JO : les droits humains en différé ?

Ce qui étonne dans le brouhaha actuel sur le boycott ou non des Jeux Olympiques, c’est qu’il vienne si tard. Tout d’un coup, le voile se déchire ; cette fois-ci, en réprimant durement les manifestations au Tibet, « les Chinois sont allés trop loin ». Pourtant, les choses sont claires depuis longtemps : la Chine se moque des droits humains comme d’une pomme, surtout si on la laisse faire.

Lorsque le CIO a annoncé la tenue des JO en Chine, les violations des droits humains en Chine étaient déjà nombreuses et massives, comme elles le sont depuis des années. Cela n’a pas engendré le bruit médiatique que l’on entend aujourd’hui. C’est que l’annonce avait été accompagnée d’une promesse qui sauvait tout : celle que la situation des droits humains se verrait « naturellement » améliorée dès lors que les Jeux arriveraient. Une réplique sportive en quelque sorte du discours entendu souvent en Chine également : quand l’économie va, les droits humains progressent. Non seulement on pouvait réserver ses places pour la tribune d’honneur des JO, mais on pouvait surtout continuer à commercer comme si de rien n’était.

S’il est une chose qu’il faut certainement accorder aux manifestants tibétains, c’est d’avoir réussi, malheureusement souvent au prix de leur vie, à ramener les médias et surtout les dirigeants politiques occidentaux à la triste réalité : les Jeux de 2008 seront avant tout, comme ils le furent pour un petit chancelier en 1936, une immense vitrine de propagande. Les brutalités et la répression à laquelle nous assistons n’ont pas lieu malgré la proximité des JO, mais en raison de celle-ci. Ça promet donc pour le mois d’août.

Un himalaya de violations des droits humains

Le drame qui se joue au Tibet, en effet, n’est que la partie visible de l’himalaya de violations qui constituent le quotidien de nombreux chinois (voir le rapport publié ce 2 avril par AI). Un énorme coup de balai a été donné pour réduire au silence tous les opposants qui pourraient profiter des Jeux pour s’exprimer, ou même remettre en question les expropriations massives d’habitants dans les zones qui ont été aménagées pour accueillir les festivités. Malgré quelques libérations symboliques, un plus grand nombre encore d’individus ont été arrêtés, parfois battus ou torturés, pour avoir lancé des pétitions. Celles et ceux qui ont tenté de faire le lien entre les JO et les problèmes qu’ils dénonçaient ont été particulièrement ciblés. Des milliers de prisonniers d’opinion croupissent encore dans les geôles chinoises, ou sont victimes de la «  rééducation par le travail ».

Les journalistes étrangers, à qui ont avait pourtant promis toute liberté d’action, expérimentent ces jours-ci ce que leurs collègues chinois connaissent depuis longtemps. Ainsi, seulement une dizaine de journalistes triés sur le volet pourront se rendre ces jours-ci au Tibet.

Le pouvoir, déjà très en avance technologiquement sur le contrôle d’Internet (grâce à la complicité active de grandes compagnies comme Google, Yahoo ou Microsoft), a encore resserré les liens de la toile, visant notamment des sites informant sur le VIH/SIDA.
Si quelques avancées timides ont eu lieu en ce qui concerne la peine capitale, la Chine reste ? et de loin ? le pays en tête du hit-parade des exécutions.

Enfin, toute revendication autonomiste est considérée comme « terroriste » (les dirigeants chinois apprennent vite les mots qui sont dans l’air du temps), non seulement du côté de Lhassa, mais aussi au Xinyang, où les militants ouïghours payent le prix fort de leur demande de plus d’autonomie.

Briser le syndrôme de Berlin 36

En fait, les événements du Tibet sont surtout embarrassants pour les pays occidentaux. Car la Chine est une « bénédiction » pour reprendre les termes d’un éditorial récent du Monde : 70% de ses réserves en devises sont placés en dollars, amortissant ainsi les remous de la crise américaine, et les bas prix des produits Made in China maintiennent une inflation basse en Europe... A tel point que certaines grandes entreprises multinationales produisant en Chine ont menacé en 2006 de ... délocaliser leur production dans un autre pays si le projet du gouvernement chinois d’accorder certaines (timides) avancées sociales aux ouvriers étaient approuvé.

Pour beaucoup de pays du Sud, par contre, la reconnaissance envers l’Empire du milieu est réelle, et les avancées de la Chine en Afrique par exemple lui garantissent une impunité et un silence que les récentes sessions du Conseil des droits de l’homme des Nations unies n’ont pas démentis.

S’il est difficile de demander le boycott à des athlètes qui ont passé des années à se préparer, il est du devoir des gouvernements d’exprimer clairement aux autorités chinoises leur désapprobation totale de la situation des droits humains dans ce pays.

Ceci dit, rien ne nous empêche de « retourner » les Jeux Olympiques, de telle sorte qu’ils soient surtout une vitrine de la réalité des souffrances, non seulement des athlètes engagés, mais surtout des plus faibles parmi les Chinois. Qu’il s’agisse pour nos représentants d’arborer fièrement la Déclaration universelle des droits de l’homme partout où ils iront (nous en avons un stock à leur disposition) et d’en rappeler le contenu à tous leurs interlocuteurs chinois, ou pourquoi pas, comme l’appelait de tous ses voeux Yvon Toussaint dans le Soir récemment, un geste « déplacé » de certains sportifs lors des cérémonies ?

Reste que l’ambition chinoise de contrôler les médias a dépassé les frontières de leur pays. Présente en Chine, la chaîne européenne sportive Eurosport vient de s’engager auprès du gouvernement chinois, à ne diffuser aucun reportage mettant en avant la pollution, les droits de l’homme et les menaces de boycott à partir de maintenant et jusqu’à la fin des jeux olympiques de Pékin en août prochain. Suite à la diffusion d’un reportage sur une athlète éthiopien qui a renoncé à courir en raison de la pollution athmosphérique dans la capitale chinoise, un officiel chinois a directement pris contact avec les patrons d’Eurosport à Paris (chaîne appartenant à 100% à TF1) pour exiger le retrait du reportage. Ce qui fut fait illico presto. « Pékin Sans Souci : la Chine semble bien partie pour une organisation sans faille » titrait encore récemment le site français d’Eurosport.

Lors de la cérémonie d’allumage de la flamme olympique en Grèce, le reportage de la télévision chinoise a permis de se rendre compte que toutes les éventualités avaient été prévues, et que la manifestation de RSF a été remplacée par des vues touristiques du site.

Daniel Bilalian, patron de France 2, a annoncé que sa chaîne envisageait de ne pas retransmettre les JO si les Chinois persistaient dans l’idée de fournir les images en « léger » différé... Si les Mexicains avaient été aussi technologiquement avancés que la Chine l’est aujourd’hui, nous n’aurions jamais vu les poings gantés des deux athlètes américains à Mexico.
En fait, les Jeux Olympiques seront surtout ce que notre volonté d’agir en fera. Il reste peu de temps, le compte à rebours est déjà largement entamé. Il est temps de le rappeler fermement aux Chinois Faute de quoi, nous en serons réduit à boycotter ... nos écrans de TV.

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