En Belgique, les services extra-hospitaliers en santé sexuelle et reproductive, tels que les centres de planning familial, occupent une place importante dans l’accessibilité effective à la contraception, l’avortement ou encore le suivi des grossesses désirées ou non-désirées.
Cet accès a été mis à mal lors de la mise en place du premier confinement. Alors que l’accès aux soins hospitaliers est repensé par les hôpitaux, que certains actes médicaux sont nommés et officiellement déclarés comme essentiels, d’autres comme la prescription d’une contraception, d’urgence ou non, le suivi d’une grossesse non-désirée ou les dépistages sont invisibilisés.
Si les centres de planning familial sont identifiés comme services essentiels devant rester ouverts, le manque de communication officielle de la part des autorités autour de la continuité de ces services et de leur importance pour la santé a laissé de nombreuses femmes dans l’incertitude. Par manque d’accès à l’information ou par méconnaissance du système de santé, certaines bénéficiaires ne sont pas venues ou l’ont fait tardivement, malgré des situations parfois urgentes. Cette absence de communication, d’autant plus en temps de crise, a par ailleurs engendré un manque d’information auprès de la police et des femmes* qui se rendaient en centres ont parfois dû faire demi-tour suite à un contrôle de police.
« Si les centres de planning familial sont identifiés comme services essentiels devant rester ouverts, le manque de communication officielle de la part des autorités autour de la continuité de ces services et de leur importance pour la santé a laissé de nombreuses femmes dans l’incertitude »
De plus, de nombreux.ses jeunes ont été confiné·e·s avec leurs parents, ce qui a rendu leur accès à un centre de planning familial encore plus difficile. Enfin, de nombreuses femmes* et enfants victimes de violences conjugales et intrafamiliales ont été enfermé·e·s avec leurs agresseurs, et n’ont pu accéder aux services de soutien et de prise en charge.
Le silence des autorités quant à l’accès à ces services en temps de crise sanitaire a laissé place à la désinformation générée par les groupes anti-avortement, qui n’ont eux pas hésité à diffuser des messages dissuasifs spécifiques pendant le confinement : “Evitez les hôpitaux et plannings familiaux, vous risquez d’être contaminée !”.
Un droit à l’avortement toujours menacé
Alors même que la pandémie exacerbe les inégalités sociales et de santé auxquelles font face de nombreuses femmes*, le projet de loi modifiant la législation relative à l’interruption volontaire de grossesse, et qui vise précisément à rendre l’accès à celle-ci plus égal, est renvoyé quatre fois au Conseil d’Etat entre décembre 2019 et juillet 2020. De plus, ce texte a fait l’objet, dans le cadre de la formation du gouvernement fédéral, d’un marchandage politique qui a renvoyé les travaux au point de départ alors que, pourtant soutenu par la majorité des partis, il était sur le point d’être voté par le Parlement.
Dans une perspective de justice sociale et d’égalité des chances et afin de rendre les services de santé sexuelle et reproductive accessibles à toutes et tous, nous demandons :
- Que l’Etat prenne toutes les mesures nécessaires pour assurer, par tous les canaux, une information complète, exacte et neutre sur le droit et l’accès à l’interruption volontaire de grossesse. Cela passe notamment par la prise en charge d’un référencement adéquat sur des sites internet officiels et la mise à disposition des coordonnées de toutes les structures agréées à la pratique de l’IVG. Tout délit de désinformation doit être pénalement sanctionné.
- De permettre l’ouverture de nouveaux centres IVG dans les zones peu desservies comme le Luxembourg afin de garantir un accès effectif à l’avortement pour toutes et dans de bonnes conditions ;
- De faciliter l’accessibilité financière à l’IVG pour les femmes* en situation de précarité et les femmes que leur situation rend vulnérables ;
- De garantir l’autonomie des personnes, à titre individuel ou en couple, dans leur décision de poursuivre ou d’interrompre une grossesse, quel qu’en soit l’avancement ;
- D’étendre le délai de recours à l’avortement pour permettre à chaque femme* ne souhaitant pas mener à terme une grossesse non-désirée de l’interrompre dans un service agréé belge, évitant ainsi d’exacerber les inégalités d’accès aux soins, selon qu’elles ont la possibilité ou non de se rendre dans un pays voisin où la législation est plus favorable ;
- De réduire le délai obligatoire entre la première consultation et l’intervention qui est actuellement de 6 jours et qui peut être vécu comme une forme de violence ; d’une part pour respecter l’autonomie et la capacité des femmes* à prendre des décisions par et pour elles-mêmes, d’autre part pour garantir au plus grand nombre le choix de la méthode (médicamenteuse ou chirurgicale) ;
- De supprimer les sanctions pénales à l’encontre tant des médecins qui pratiquent l’IVG que des femmes* qui y recourent ;
- Renforcer la loi pour empêcher les entraves à l’IVG ;
- De renforcer l’information et la formation des professionnel·le·s de santé afin de lutter contre la pénurie de médecins formé·e·s à la pratique de l’avortement.
