Comment la Chine se sert de la technologie pour lutter contre le COVID-19 – et renforcer son contrôle de la population Par June Ko, rédactrice à Amnesty International

Bienvenue dans un monde où le gouvernement sait dans quelles villes vous êtes allés, avec qui vous avez voyagé en train – et même quels films vous avez vu au cinéma.

Bienvenue en Chine pendant le COVID-19 : l’ensemble de son puissant arsenal technologique est mis à contribution pour combattre la pandémie mortelle qui se propage dans le monde entier.
Toutefois, alors que le pays sort progressivement du confinement, des questions émergent sur la façon dont ces outils de surveillance, employés pour faire face à cette crise de santé publique, pourraient être déployés plus largement, à des fins plus répressives, et menacer le droit à la vie privée et la liberté d’expression.

Des téléphones qui tracent vos déplacements

En Chine, la plupart des habitants sont habitués à fournir leurs données personnelles pour accéder aux services publics et, durant la pandémie, les exigences du gouvernement en ce sens ont monté d’un cran.

En février, les trois grandes compagnies chinoises de télécommunications ont adressé en masse des textos proposant à leurs clients de leur envoyer les informations sur les villes où ils s’étaient rendus, pendant quatre heures ou plus, au cours des 15 à 30 derniers jours.

Bien que ce service ait été « volontaire » et à n’en pas douter pratique pour beaucoup, ces informations ont rapidement servi à restreindre les déplacements. De nombreuses gares, et même des quartiers résidentiels, ont exigé des passagers et des habitants qu’ils les fournissent dans le but de vérifier s’ils s’étaient rendus dans des zones durement touchées par le virus (comme la province du Hubei) avant de les autoriser à entrer.

Il est intéressant de noter que l’itinérance des téléphones mobiles ou les données GPS ne permettent pas de géolocaliser une personne avec 100 % de précision. Beaucoup se sont plaintes d’avoir été « localisées » à un endroit où elles ne sont pas allées.

Décliner son identité pour prendre le métro ou aller au cinéma

Des villes comme Shanghai et Shenzhen commencent à exiger des usagers qu’ils s’enregistrent pour utiliser les services de métro de la ville [1]. Seuls ceux qui déclarent leur identité sur une application téléphonique peuvent prendre le train. L’idée est de retracer le parcours d’une personne pour savoir si elle a voyagé avec un porteur présumé du virus et de surveiller ensuite ses contacts proches.

Un système de vérification d’identité sur le même modèle est envisagé pour les cinémas [2] lorsqu’ils rouvriront : les spectateurs devront fournir leurs données personnelles pour prendre leur place.

Des codes sanitaires qui restreignent les déplacements

Parallèlement, les géants de la technologie comme le service de messagerie WeChat et la plateforme de paiement mobile Alipay ont développé des QR codes de couleur [3] afin d’évaluer le degré de « sécurité » d’une personne. Combinant données personnelles transmises volontairement et données municipales, un code trois couleurs est généré : vert signifie que vous êtes « sûr·e », jaune que vous devez rester confiné·e pendant sept jours et rouge pendant 14 jours.

Dans la seule province de Zhejiang, plus de 50 millions de personnes [4] se sont inscrites à l’application des codes sanitaires d’Alipay au cours des deux semaines suivant sa mise en service. Selon un article du New York Times [5], le programme envoie la localisation et le code d’identification de l’utilisateur à un serveur connecté aux services de police, ce qui pourrait permettre aux autorités de retracer les déplacements des citoyens au fil du temps.

Géolocalisation précise d’un passager

L’entreprise d’État China Electronics Technology Group Corporation (CETC) a également lancé une plateforme baptisée Close Contact Detector, qui regroupe les informations sur les trafics routier, ferroviaire et aérien, émanant directement du gouvernement. Selon les médias officiels [6], cette plateforme peut localiser avec précision un passager à bord d’un avion ou dans un train, et déterminer si un porteur présumé ou confirmé du virus se trouve dans les trois rangs autour.

Des provinces, des districts ou même des centres commerciaux demandent souvent des logiciels différents, ce qui suppose de télécharger de multiples applications. L’exploration de données atteint une ampleur sans précèdent et on ignore ce que les entreprises et l’État en feront au sortir de la pandémie.

La technologie cible des défenseur·e·s des droits humains

La surveillance intrusive est une réalité depuis longtemps déjà pour les défenseur·e·s des droits humains en Chine. Les autorités avaient installé de nombreuses caméras de surveillance [7] à l’extérieur de l’appartement de Li Wenzu, épouse de l’avocat des droits humains récemment libéré Wang Quanzhang. L’an dernier, durant le forum économique de l’Initiative ceinture et route, des détracteurs du gouvernement et des pétitionnaires de tout le pays n’avaient pas pu acheter de billets de train pour Pékin car ils étaient blacklistés [8] dans le système de billetterie. En outre, les autorités ont demandé à certains défenseur·e·s des droits humains de porter en permanence des bracelets de localisation [9].

Nous craignons que le gouvernement ne se serve de la pandémie comme d’une excuse pour normaliser et faire accepter une flopée de mesures de surveillance. L’adoption rapide de politiques strictes et d’un arsenal technologique pourrait bien accélérer la capacité de la Chine à suivre à la trace les déplacements de ses citoyens et à limiter encore davantage leurs libertés.

Où cette surveillance de masse va-t-elle finir en Chine ?

Le gouvernement chinois a passé des années à développer des technologies qui facilitent la surveillance de masse intrusive. Durant la pandémie, il les utilise à une échelle beaucoup plus vaste au nom de la santé publique et de la sécurité. On entend souvent parler de « période extraordinaire » appelant des mesures qui le sont tout autant.

Pourtant, les mesures de surveillance renforcée seront illégales si elles ne remplissent pas des critères stricts [10] : elles doivent être nécessaires, proportionnées, limitées dans le temps, transparentes, et ne pas faire plus de mal que de bien.

Les mesures adoptées en Chine ne semblent pas remplir ces conditions et pourraient constituer une violation du droit à la vie privée. La technologie doit être déployée pour sauver des vies. Or, le bilan de la Chine en termes de droits humains laisse à penser que ce climat de surveillance effrénée pourrait bien survivre à la pandémie.

Cet article a été initialement publié par The Independent [11].

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