« Nous sommes la continuité » : Ce que le hashtag du président signifie pour les droits humains à Cuba Par Louise Tillotson, spécialiste des Caraïbes à Amnesty International

L’année dernière à Cuba, un pays où Internet reste contrôlé et censuré par l’État, le nouveau président Miguel Díaz-Canel a ouvert un compte Twitter. Depuis, l’un de ses hashtags préférés a été « #SomosContinuidad » (« Nous sommes la continuité »). Mais que signifie la « continuité » pour les droits humains à Cuba ?

Un mois après la prise de fonctions du nouveau président, l’ONU a examiné le bilan en matière de droits humains de Cuba. Comme lors des examens précédents, les autorités cubaines ont rejeté les recommandations d’autres États membres des Nations unies encourageant le pays à ratifier les traités les plus basiques en matière de droits humains. Le pays a également balayé les multiples appels à renforcer le système judiciaire et à mettre les lois pénales en conformité avec le droit international.

La « continuité » signifie également que Cuba restera le seul pays de la région des Amériques dans lequel Amnesty International, et la plupart des autres observateurs indépendants des droits humains, ne peuvent pas se rendre. En septembre, nous avons publiquement réitéré nos demandes de visite à Cuba. Après des années, l’ambassadeur de Cuba aux Nations unies nous a donné une réponse : « Amnesty International ne viendra pas à Cuba et nous n’avons pas besoin de ses conseils ».

Mais nous ne nous laisserons pas dissuader. Bien que le fait de ne pas pouvoir nous rendre à Cuba rende notre tâche plus difficile, car nous préférons toujours nous entretenir avec les gouvernements et écouter leur version des faits, nous continuerons de trouver des moyens de contourner ces difficultés. Par exemple, en 2017, quand des milliers de migrants cubains traversaient l’Amérique du Sud et centrale pour se rendre aux États-Unis, nous avons rencontré et interrogé plus de 60 personnes au Mexique. Nombre de ces personnes avaient vendu tout ce qu’elles possédaient, traversé environ huit pays et marché jusqu’au bouchon du Darién, une zone de jungle dangereuse et périlleuse entre la Colombie et le Panama, à la recherche d’une vie dans laquelle elles ne seraient pas écrasées et étouffées sous le poids de l’appareil étatique répressif.

Le rapport rédigé après plusieurs heures d’entretien avec des Cubains explique que des accusations forgées de toutes pièces pour des infractions banales et des licenciements de postes de fonctionnaires pour des motifs politiques continuent d’être utilisés comme méthodes pour réduire au silence les personnes qui critiquent, ne serait-ce qu’un peu, le système économique ou politique du pays.

Le président Miguel Díaz-Canel semble vouloir renforcer ce réseau de contrôle de la liberté d’expression. En avril 2018, l’une des premières lois qu’il a ratifiées était le décret 349, qui a annoncé un futur cauchemardesque dans lequel les artistes seront censurés et devront obtenir l’autorisation préalable de l’État pour pouvoir travailler, au risque de s’exposer à des sanctions. Les autorités auraient depuis arrêté arbitrairement des artistes indépendants qui ont osé s’opposer à la loi. Cela n’a rien de nouveau bien sûr. Amnesty International recueille des informations sur la répression des artistes indépendants à Cuba depuis au moins les années 1980.

Une lueur d’espoir avait été entrevue l’année dernière avec le processus de réforme constitutionnelle. Amnesty International a salué l’intégration de protections contre la discrimination des personnes LGBTI dans le premier projet et d’une disposition qui aurait fait de Cuba la première nation indépendante des Caraïbes à légaliser le mariage entre personnes du même sexe. Cependant, à la fin de l’année 2018, le gouvernement avait retiré les dispositions liées aux unions entre personnes du même sexe du projet de Constitution qui sera soumis à un référendum ce mois-ci.

La Constitution prévoit toutefois certaines dispositions plus progressistes, comme la reconnaissance explicite du changement climatique comme une menace mondiale. Mais si les autorités ne cessent pas d’emprisonner des militants, comme le défenseur de l’environnement Ariel Ruiz Urquiola, pour des accusations d’« outrage » ou de manque de respect à des représentants de l’État, si elles ne commencent pas à permettre à la population cubaine d’avoir accès aux informations nécessaires pour participer aux politiques en matière d’environnement et ne rendent pas le système judiciaire suffisamment indépendant pour mettre en œuvre les droits protégés par la Constitution, il est difficile d’imaginer que la nouvelle Constitution se traduise par une meilleure protection des droits humains dans la pratique.

Mais alors, qu’est-ce que la « continuité » pour les droits humains à Cuba ? C’est la confrontation et souvent l’arrestation et le licenciement, plutôt que le dialogue, pour quiconque remet en question le système de l’État.

C’est la détention d’Eduardo Cardet depuis 2016 pour le seul exercice de son droit à la liberté d’expression. Et c’est l’interdiction du travail légitime des organisations de défense des droits humains et des avocats qui essaient de défendre des personnes telles qu’Eduardo Cardet.

Mais dans ce système usé, la « continuité » c’est également des journalistes et militants des droits humains courageux et indépendants qui prennent des risques, sont arrêtés et osent regarder en face les clivages froids de l’idéologie politique pour envisager des alternatives et le changement.

Cet article a initialement été publié par Anuario CIDOB.

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