Un mur de la honte Par Philippe Hensmans, directeur général de la section belge francophone d’Amnesty International

Le modèle que certains veulent imposer en Europe, dans la gestion des demandeurs d’asile, a trouvé aujourd’hui un copieur — le Président américain. Doué certes, celui qui veut faire de l’Amérique “un grand pays à nouveau”, est même innovateur selon certains aspects. Cela m’est apparu à chaque interview, observation ou réunion que j’ai eues en participant à notre délégation d’Amnesty International, composée de six pays, le long de la frontière américano-mexicaine, la semaine dernière.

Un grand pays ? Certainement pas si l’on en croît l’expérience des trois adolescents LGBT qui ont fui la violence effrayante et la discrimination au Honduras et qui ont eu besoin de la présence protectrice de 20 observateurs internationaux, y compris de notre délégation Amnesty, pour s’assurer que les gardes-frontières américains ne les empêcheraient pas de traverser la frontière (le mur est déjà existant cet endroit) entre Tijuana au Mexique et San Diego, en Californie. Ils voulaient simplement déposer une demande d’asile. Ils ont été autorisés à entrer, mais seulement après que nous ayons montré notre détermination à ne pas bouger tant qu’ils n’auraient pas franchi ce point d’entrée sous les menaces de la part de responsables américains et mexicains. Ils ont maintenant disparu dans le monde déchirant de la détention par l’immigration américaine.

Un grand pays ? Ce n’est assurément pas le mot que Valquiria utiliserait. Ayant fui les menaces terrifiantes de violence émanant de gangs criminels au Brésil, elle et son jeune fils ont été arrêtés dès qu’ils ont déposé leur demande d’asile à la frontière de Ciudad Juárez / El Paso, au Texas. Le lendemain, des fonctionnaires américains l’ont séparée de force d’Abel, alors âgé de 7 ans. Elle n’a pas vu son fils, résidant maintenant avec son père détenu à Boston, depuis plus de 10 mois. Elle n’a aucune idée du moment où ils pourraient être réunis. Ses sanglots alors qu’elle décrivait la douleur atroce d’être séparée de lui nous ont tous bouleversés.

Ces deux histoires ne sont pas des exceptions. Ils sont la norme. Le système américain d’application de l’asile et de l’immigration s’est détérioré à un point tel que ses piliers sont devenus la cruauté, les punitions, l’arbitraire et aucune obligation de rendre des comptes.
Alors que nous étions à la frontière, une autre couche de brutalité est a été rajoutée par les autorités américaines. Attendus depuis quelque temps, les États-Unis ont mis en vigueur les “protocoles de protection des migrants”, cruellement mal nommés, aux termes desquels de nombreux demandeurs d’asile seront forcés de revenir au Mexique pour attendre le traitement de leurs demandes. Mais le temps de traitement moyen est proche de deux ans et le Mexique est un pays notoirement dangereux pour bon nombre des personnes qui seront renvoyées, en particulier les personnes originaires d’Amérique centrale. Ces retours forcés vont à l’encontre du droit le plus essentiel inscrit dans le droit international relatif aux réfugiés, à savoir la protection contre le refoulement.
Pour les États-Unis, le Mexique est un pays sûr. On vous recommande pourtant de ne pas circuler après 5 heures du soir. Les assassinats sont nombreux, les viols ne se comptent plus et les mafias locales en profiteraient, notamment pour identifier, à la demande des pays d’origine de ces migrants, les opposants qui cherchent refuge, pour les éliminer.

Dans sa campagne résolue à obtenir des milliards de dollars pour la construction de son infâme et cruel mur, Donald Trump a insisté à plusieurs reprises sur le fait que les États-Unis étaient confrontés à une crise à la frontière mexicaine. Crise oui, mais c’est une crise des droits humains, pas une urgence de sécurité nationale : en réalité, il s’agit ici de quelques milliers de personnes et les Etats-Unis ont largement l’espace pour accueillir ces êtres humains. Les « vraies » victimes de la traite des êtres humains arrivent d’ailleurs aux USA avec un visa touristique.
Non, il s’agit d’une machine politique mise en place qui refuse de s’adresser aux causes essentielles (des régimes souvent soutenus par les Etats-Unis qui commettent d’effroyables violations des droits humains) mais préfère faire peur aux Américains. Tant pis si des femmes, des hommes et des enfants en paient le prix définitif : la mort.

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