Melilla : plus jamais ça

Quelques semaines après un accord entre les gouvernements espagnol et marocain, suite au changement de politique de l’Espagne en ce qui concerne le Sahara occidental, au moins 23 personnes sont mortes en tentant de rejoindre l’enclave espagnole de Melilla depuis le Maroc. Certaines organisations travaillant sur le terrain ont estimé le nombre de morts à 37. Une enquête est indispensable ; mais aussi, il est essentiel de placer les droits au centre de nos politiques migratoires.

Le bilan des victimes continue de s’alourdir. Vendredi dernier, au moins 23 personnes sont mortes en tentant de rejoindre l’enclave espagnole de Melilla depuis le Maroc. Certaines organisations travaillant sur le terrain ont estimé le nombre de morts à 37.

Leurs corps attendent d’être enterrés dans des tombes creusées à la hâte. Mais pour autant que nous le sachions, aucun d’entre eux n’a été formellement identifié ou n’a subi d’autopsie, et leurs restes n’ont pas été rendus à leurs proches pour un adieu digne.

Les images et les séquences sont choquantes. Des tas de personnes - mortes et vivantes - entassées sur le sol tandis que la police marocaine marche au milieu d’elles, les secouant et les frappant avec des matraques et des bâtons. Daniel Canales, chercheur à Amnesty Espagne, a vu des images inédites de la police espagnole remettant des réfugiés potentiels - dont la plupart viennent du Soudan - à des policiers marocains, sans aucune sorte d’enquête ou de procédure pour déterminer s’ils ont besoin de protection. Une fois remis, ils sont à nouveau battus par ces policiers.

Les mafias responsables des migrants morts selon l’Espagne ? Encore un mensonge !

Amnesty International a demandé qu’une enquête indépendante et approfondie soit menée sur ce qui s’est passé à cette frontière, une frontière qui a connu des événements dramatiques depuis des décennies.

En 2005, au moins 13 personnes sont mortes aux mains de la police marocaine et espagnole, et en février 2014, 15 autres personnes se sont noyées sur la plage de Tarajal lorsque la police espagnole a utilisé du matériel anti-émeute contre elles.

Ces dernières violations des droits humains surviennent quelques semaines seulement après un accord entre les gouvernements espagnol et marocain visant à rétablir des relations amicales, suite au changement de politique de l’Espagne sur le Sahara occidental.

Cet accord explique peut-être pourquoi, lorsque les premières informations ont commencé à faire état de morts à la frontière, le Premier ministre espagnol, Pedro Sánchez, a félicité l’action coordonnée de la Garde civile espagnole et des forces de sécurité marocaines.

Lorsqu’il est apparu qu’au moins 13 personnes étaient mortes, Pedro Sánchez a imputé la responsabilité de ces décès aux mafias. Mais qui a laissé les gens mourir sur le terrain sans soins médicaux appropriés ? Qui a remis des réfugiés potentiels de Melilla à la police marocaine en sachant qu’ils seraient maltraités ? Qui maintient fermés les bureaux d’asile et de réfugiés de Melilla en sachant qu’il n’y a aucun moyen de demander une protection en Espagne si vous venez du Soudan ou du Mali, sauf à risquer la mort en sautant la barrière ?

Qui a laissé les gens mourir sur le terrain sans soins médicaux appropriés ? Qui a remis des réfugiés potentiels de Melilla à la police marocaine en sachant qu’ils seraient maltraités ? Qui maintient fermés les bureaux d’asile et de réfugiés de Melilla

Une enquête et la fin du deux poids deux mesures à Melilla

Dans un acte de solidarité sans précédent, l’Espagne a accueilli plus de 124 000 Ukrainiens fuyant l’invasion de la Russie et pourtant nous laissons mourir des réfugiés potentiels fuyant d’autres guerres. Au contraire, ceux qui fuient la guerre au Soudan sont empêchés de demander l’asile dans en Espagne, en violation du droit international. Cette position ne peut être décrite que comme raciste.
Il est temps de mettre un terme à cette politique qui permet et encourage de graves violations des droits humains. L’approche "business as usual" n’est plus valable au milieu du sang et de la honte.

Ces derniers jours, les médias du monde entier ont mis en doute l’efficacité de la politique migratoire des gouvernements espagnol et marocain et ont souligné le traitement cruel des personnes en quête de protection ou d’une vie meilleure. Il est temps que la politique migratoire entre ces deux pays abandonne les matraques et les violations du droit international. Le rétablissement de bonnes relations ne peut se faire au détriment des droits humains des personnes, qu’il s’agisse d’envoyer des mineurs à Ceuta ou de repousser des réfugiés pour qu’ils soient battus en toute impunité par les forces marocaines.
La première étape pour changer la situation exige de connaître la vérité sur ce qui s’est passé à Melilla la semaine dernière. Des dizaines d’organisations l’ont exigée, y compris l’Union africaine.

Ce ne sera confortable pour aucun des deux gouvernements, mais il est essentiel de placer les droits au centre de nos politiques migratoires. Le gouvernement marocain doit changer son approche la prochaine fois que des réfugiés et des migrants s’approcheront de cette frontière.

Il est également essentiel de découvrir ce qui s’est passé à la frontière afin de comprendre notre politique de deux poids deux mesures et de veiller à ce que tous les réfugiés aient la possibilité - comme les Ukrainiens l’ont eu - d’échapper à la guerre et à la répression en demandant l’asile par des voies légales et sûres.

La situation est complexe, mais le respect des normes en matière de droits humains et l’État de droit constituent les voies essentielles pour que les événements horribles de ces derniers jours ne se reproduisent pas.

(Texte inspiré d’une tribune d’Esteban Beltrán, directeur d’Amnesty International Espagne)

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