Des crimes au regard du droit international et d’autres violations des droits humains ont été commis. Des centaines de personnes ont été tuées et des corps étaient retrouvés gisant dans les rues presque tous les matins à la fin de l’année 2015. Le recours à la torture s’est intensifié et des centaines de personnes ont disparu. Des centaines de milliers de personnes se sont réfugiées dans les pays voisins. De nombreux défenseurs des droits humains et journalistes qui se sont opposés au troisième mandat ou ont dénoncé la crise vivent maintenant en exil.
Pendant ce temps, la crise continue et le gouvernement affirme que la situation est stable. La répression et le contrôle de la population sont bien ancrés et sont devenus la norme, restreignant l’espace accordé à la dissidence, alors que de graves violations des droits humains continuent d’être commises.
Joignez-vous à nous pour exiger la justice et la vérité.
La campagne Abacu (Notre peuple) vise à rendre hommage aux victimes et aux survivants des violences commises depuis le début de la crise et à dénoncer la culture d’impunité entretenue par le gouvernement. L’histoire de ces cinq victimes et deux survivants des violences qui ont éclaté en avril 2015 démontre que le gouvernement n’a rien fait pour lutter contre l’impunité au Burundi.
1. Jean Népomucène Komezamahoro – Les personnes soupçonnées d’être responsables de sa mort font toujours partie des forces de police
Jean Népomucène Komezamahoro, que sa famille et ses amis appelaient simplement Jean Népo, n’avait que 15 ans quand la police lui a pris la vie en l’abattant.
Un manifestant a déclaré à Amnesty International qu’il avait vu la police tirer sur Jean Népo le 26 avril 2015, près de l’Université Espoir d’Afrique à Ngagara 2, un quartier de Bujumbura, la capitale du pays. D’après des témoins et des proches de Jean Népo, il ne participait pas à des manifestations.
« Les manifestants se sont rendus dans le quartier n° 8, avenue Buconyori. La police est arrivée de la direction du quartier de Mutakura avec le commissaire Ayubu et a commencé à tirer. Jean Népo a fui vers une porte. Il n’a pas pu entrer car les gens, effrayés, s’étaient enfermés à l’intérieur. Jean s’est retourné, a trébuché sur des pierres, est tombé et les policiers lui ont tiré une balle dans la tête. Il était à genoux et a dit à la police qu’il ne participait pas aux manifestations. Il n’avait rien à la main. La police lui a tiré dessus et des policiers, dont le commissaire Ayubu, ont fui et sont allés en direction de Kanyoni. La police a tiré sur d’autres manifestants pour les disperser. » – Un manifestant ayant assisté à la scène.
Le certificat de décès indique que Jean Népomucène Komezamahoro a été tué dans une « fusillade ».
Les autorités n’ont mené aucune enquête sur la mort de Jean Népo.
2. Zedi Feruzi – Un dirigeant de l’opposition tué avec l’un de ses gardes du corps
Le 23 mai 2015 vers 19 h 30, Zedi Feruzi, président de l’Union pour la paix et la démocratie-Zigamibanga (un parti d’opposition), et l’un de ses gardes du corps membre des unités de police chargées de l’Appui pour la Protection des Institutions (API) ont été tués à Ngagara, alors que Zedi Feruzi rentrait chez lui à pied. Jean-Baptiste Bireha, un journaliste gravement blessé lors des faits, a déclaré à France Inter lors d’un entretien à la radio que les assaillants portaient des uniformes de l’API.
Deux autres témoins ont confirmé qu’il s’agissait de policiers de l’API. L’un des témoins a reconnu l’un des policiers. Le même jour, un communiqué de presse sur le site du président Pierre Nkurunziza ordonnait aux autorités compétentes de mener une enquête dans les plus brefs délais.
À ce jour, personne n’a été traduit en justice pour la mort de Zedi Feruzi. Sa femme a été forcée à s’exiler.
3. Jean Bigirimana – Un journaliste dont la disparition n’a toujours pas été expliquée
Avant sa disparition, Jean Bigirimana travaillait pour le journal hebdomadaire burundais indépendant Iwacu. Le 22 juillet 2016, Jean Bigirimana a quitté son domicile de Bujumbura, la capitale, pour se rendre à Bugarama, dans la province de Muramvya. Il a disparu en route.
D’après Iwacu, il a quitté son domicile après avoir reçu un appel du Service national de renseignement (SNR).
Trois jours après sa disparition, Pierre Nkurikiye, porte-parole de la police, a affirmé que les forces de sécurité n’étaient pas responsables de sa disparition. Willy Nyamitwe, alors conseiller en communication du président, a déclaré que le gouvernement menait une enquête sur le sujet. La Commission nationale indépendante des droits de l’homme a mené une enquête sur la disparition de Jean Bigirimana. Le 5 août 2016, la Commission a clos son enquête en déclarant qu’elle n’avait pas réussi à retrouver Jean Bigirimana ou à obtenir plus d’informations sur l’endroit où il se trouvait.
