Yoon Suk-yeol doit changer la manière dont la Corée du Sud traite les femmes Boram Jang, chercheuse sur l’Asie de l’Est à Amnesty International

Yoon Suk-yeol doit changer la manière dont la Corée du Sud traite les femmes

De nombreuses femmes en Corée du Sud risquent de se sentir soucieuses aujourd’hui alors que le pays intronise un nouveau président, Yoon Suk-yeol, défenseur autoproclamé de la justice.

Pendant sa campagne électorale, Yoon Suk-yeol a tenu des propos antiféministes [1] et a promis d’abolir le ministère de l’Égalité des sexes et de la Famille, accusant ses fonctionnaires de traiter les hommes comme des « criminels sexuels potentiels » et accusant le féminisme d’être responsable du faible taux de natalité du pays.

Yoon Suk-yeol a affirmé que la discrimination systémique fondée sur le genre n’existe pas en Corée du Sud. Mais les chiffres racontent une autre histoire, l’Indice d’égalité de genre étant cantonné en bas du classement parmi les pays développés.

Selon l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), le salaire des femmes en Corée du Sud est en moyenne 31,5 % inférieur à celui des hommes – l’écart de rémunération le plus élevé des 38 membres de l’OCDE. Les femmes ne représentent actuellement que 19 % des parlementaires, la moyenne de l’OCDE s’élevant à 32 %. La Corée du Sud se classe au 123e rang sur 156 pays dans le monde en termes de participation et d’opportunités économiques pour les femmes.

Le point de vue misogyne de Yoon Suk-yeol reflète les stéréotypes de genre nuisibles et les hypothèses connexes qui imprègnent la société sud-coréenne. Il se fonde sur une croyance sous-jacente selon laquelle les femmes ne sont pas des personnes à part entière jouissant de la dignité humaine et de droits, mais plutôt des objets sexuels dont le rôle est de fournir des « services sexuels » afin de satisfaire les besoins des hommes.

En mars 2020, la population sud-coréenne a été mise face à l’ampleur du problème [2]. Un groupe de journalistes a en effet révélé l’existence d’un forum de discussion secret sur l’application de messagerie Telegram où des milliers de vidéos d’exploitation sexuelle non consenties de femmes, y compris de mineures, étaient vendues à l’aide de cryptomonnaie. L’enquête de police a ensuite révélé que plus de 60 000 personnes utilisaient des sites similaires, connus collectivement sous le nom de « Nth Room ».

Cette affaire illustre de manière lugubre la façon dont la discrimination et les schémas patriarcaux facteurs de violences liées au genre en Corée du Sud sont reproduits et amplifiés dans le monde numérique.

Une cyberinfraction à caractère sexuel est une forme de violence liée au genre qui implique généralement le tournage et la distribution de contenu intime sans consentement, souvent accompagnée de menaces et de harcèlement sexuel contre les victimes en ligne. En 2020, le taux de cyberinfractions à caractère sexuel en Corée du Sud, la grande majorité des victimes étant des femmes, était 7,5 fois plus élevé qu’en 2003 – une augmentation massive. Pour situer les choses, les taux de viols et d’agressions sexuelles ont été multipliés par 1,6 au cours de la même période.

La discrimination à l’encontre des victimes de violences sexuelles a longtemps dissuadé les femmes de signaler ces faits à la police ; les cyberinfractions à caractère sexuel aggravent encore la stigmatisation sociale que subissent les femmes victimes. Les agresseurs peuvent menacer de divulguer en ligne des informations privées pour conserver le pouvoir et le contrôle sur leurs victimes, que ce soit pour les empêcher de rompre une relation ou de signaler des abus et de faire valoir leurs droits devant les tribunaux.

L’affaire Nth Room a suscité un tollé national et les autorités ont été sommées de lutter contre la cyberviolence liée au genre. Les organisations et les défenseur·e·s des droits des femmes, scandalisés par le manque de volonté du gouvernement et des plateformes en ligne pour résoudre le problème, ont commencé à réclamer des comptes. Pour les Sud-coréennes, l’affaire Nth Room a mis en exergue la misogynie profondément ancrée [3] qui mute au fil du temps.

En octobre 2021, l’un des opérateurs du site Nth Room a été condamné à 42 ans de prison, tandis que certains de ses complices ont encouru de longues peines d’emprisonnement. Après cette affaire, l’Assemblée nationale de Corée du Sud a adopté « la loi de prévention dite de la Nth Room ».

Cette loi prévoit des sanctions pénales pour les plateformes en ligne si elles ne bloquent pas la circulation de contenus numériques impliquant des crimes sexuels. Elle leur impose également de désigner une personne chargée d’empêcher la diffusion de ce type de contenus.

Par ailleurs, le ministère de la Justice a mis sur pied un groupe de travail sur les cyberinfractions à caractère sexuel, qui a récemment publié une série de recommandations, notamment : la mise en place d’un système intégré d’aide aux victimes, des mesures d’urgence afin de supprimer immédiatement les contenus en ligne illégaux, des mesures de protection pour les victimes de crimes sexuels pendant les procédures judiciaires et des conseils aux médias sur le traitement des cyberinfractions à caractère sexuel.

Ces mesures ne suffisent pas, car elles ne s’attaquent pas aux stéréotypes de genre néfastes qui continuent d’irriguer la société sud-coréenne.

Afin de les éliminer, il ne faudra pas se contenter de promulguer de nouvelles lois et de former des groupes de travail, mais bien s’efforcer de faire évoluer la mentalité de tout un pays à l’égard des femmes.
Première étape importante, Yoon Suk-yeol devrait reconnaître publiquement que le pays demeure confronté à de multiples obstacles pour parvenir à l’égalité hommes-femmes en raison de la discrimination et des stéréotypes fondés sur le sexe et le genre. Ensuite, il devrait afficher la volonté politique de s’attaquer à ce problème en mettant en œuvre les recommandations du groupe de travail sur les cyberinfractions à caractère sexuel.

Parce qu’il est à la tête de la Corée du Sud, Yoon Suk-yeol doit montrer qu’il est convaincu que l’autonomisation des femmes contribue à la croissance et au développement d’une société libre et juste, ce qu’il n’a pas encore fait.

Les femmes en Corée du Sud attendent de leur nouveau président qu’il change radicalement de cap par rapport au passé. Il doit commencer par reconnaître l’existence de la discrimination fondée sur le genre. Alors, il sera possible de réaliser de réels progrès dans la lutte contre les préjudices qu’elle engendre.

Cet article a été publié par Nikkei Asia.

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