Des journalistes et des spectateurs curieux rassemblés pour assister à la manifestation fantôme

Bien qu’organiser une manifestation aussi inhabituelle soit assurément une expérience unique, nous préférerions bien évidemment qu’il s’agisse de la dernière manifestation où les humains doivent être remplacés par des doubles virtuels. À cette fin, nous continuerons de demander aux autorités sud-coréennes de respecter l’esprit et la lettre du droit international relatif aux droits humains et de la Constitution, et de garantir aux habitants du pays leur droit à la liberté de réunion pacifique.

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