Au cours des six derniers mois, Godeberthe Hakizimana, la femme de Jean Bigirimana, a reçu de graves menaces pour avoir dénoncé la disparition de son mari. En mars 2017, un graffiti menaçant a été découvert sur un commerce devant chez elle dont elle est propriétaire. En juin, Iwacu a indiqué qu’une note lui demandant de cesser de voyager et de dire du mal de son pays aux enquêteurs des Nations unies chargés d’enquêter sur les violations des droits humains au Burundi avait été déposée chez elle.
On est toujours sans nouvelles de Jean Bigirimana. Ses collègues d’Iwacu et sa famille craignent le pire.
4. Esdras Ndikumana – Journaliste arrêté et torturé pour avoir fait son travail
Esdras Ndikumana est un journaliste burundais bien connu, correspondant de Radio France Internationale (RFI) et de l’Agence France Presse (AFP). Il a été arrêté par des agents du SNR le 2 août 2015, alors qu’il prenait des photos sur les lieux de l’attaque qui a causé la mort du général Adolphe Nshimirimana. Il a été torturé durant sa détention.
Esdras Ndikumana se préparait à aller à l’église le 2 août 2015 au matin, lorsqu’il a appris la mort du général Adolphe Nshimirimana, ancien chef du SNR. Avant d’aller à l’église, il a décidé de s’arrêter à l’endroit où le général avait été tué. Lorsqu’il est arrivé sur place, un grand nombre de militaires étaient présents et il a donc été prudent et a vérifié s’il pouvait faire son travail en toute sécurité. Il a reconnu deux représentants du gouvernement et des membres des forces de sécurité sur les lieux et a demandé l’autorisation avant de commencer à prendre des photos. Il a alors vu trois hommes qui se parlaient. Les trois hommes ont appelé un agent de rang inférieur et ont montré Esdras Ndikumana du doigt. L’agent a emmené Esdras Ndikumana et l’a embarqué violemment dans un pick-up. Dans le pick-up, Esdras Ndikumana a reçu plusieurs coups de poing, sous les yeux des responsables burundais présents. Il a été placé en détention au siège du SNR à Bujumbura où il dit avoir été torturé pendant environ deux heures.
Les services du président Pierre Nkurunziza ont rapidement condamné les faits dans un communiqué de presse le 13 août. Le communiqué indiquait qu’une enquête sur les allégations de torture d’Esdras Ndikumana au cours de sa détention serait menée et que les auteurs de ces actes seraient poursuivis et sanctionnés. À mesure que le temps passait, Esdras Ndikumana et ses employeurs ont réalisé qu’aucune des actions promises par le président n’avait été entreprise. Ils ont décidé de porter officiellement plainte contre X (ce qui signifie que la victime n’est pas en mesure de nommer les auteurs des violations) auprès du procureur général le 19 octobre 2015. À la fin de l’année 2016, le procureur chargé de l’affaire a demandé à Esdras Ndikumana de fournir les noms des personnes qui l’avaient frappé, afin qu’il puisse ouvrir l’enquête. Cependant, le procureur n’a pas besoin de noms pour lancer des enquêtes dans le cadre d’une plainte contre X.
Esdras Ndikumana est depuis victime d’une campagne de diffamation en ligne lancée par les sympathisants du gouvernement burundais actuel. En mai 2016, le ministre de la Sécurité publique a accusé Esdras Ndikumana de s’être montré partial dans le cadre de ses activités journalistiques, de servir des intérêts étrangers et de promouvoir le crime et la violence au Burundi.
Il vit actuellement en exil.
5. Pierre Claver Mbonimpa – Tentative de meurtre
Le 3 août 2015, Pierre Claver Mbonimpa a survécu de peu à une tentative de meurtre à Bujumbura alors qu’il rentrait chez lui après le travail. Pierre Claver Mbonimpa est le président de l’Association burundaise pour la protection des droits humains et des personnes détenues (APRODH). Il était l’un des principaux détracteurs de la candidature du président Pierre Nkurunziza pour un troisième mandat en 2015. L’attaque a eu lieu le lendemain de l’assassinat du général Adolphe Nshimirimana, qui était le chef de la sécurité auprès du président. Dans un état critique après avoir reçu une balle dans le cou, Pierre Claver Mbonimpa a été autorisé à recevoir des soins à l’étranger.
