Vingt-six ans plus tard, on constate un retour en arrière vis-à-vis de l’héritage de Tiananmen

Par William Nee, spécialiste de la Chine à Amnesty International. Sur twitter @williamnee

Vingt-six années se sont écoulées depuis ces journées tragiques de l’année 1989 qui ont été marquées par une répression brutale contre des milliers de manifestants pro-démocratie sur la place Tiananmen et aux alentours, à Pékin.

Mais même si les tanks ont quitté depuis longtemps la tristement célèbre place de la capitale, le président Xi Jinping semble déterminé à faire taire quiconque lui paraît remettre en cause l’hégémonie du Parti communiste.

Quand le président Xi est arrivé au pouvoir à la fin 2012, il a déclaré que le pouvoir serait mis « en cage » ; or, ce sont les intellectuels, journalistes, avocats et militants faisant preuve d’indépendance d’esprit qui sont jetés en prison.

Nous assistons à une des périodes les plus sombres pour la liberté d’expression en Chine depuis le massacre de 1989.

Gao Yu, journaliste chinoise chevronnée qui languit actuellement dans une prison de Pékin, est l’une des nombreuses voix dissidentes que le pouvoir arbitraire de l’État chinois fait souffrir depuis des décennies.

En avril, à l’issue d’un procès inique, elle a été condamnée à sept ans de prison pour « divulgation de secrets d’État », une charge infondée.

Elle a dans un premier temps été déclarée « ennemie de l’État » par les responsables du Parti communiste à la fin des années 1980, lorsqu’elle était rédactrice en chef adjointe de L’hebdomadaire de l’économie, un journal favorable à la réforme.

[argent]Gao Yu, journalite chinoise emprisonnée. Photo prise en 2007 à Hong Kong. AFP/Getty[/argent]

Au printemps 1989, quand des centaines de milliers d’étudiants et de travailleurs sont descendus dans la rue à Pékin et à travers la Chine, dans le cadre d’un des mouvements pro-démocratie les plus suivis de l’histoire, L’hebdomadaire de l’économie a publié une série d’articles exhortant le gouvernement à prendre en considération les appels à la réforme des manifestants.

Les autorités n’ont pas apprécié, et ont promptement fait cesser les activités du journal. Gao Yu a été arrêtée par la police le 3 juin 1989.

Plus tard ce soir-là, les tanks sont arrivés sur la place Tiananmen. Des centaines, peut-être des milliers de personnes, ont été tuées ou blessées et l’armée a brutalement étouffé ces manifestations en faveur de la démocratie.

Aujourd’hui, les dirigeants chinois persistent à politiser le passé, en tentant d’enfouir la vérité sur le massacre du 4 juin 1989.

Les autorités continuent à empêcher les proches des personnes tuées lors des opérations de répression à Tiananmen de porter le deuil en public. Les appels de parents en faveur de la vérité, de réparations et de l’obligation de rendre des comptes restent sans réponse.

Gao Yu a passé 15 mois en prison à la suite des opérations de répression sur la place Tiananmen. Dans les années 90, elle a passé six années supplémentaires derrière les barreaux après avoir été déclarée coupable d’avoir révélé des « secrets d’État ». Amnesty International l’avait alors considérée - et la considère toujours - comme une prisonnière d’opinion et avait demandé sa libération immédiate et sans condition.

Les autorités craignent la puissance de sa plume. Elle a été sanctionnée à plusieurs reprises pour sa détermination à rendre compte des faits et à révéler la vérité.

Cette fois-ci, Gao Yu est accusée d’avoir divulgué un document idéologique interne du Parti communiste, connu sous le titre de Document n° 9, charge qu’elle nie farouchement.

La liberté de la presse et les « valeurs universelles », telles que la démocratie et les droits humains, sont gravement attaquées dans le Document n° 9. Il décrit une vision orwellienne du contrôle de l’histoire, dans laquelle toute interprétation divergeant de la version du Parti communiste, notamment sur ce qui s’est passé en juin 1989, est considérée comme une menace à la légitimité du parti.

C’est une réalité qui fait froid dans le dos. Quiconque ose dévier du scénario retenu par le Parti communiste est sévèrement puni.

Loin de fléchir, le gouvernement a introduit tout un ensemble de lois rétrogrades et rédigées en termes vagues relatives à la « sécurité nationale », dans l’objet de renforcer encore davantage son contrôle.

Pu Zhiqiang, grand avocat spécialisé dans la défense des droits humains, encourt jusqu’à 10 ans de prison pour avoir « incité à la haine raciale » et « suscité des polémiques et provoqué des troubles ». Il a défendu des personnes dans des cas parmi les plus sensibles sur le terrain des droits humains, et les poursuites engagées contre lui ont toutes les apparences d’une persécution politique. Il a été arrêté en mai dernier, après avoir assisté à un séminaire demandant l’ouverture d’une enquête sur la répression sanglante des manifestations de 1989.

Pu Zhiqiang était étudiant en droit au printemps 1989, et comme nombre de ses camarades, était descendu dans la rue à Pékin pour réclamer des réformes.

[argent]Pu Zhiqiang, avocat spécialisé dans la défense des droits humains, ici lors des manifestations en faveur de la démocratie de 1989. Sur son pull on peut lire : « Liberté de la presse. Liberté d’association. En soutien à l’"Economic Weekly" et en solidarité avec les journalistes intègres ». © Yenhua Wu[/argent]

Il y a un lien direct entre les revendications des manifestants de la place Tiananmen en 1989, et les appels passés aujourd’hui. Beaucoup sont en faveur de l’instauration au sein du système politique actuel de changements progressifs découlant de droits inscrits dans la Constitution chinoise.

Ayant opéré une transformation économique et accompli des progrès remarquables sur le terrain de la lutte contre la pauvreté, la Chine est méconnaissable comparée à ce qu’elle était lorsque les étudiants sont descendus dans la rue en 1989, . Pourtant, lorsqu’il s’agit d’exprimer librement des opinions pouvant différer de la position du Parti communiste, le président Xi opère un retour en arrière.

Jeudi 4 juin, à l’heure où nous nous souvenons des victimes de la répression de Tiananmen en 1989 et demandons justice en leur nom, réclamons également la libération de Gao Yu et Pu Zhiqang, et de centaines d’autres militants courageux qui, face au régime répressif d’aujourd’hui, refusent de laisser les atteintes aux droits humains commises par le Parti communiste chinois rester impunies.

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