Il fut un temps où l’Australie montrait la voie à suivre pour la protection des réfugiés.
Après la Seconde Guerre mondiale, ce pays était le deuxième du monde en nombre de réfugiés européens accueillis, juste derrière les États-Unis. Quelques années plus tard, sa signature a permis à la Convention relative au statut des réfugiés d’entrer en vigueur. Enfin, dans les années 1970, l’Australie est devenue le troisième pays d’accueil des réfugiés venus d’Indochine à la suite des conflits qui s’y déroulaient.
Malheureusement, cette période est aujourd’hui un lointain souvenir. Après s’être fait connaître mondialement pour la cruauté qu’il continue d’infliger aux réfugiés et aux demandeurs d’asile à Nauru et sur l’île de Manus, le gouvernement australien montre aujourd’hui qu’il est capable d’être encore plus impitoyable.
En plus de refuser de fermer ses centres de rétention sur ces deux îles du Pacifique, il envisage à présent d’introduire une loi interdisant définitivement aux personnes qui s’y retrouvent coincées d’obtenir un visa australien.
Ce projet de loi constituerait non seulement une violation flagrante du droit international, mais également une mesure cruelle et mesquine créant une discrimination supplémentaire en fonction du mode d’arrivée des personnes qui viennent en Australie pour chercher la sécurité. En tant qu’État partie à la Convention relative au statut des réfugiés, l’Australie est tenue de traiter les demandeurs d’asile et les réfugiés avec humanité et de leur trouver un lieu d’accueil sûr. Pourtant, le gouvernement australien choisit de cautionner injustice après injustice.
En juillet, je me suis rendue à Nauru afin d’effectuer des recherches pour le nouveau rapport d’Amnesty International sur les réfugiés et les demandeurs d’asile. J’ai passé cinq jours sur l’île et rencontré 58 réfugiés et demandeurs d’asile, ainsi que quatre intervenants chargés de fournir des services. De nombreuses personnes m’ont parlé du périlleux parcours qu’elles ont dû emprunter. Elles ont bravé d’immenses dangers pour échapper à des dangers encore plus grands qui les menaçaient dans leur pays.
Dimanche 30 octobre, s’adressant à des journalistes, le Premier ministre Malcolm Turnbull a reconnu que la politique de traitement des demandes d’asile de l’Australie était « un désastre », mais il ne semble pas comprendre pourquoi. Le principal problème n’est pas les « arrivées non autorisées », comme il l’a affirmé, mais le fait que l’Australie, en essayant d’empêcher celles-ci, a créé une prison à ciel ouvert à Nauru.
Le gouvernement australien a emprunté une dangereuse trajectoire depuis plusieurs années. Aujourd’hui, après un flot de révélations provenant de multiples sources indépendantes et fiables, il refuse non seulement de faire face à la réalité, mais il est en outre résolu à se précipiter dans la mauvaise direction.
Au cours d’une récente visite en Australie, j’ai été frappée par la réaction du gouvernement à notre rapport intitulé Island of Despair : Australia’s processing of refugees in Nauru (dont la synthèse a été traduite en français sous le titre L’île du désespoir. L’Australie procède au « traitement » des réfugiés à Nauru). Ayant grandi et travaillé en Russie, je connaissais bien les refus systématiques des autorités et les attaques des journalistes qui se plient à la ligne du gouvernement. En revanche, je ne m’attendais pas à voir les mêmes tactiques utilisées par une démocratie pluraliste qui est fière de ses valeurs et revendique une autorité morale en matière de droits humains.
Nous n’avons pas été les premiers à exprimer nos inquiétudes face aux atteintes aux droits humains commises à Nauru. Dès 1998, un rapport de la Commission australienne pour les droits humains et l’égalité des chances sur la détention des « boat people » mettait en avant une série de plaintes relatives à « la longue durée et la nature indéterminée de la période de détention et ses effets sur la santé physique et mentale des personnes détenues ».
Presque toutes les personnes avec qui je me suis entretenue à Nauru avait connu une dégradation de leur santé mentale. Le gouvernement australien sait que ces conditions créent de l’anxiété. Il le savait bien avant que les personnes actuellement coincées à Nauru n’y soient amenées. Et pourtant il a persisté dans des pratiques délibérément nuisibles, visant à intimider des personnes et les soumettre à une contrainte afin que leur situation ait un effet dissuasif.
Au regard du droit international, cette pratique s’apparente à de la torture. Ce n’est pas une accusation que nous faisons à la légère, et ce n’est pas la première fois qu’elle est portée contre le gouvernement australien. L’an dernier, un rapporteur spécial des Nations unies, horrifié par le traitement des personnes sur l’île de Manus, est parvenu à la même conclusion sur la base des conditions qu’il y a constatées.
Peu après ma visite à Nauru, le quotidien britannique The Guardian a publié plus de 2 000 rapports d’incidents ayant fuité qui confirmaient nos conclusions et révélaient des violations systématiques des droits humains. En octobre, le Comité des droits de l’enfant des Nations unies a souligné avec inquiétude à quel point les conditions dans les centres de traitement des demandes d’asile « génèrent et exacerbent des problèmes de santé mentale, entraînent des sentiments de désespoir et souvent des idées suicidaires ».
D’autres organes des Nations unies et ONG de premier plan ayant émis des avis à ce sujet au cours des derniers mois sont parvenus à la même conclusion : les centres de traitement des demandes d’asile de Nauru et de l’île de Manus doivent être fermés immédiatement.
Partout où je suis allée en Australie, j’ai rencontré des gens qui ont remercié Amnesty International de dire la vérité sur les pratiques de leur gouvernement. Même ceux qui soutiennent ses objectifs ont été consternés en découvrant l’atmosphère de secret qui leur était imposée.
Ils méritent de savoir pourquoi des personnes qui cherchent à se réfugier sont maltraitées au nom de la protection des frontières, alors qu’aucune pratique de contrôle des frontières ne devrait reposer sur un système de torture.
Au plan international, l’Australie voit sa crédibilité mise à l’épreuve. Le gouvernement veut obtenir un siège au Conseil des droits de l’homme de l’ONU. Cependant, la réaction à notre rapport montre bien que peu de personnes estiment que ce pays est à même de jouer un rôle moteur dans la défense des droits humains. Le mois dernier, le comité de rédaction du quotidien américain The New York Times a écrit : « L’emprisonnement inhumain par l’Australie de personnes qui ne savent plus à quel saint se vouer est une honte. »
Le gouvernement australien a le choix entre deux alternatives très claires : soit il peut revenir en arrière, changer de stratégie et refaire de l’Australie un pays qui protège les droits humains, soit il peut décider qu’elle soit connue comme un pays qui maltraite délibérément et systématiquement des milliers de personnes.