À la suite de la tentative de meurtre en août 2015, plusieurs membres de l’association de Pierre Claver Mbonimpa ont reçu des menaces et ont été surveillés. En octobre 2015, Pascal Nshimirimana, le gendre de Pierre Claver Mbonimpa, a été tué par les forces de sécurité devant chez lui. Un mois plus tard, Welly Fleury Nzitonda, le fils de Pierre Claver Mbonimpa, a également été tué par les forces de sécurité. Il semble que ces meurtres soient liés au travail de Pierre Claver Mbonimpa et de l’APRODH en faveur des droits humains.
À ce jour, les résultats de l’enquête sur cette affaire n’ont pas été révélés et personne n’a été tenu responsable.
Pierre Claver Mbonimpa vit en exil.
6. Welly-Fleury Nzitonda – Le fils d’un détracteur du gouvernement, tué par la police
Le 6 novembre 2015, des policiers ont tué Welly Fleury Nzitonda. Il était le fils de Pierre Claver Mbonimpa, un militant en faveur des droits humains de premier plan au Burundi qui avait survécu à une tentative de meurtre trois mois auparavant.
Le jour où il a été tué, Welly Fleury Nzitonda venait chercher des effets personnels chez lui à Mutakura, dans la région de Bujumbura. Il a été arrêté par des policiers qui effectuaient une patrouille de routine à 11 heures. Lorsqu’ils ont découvert que Welly Fleury Nzitonda était le fils de Pierre Claver Mbonimpa, les policiers l’auraient arrêté. Ils l’ont conduit dans une maison où il aurait été tué par le chef de la police locale. Son corps a été découvert plus tard ce jour-là.
Le meurtre de Welly Fleury Nzitonda a eu lieu après la tentative de meurtre dont a été victime son père le 3 août et le meurtre de son beau-frère le 9 octobre.
Pierre Claver Mbonimpa n’a pas pu assister à l’enterrement de son fils, car il se remettait des blessures provoquées par sa tentative de meurtre. Il a envoyé un message encourageant les Burundais à garder l’espoir que la crise au Burundi prendra un jour fin.
7. Marie-Claudette Kwizera – Militante en faveur des droits humains enlevée par des membres des forces de sécurité
Marie Claudette Kwizera, militante en faveur des droits humains et trésorière de la Ligue Iteka, la principale organisation de défense des droits humains du pays, a disparu depuis le 10 décembre 2015. Marie Claudette Kwizera a été enlevée par des personnes qui seraient membres du SNR, près de la polyclinique centrale de Bujumbura.
Le 12 décembre 2015, deux jours après l’enlèvement de Marie Claudette Kwizera, un agent du SNR a informé sa famille qu’elle était détenue dans les locaux du SNR, et a demandé 3,5 millions de francs burundais de rançon. Bien que ses proches aient payé la rançon, ils n’ont jamais su où elle était. Ils ont déposé une plainte à ce sujet et l’agent a été arrêté, mais a ensuite été libéré, d’après la Ligue Iteka. Le 13 janvier 2016, une personne de la famille de Marie Claudette Kwizera s’est rendue aux locaux du SNR et n’a pas été autorisée à entrer.
À la suite de la disparition de Marie Claudette Kwizera, la Fédération internationale des Ligues des droits de l’homme (FIDH) a lancé une campagne en ligne intitulée #FreeMarieClaudette et #SaveMarieClaudette, demandant une enquête indépendante sur sa disparition.
On ignore toujours où elle se trouve. Beaucoup de personnes craignent qu’elle ait été tuée.
Des mesures insuffisantes pour mettre fin à l’impunité au Burundi
À la suite d’une forte pression d’organisations nationales et internationales, le gouvernement du Burundi a mis en place deux commissions d’enquête destinées à enquêter sur les événements liés à la crise depuis 2015. La première a enquêté sur le « mouvement insurrectionnel », sans mener d’enquête sérieuse sur le recours excessif à la force en réponse aux manifestations de 2015. L’autre commission était chargée d’enquêter sur les événements de décembre 2015 et la découverte de fosses communes. Selon les résultats, toutes les personnes retrouvées mortes dans les quartiers de Musaga, Ngagara et Nyakabiga à Bujumbura avaient participé aux affrontements. Une seule personne a été présentée comme « mentalement dérangée » et aurait été prise entre deux feux. Ces conclusions ne correspondent pas à celles de plusieurs organisations indépendantes, dont Amnesty International. En réalité, après les attaques menées par l’opposition armée contre trois installations militaires les 11 et 12 décembre 2015, les forces de sécurité ont procédé à des opérations de ratissage lors desquelles de nombreuses personnes ont été abattues de balles dans la tête, et au moins un corps a été retrouvé attaché.
Le gouvernement du Burundi n’a pas pris de mesures efficaces pour amener les personnes soupçonnées de crimes au titre du droit international et de violations des droits humains à rendre des comptes.