Une affaire symptomatique de la « démocratie non libérale » de Viktor Orbán Par Áron Demeter, responsable des relations avec les médias à Amnesty International Hongrie

Cet après-midi, j’ai vu des policiers masqués faire sortir d’une salle d’audience hongroise un homme grand et mince, tenu au bout d’une laisse. Il avait les poignets et les chevilles entravés, et était calme et déterminé. Cet homme, que l’on nommera simplement Ahmed H, venait d’être déclaré coupable sur la base d’accusations forgées de toutes pièces liées au terrorisme, et condamné à sept ans d’emprisonnement.

Dans sa déclaration finale, Ahmed, résident à Chypre et père de deux petites filles, avait expliqué à la cour que ses parents âgés et six autres membres de sa famille avaient fui la guerre en Syrie. « Ils ont plusieurs fois échappé à la mort au cours de leur voyage. Je voulais simplement les aider à parvenir en Allemagne. »

« Ils ont plusieurs fois échappé à la mort au cours de leur voyage. Je voulais simplement les aider à parvenir en Allemagne. »

En août 2015, Ahmed est parti de chez lui, à Chypre, pour aller aider ses proches à traverser l’Union européenne (UE). Cette initiative altruiste a terriblement mal tourné. En septembre 2015, Ahmed et ses proches se sont retrouvés pris au piège à la frontière serbo-hongroise, la police ayant érigé le long de la frontière une clôture faite de rouleaux de métal sertis de lames de rasoir.

Des affrontements ont éclaté entre des demandeurs d’asile qui tentaient de passer en Hongrie et des policiers hongrois, et la police a réagi en utilisant du gaz lacrymogène et des canons à eau. De nombreuses personnes ont été blessées et ont eu besoin de soins médicaux. Dans la mêlée qui s’en est suivi, certaines personnes, dont Ahmed, ont jeté des pierres sur les policiers. Ahmed a également utilisé un porte-voix pour lancer aux deux camps un appel au calme. Se basant sur des dispositions extrêmement vagues de la législation hongroise relatives au terrorisme, la cour a déclaré que les agissements d’Ahmed le rendaient coupable de « complicité d’un acte terroriste ».

Voilà en résumé pourquoi Ahmed H s’est retrouvé au bout d’une laisse dans une salle d’audience si loin de chez lui. Mais les choses sont beaucoup plus compliquées.

Le verdict prononcé aujourd’hui est révélateur de la dangereuse confluence entre les lois antiterroristes draconiennes de la Hongrie et sa lutte sans pitié contre les réfugiés et les migrants.

Le traitement déshumanisant infligé à Ahmed H, et la parodie de justice qu’il a subie, sont les conséquences inévitables de la politique persistante de diabolisation des réfugiés menée par les autorités hongroises. De nombreux autres pays en Europe ont adopté ce modèle, mais bien peu d’entre eux l’ont appliqué de façon aussi acharnée et impitoyable. La Hongrie a fermé ses frontières et n’a pas accueilli un seul réfugié au titre du programme de réinstallation de 2015 de l’UE.

Le Premier ministre Viktor Orbán s’est targué de vouloir créer en Hongrie une « démocratie non libérale ». Il a qualifié les réfugiés d’« envahisseurs musulmans ». Il a déclaré que l’immigration était un « poison » et que « chaque migrant représente un danger en termes de sécurité publique et de terrorisme ».

Pour Viktor Orbán, cela ne suffit pas de fermer les frontières. Il veut également consolider une politique de rejet des « autres » qui lui permettra de remporter des voix lors des élections du mois prochain. C’est un vieux truc simpliste, mais comme on a pu le constater à travers le globe ces dernières années, la tactique du bouc émissaire peut être électoralement efficace à court terme.

Pour Viktor Orbán, cela ne suffit pas de fermer les frontières. Il veut également consolider une politique de rejet des « autres » qui lui permettra de remporter des voix lors des élections du mois prochain.

En plus de prendre pour cible les réfugiés, les demandeurs d’asile et les migrants, un nouvel ensemble de projets de loi soumis le mois dernier au Parlement vise à sanctionner les ONG qui « soutiennent l’immigration ». Les projets de loi dits « Stop Soros » qui prétendent « protéger la sécurité nationale » et les frontières ne peuvent en réalité faire ni l’un ni l’autre. Ils veulent museler ceux dont le travail consiste à aider les personnes dans le besoin et ceux qui osent élever la voix. Le message est très simple : l’immigration est une mauvaise chose. Par conséquent, toute personne qui travaille dans ce domaine sera punie.

L’humiliation infligée en public à Ahmed H vise à faire passer un autre message : les réfugiés et les migrants qui essaient d’entrer en Hongrie ne sont pas les bienvenus et ne méritent ni la dignité ni la justice.

Les accusations portées contre Ahmed H ne résistent pas à l’examen des faits. Lors de l’audience du mois de janvier, dans la ville de Szeged, les personnes qui se trouvaient dans la salle d’audience ont visionné plusieurs heures d’enregistrements vidéo montrant les événements s’étant déroulés à la frontière.

Les accusations portées contre Ahmed H ne résistent pas à l’examen des faits.

Les vidéos montraient une foule de plus en plus accablée et désorientée qui tentait de franchir une porte récemment installée, et la police qui utilisait des gaz lacrymogènes et des canons à eau pour la disperser. Des pierres ont été jetées et elles ont frappé les boucliers de policiers. Ahmed a lancé quelques objets, mais on le voit aussi clairement tenter de servir de médiateur entre la foule et la police. « Nous voulons seulement la paix » l’entend-on dire en anglais. À la foule, il dit en arabe : « S’il vous plaît, ne lancez rien. » Ahmed a expliqué que comme il était l’une des rares personnes dans la foule sachant parler anglais, il a pris l’initiative de communiquer avec les policiers hongrois, initiative qu’il paye à présent très cher.

En 2016, le gouvernement hongrois a adopté une modification de la Constitution et des dispositions législatives connexes accordant au Premier ministre de très larges pouvoirs, quasi illimités, lui permettant de déclarer une « situation de menace terroriste ». Plus tard cette même année, le gouvernement a déclaré l’état d’urgence en prenant prétexte de mouvements migratoires massifs. Le 16 février 2018, l’état d’urgence a été prolongé pour six mois supplémentaires.

Le cas d’Ahmed montre que les mesures de « lutte contre le terrorisme » sont utilisées comme prétexte pour cibler les musulmans et renforcer le message du gouvernement qui dit que l’immigration est néfaste et non désirée. Lancer des pierres et utiliser un porte-voix, ce ne sont pas des « actes terroristes ». L’épouse d’Ahmed a expliqué l’année dernière : « Il manque tellement à nos enfants. Ahmed est un très bon père et un très bon mari. Ce n’est pas un terroriste. »

S’exprimant depuis le banc des accusés, Ahmed H a lancé un dernier appel au juge : « Je voudrais rentrer chez moi pour être avec mes filles. Je demande à la cour de rendre un verdict équitable. » Mais actuellement en Hongrie, la justice semble être une denrée rare.

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