La Chine a orchestré une vaste campagne de détention dans la région autonome ouïghoure du Xinjiang, dans le nord-ouest du pays, où près d’un million de Ouïghours, de Kazakhs et de membres d’autres groupes ethniques à majorité musulmane sont détenus dans des camps d’internement ou d’autres établissements.
Pékin a donné aux camps de détention le nom orwellien d’« établissements de transformation par l’éducation », affirmant qu’il s’agit d’« internats » et de « centres de formation professionnelle » destinés à aider les minorités ethniques musulmanes dans leur transition vers la vie moderne.
En réalité, ce sont des lieux de torture et de mauvais traitements. Ces personnes sont privées de nourriture et de sommeil, sont détenues à l’isolement et sont soumises à des violences physiques si elles résistent ou ne font pas assez de progrès en vue de leur « déradicalisation ». Elles peuvent être maintenues en détention indéfiniment, sans que leur détention ne fasse l’objet d’un examen et sans qu’aucune accusation pénale ne soit portée contre elles.
D’anciens détenus et des proches de personnes détenues dans les camps ont déclaré à Amnesty International que le fait de se rendre à l’étranger pour le travail ou les études, d’avoir des contacts avec des personnes hors de la Chine, d’arborer des signes d’appartenance religieuse ou culturelle ou même d’utiliser des applications de messagerie chiffrée peut être considéré comme suspect et mener à la détention.
Malgré des éléments de plus en plus nombreux faisant état de mauvais traitements infligés dans ces centres, la Chine continue de brouiller les pistes et d’interdire l’accès à la région aux observateurs et journalistes indépendants. Les autorités ont rejeté en bloc les demandes d’informations des Nations unies, des États membres de l’UE, du Congrès des États-Unis et, récemment, du ministère turc des Affaires étrangères et du commissaire européen à l’aide humanitaire et à la gestion des crises Christos Stylianides.
Alors que la Chine s’affirme de plus en plus sur la scène internationale, il est important que l’Europe n’hésite pas à mettre les autorités face à la vérité. Si l’engagement de l’Union européenne en faveur de la promotion et la protection des droits humains est sincère, elle doit condamner sans équivoque et de manière unifiée la violente tentative de la Chine d’intimider et de contrôler ses populations musulmanes.
L’urgence de la situation des musulmans dans la région autonome ouïghoure du Xinjiang, comme celle des droits des citoyens chinois plus généralement, doit être la priorité de l’UE dans ses préparations du sommet avec la Chine qui se tiendra le 9 avril. Il n’y a aucune excuse pour faire comme si de rien n’était.
Des pays comme la Grèce et la Hongrie, qui ont reçu des investissements considérables de la Chine et ont déjà essayé par le passé d’entraver les efforts en vue de dénoncer le bilan de la Chine en matière de droits humains, ne doivent pas être autorisés à empêcher une réponse unifiée.
La Chine est trop grande et trop influente pour qu’un pays européen seul puisse négocier avec elle. L’Europe ne pourra tirer profit d’une relation avec Pékin que si celle-ci est négociée par l’Union européenne entière, qui adoptera une position forte et unifiée.
Cette force vient également du maintien de la position de l’UE quant aux droits humains. À la suite du retrait des États-Unis du Conseil des droits de l’homme de l’ONU, et dans un contexte plus général de rejet des mécanismes internationaux de droits humains, particulièrement de la part de la Chine, il revient maintenant à l’UE et à ses États membres de faire en sorte que la communauté internationale se soucie de la région autonome ouïghoure du Xinjiang.
Plusieurs organisations de défense des droits humains ont demandé au Conseil des droits de l’homme de l’ONU de voter une résolution sur la mise en place d’une mission d’établissement des faits internationale, indépendante et libre sur le Xinjiang. Un examen indépendant des atteintes commises dans la région pourrait constituer un tremplin pour que l’UE puisse proposer une réponse solide et fondée sur des faits.
L’UE a déjà assumé un rôle de chef de file dans des circonstances similaires par le passé. En mars 2017, Bruxelles a été à la tête de l’initiative ayant mené à la mise en place d’une mission d’établissement des faits sur les allégations de graves atteintes aux droits humains commises au Myanmar, notamment dans l’État d’Arakan. La résolution du Conseil des droits de l’homme de l’ONU promue par l’UE a également été soutenue par des partenaires tout aussi inquiets dans le monde, notamment l’Organisation de la coopération islamique, et a permis de faire en sorte que les atteintes aux droits humains commises au Myanmar restent une priorité pour la communauté internationale.
Si l’UE n’agit pas maintenant, non seulement elle abandonnera à leur sort les personnes détenues dans des conditions inhumaines dans le Xinjiang, mais elle créera également un dangereux précédent qui définira ses capacités futures à dénoncer les atteintes aux droits humains commises par la Chine.
Il s’agit d’un test essentiel pour l’engagement de l’UE en faveur des droits humains et cela déterminera la position que l’Union adoptera face à Pékin, alors que le pays se lance dans la course au pouvoir sur la scène mondiale. L’Union européenne doit se montrer à la hauteur.
Cet article a été publié initialement par Politico.