Kumi Naidoo : "Osons le courage " Par Kumi Naidoo, secrétaire général d’Amnesty International

Les vrais leaders protègent les droits humains. Ils n’essaient pas de les entraver en imposant des restrictions et des obstacles injustifiés aux ONG afin de les empêcher de mener leur travail essentiel en faveur des droits humains.

Les vrais leaders n’ont pas non plus recours à des méthodes de harcèlement contre des ONG et ne leur lient pas les mains avec des contraintes administratives en vue de les réduire au silence.

Pourtant, c’est exactement le type de méthodes de harcèlement auxquelles des dirigeants qui se qualifient de « durs à cuire », de plus en plus nombreux sur la scène internationale ces dernières années, ont recours afin de prendre pour cible et d’attaquer des groupes déjà marginalisés.

Comme le révèle le nouveau rapport d’Amnesty International sur la répression mondiale de la société civile, depuis 2017, près de 40 mesures législatives destinées à entraver le travail des organisations de la société civile ont été adoptées ou proposées dans le monde.

De la Hongrie aux États-Unis, nous avons été témoins des graves conséquences de ces mesures pour les personnes se mobilisant pour défendre les droits humains. Les militant·e·s œuvrant à la défense des droits des femmes, des personnes LGBTI, des réfugié·e·s et des migrant·e·s et à la protection de l’environnement sont les plus touché·e·s.

En Arabie saoudite, le meurtre de Jamal Khashoggi a ouvert les yeux de nombreuses personnes sur la sombre réalité du traitement réservé aux personnes exprimant des opinions dissidentes.

L’une des méthodes utilisées par le gouvernement saoudien pour réprimer la dissidence est le rejet des demandes d’enregistrement des nouvelles organisations et l’interdiction de celles-ci s’il considère qu’elles « portent atteinte à l’unité nationale ». En raison de cette politique, aucune organisation indépendante de défense des droits humains n’a pu s’enregistrer, et les groupes de défense des droits des femmes ont été tout particulièrement pris pour cible.

Des femmes défenseures des droits humains telles que Loujain al Hathloul, Eman al Nafjan et Aziza al Yousef, entre autres, sont toujours maintenues en détention arbitraire sans avoir été inculpées et sans avoir pu consulter d’avocats.

Comme le démontre notre rapport, de lourdes contraintes administratives, des obstacles à l’accès au financement et d’autres restrictions fondées sur des notions vagues telles que la « sécurité nationale » ou les « valeurs traditionnelles » affectent de manière disproportionnée les femmes et les groupes marginalisés.

Le plus inquiétant est la vitesse à laquelle ces mesures législatives répressives se répandent dans le monde, même dans des pays traditionnellement considérés comme plus ouverts à la société civile. Le rétablissement par Donald Trump de la « règle du bâillon mondial », l’une de ses mesures prioritaires à sa prise de fonctions en 2017, en est un exemple frappant. Cette mesure empêche l’octroi d’aide médicale américaine, souvent sous forme de financements indispensables, à toute ONG qui utilise ses propres fonds pour fournir des services, des conseils ou un aiguillage en matière d’avortement ou essaie de militer en faveur de la dépénalisation de ces services.

Cela a non seulement eu pour conséquence d’entraver l’accès de millions de femmes et de filles à des services vitaux de santé en matière de sexualité et de procréation, mais a également affecté des organisations fournissant des soins pour d’autres problèmes de santé tels que le VIH ou le paludisme.

Ces restrictions ne touchent pas seulement les militant·e·s en faveur des droits de femmes et les groupes avec qui ces personnes travaillent. Les migrant·e·s et les réfugié·e·s sont depuis longtemps la cible de personnalités politiques usant d’un discours toxique « nous contre eux » et ces attaques s’étendent de plus en plus aux groupes qui font preuve de solidarité avec ces personnes et portent assistance aux personnes qui en ont besoin.

En Hongrie, le gouvernement du Premier ministre Viktor Orban a supervisé l’adoption de lois xénophobes destinées à prendre pour cible les personnes et organisations apportant un soutien aux réfugié·e·s et aux migrant·e·s. Au titre de l’ensemble de lois « Stop Soros » adopté en 2018, le simple fait de préparer ou de distribuer des tracts contenant des informations sur l’immigration peut être considéré comme une infraction. Cette législation est rédigée en termes si vagues qu’elle en est absurde.

Mais la Hongrie n’est pas un cas unique. En Australie, la Loi de 2015 relative à la force frontalière est un exemple scandaleux des méthodes utilisées par les gouvernements pour réprimer la solidarité envers les réfugié·e·s : elle interdit aux responsables de l’application des lois de dénoncer les violences ou négligences médicales constatées dans les centres de détention extraterritoriaux de l’Australie. Toute infraction à cette loi est passible d’une peine de deux ans d’emprisonnement.

Pour diaboliser et stigmatiser des groupes minoritaires déjà marginalisés, des gouvernements sont déterminés à prendre tout le monde au piège de leurs filets, particulièrement les militant·e·s qui osent défendre les droits d’autres personnes.

C’est un problème qui nous concerne toutes et tous, pas seulement les membres du personnel des ONG. Car si les gouvernements sont autorisés à continuer d’utiliser ces méthodes, cela créera un monde dans lequel nous serons plus divisé·e·s que jamais et dans lequel moins de personnes auront la volonté ou la capacité de défendre les droits des groupes marginalisés.

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