Encore trop de femmes* n’ont pas accès à l’avortement en Belgique
Allonger le délai légal à 18 semaines n’augmentera pas le nombre de demandes d’interruptions volontaires de grossesse. En Belgique, la majorité des femmes* avortent autour de 7 semaines de grossesse, c’est-à-dire le plus rapidement possible à partir du moment où elles découvrent qu’elles sont enceintes sans l’avoir désiré. A l’échelle internationale, ces chiffres se vérifient : même dans les pays qui bénéficient d’une loi plus généreuse (comme au Canada où il n’existe pas de délai limite), 89% des avortements sont pratiqués avant 12 semaines de grossesse [1] .
Le nombre d’IVG est stable depuis plusieurs années (en moyenne 18 800 avortements par an entre 2011 et 2017) et il ne bondira pas avec cette nouvelle loi : celle-ci permettra seulement de mieux accueillir et accompagner les 500 femmes* qui, tous les ans, se voient contraintes d’aller à l’étranger pour interrompre leur grossesse. Étendre le délai permettrait simplement d’accompagner ces femmes* en Belgique, avec considération pour le vécu singulier de chacune.
« En cette journée internationale de lutte, nous rappelons qu’il est essentiel de protéger et garantir les droits des femmes* à disposer de leurs corps et de leurs vies »
Parce que la contraception n’est pas efficace à 100%. Parce que certaines femmes* n’ont tout simplement pas accès à la contraception. Parce qu’on leur prescrit une contraception qui ne leur convient pas. Parce qu’il y a des viols, des incestes, des violences. Parce que des conjoints s’en vont en cours de route. Parce qu’il y a des dénis de grossesse. Parce qu’il y a des femmes* qui sont sous contraception hormonale continue, sans règles, et qui réalisent donc tardivement qu’elles sont enceintes. Parce qu’à l’inverse, certaines personnes continuent à avoir des saignements tout en étant enceintes et découvrent leur grossesse au bout de plusieurs semaines. Parce que d’autres encore ont des cycles menstruels tellement irréguliers qu’une grossesse sera détectée très tardivement. Parce que la grossesse est une période à risques pour l’apparition ou l’aggravation des violences conjugales et intra-familiales. Parce que l’accès à l’avortement pour les personnes sans-papiers est plus long et plus complexe. Parce que certaines personnes subissent des pressions de leur entourage pour ne pas avorter. Parce qu’un·e médecin réticent·e n’a pas réorienté tout de suite la personne vers un centre IVG. Parce que les solutions alternatives ne paraissent parfois pas envisageables. Parce que tout le monde n’a pas les moyens de payer les frais de transport et de soins pour aller avorter à l’étranger.
En cette journée internationale de lutte, nous rappelons qu’il est essentiel de protéger et garantir les droits des femmes* à disposer de leurs corps et de leurs vies. D’autant plus dans ce contexte de crise prolongée. C’est une question de santé publique, de justice sociale et d’égalité des chances : l’Etat doit créer, en toutes circonstances, des conditions favorables à l’accès à la santé reproductive et sexuelle et à la réalisation du droit de toutes et tous à l’autodétermination.
*Toute femme ou personne concernée
Texte collaboratif rédigé par un collectif de femmes avec le soutien du Collecti·e·f 8 maars Bruxelles, Sororidad sin Fronteras, la Fédération des centres pluralistes de planning familial, la Fédération Laïque des centres de planning familial, Bruxelles Laïque, le GACEHPA et le Centre d’action laïque.