Un peu de respect pour les droits de l’enfant , svp !

La Convention internationale des droits de l’enfant a 18 ans. L’occasion de rappeler qu’en Belgique de trop nombreux enfants sont encore enfermés en raison de l’illégalité du séjour de leurs parents.

Collectif (*)

"Quand est-ce qu’on pourra retourner à l’école ? Et à notre club de foot ?"
C’est Trésor (1) qui pose la question. Lui et son frère jumeau sont nés en Belgique il y a 13 ans. Sa maman est née au Congo mais cela fait plus de 15 ans qu’elle vit en Belgique. En 2005, elle a demandé à être régularisée. Au début de ce mois d’octobre, alors que les négociateurs de l’orange bleue étaient en train d’essayer de se mettre d’accord sur la politique d’immigration, des policiers ont frappé à la porte de la maison à 5 heures du matin. Toute la famille - maman, les deux jumeaux et la petite soeur de 7 ans - a été emmenée au poste de police. Là, ils ont appris que leur demande de régularisation avait été rejetée, et en fin d’après-midi ils ont tous été enfermés au centre de Merksplas. La maman, désespérée, ne supportait pas de voir ses enfants privés de liberté. Grâce au recours introduit par leur avocate, ils ont été remis en liberté, après avoir passé 17 jours en détention.

Le 17 août 2007, la vie de Vassili (1) a basculé. Lui aussi est né en Belgique, en 1996, et il aime à dire que sa langue maternelle est le néerlandais. Sa maman est venue d’Ukraine cette année-là et elle a demandé l’asile à la Belgique où vivaient déjà ses parents et son frère qui aujourd’hui ont un titre de séjour dans notre pays. Le 17 août, Vassili et sa maman se sont présentés à l’Office des Etrangers pour y demander de nouveau l’asile. Le soir même ils se retrouvaient au centre 127 bis de Steenokkerzeel. Ils y ont passé 79 jours, de plus en plus marqués par une longue détention. Toutes les démarches et recours entrepris par leur avocat pour les faire libérer sont restés sans succès. Le 4 novembre dernier, ils ont été expulsés vers l’Ukraine, un pays que Vassili, du haut de ses 11 ans, ne connaît pas...

Hier, nous célébrions le 18e anniversaire - la majorité ! - de la Convention internationale des droits de l’enfant. Dans la foulée de cette journée, nous demandons que ce qu’ont vécu Trésor et Vassili ne se reproduise plus. En 2006, près de 700 enfants ont connu le même sort. Sept cents enfants dont les droits fondamentaux ont été considérés par l’Etat belge comme négligeables au vu des impératifs de gestion des flux migratoires. C’est inacceptable.

De nombreuses voix se sont élevées pour demander de mettre fin à cette pratique. En avril dernier, le ministre de l’Intérieur rendait publique l’étude sur les alternatives à la détention des familles avec enfants, qu’il avait lui-même commandée au bureau d’études Sum Research. Les auteurs de cette étude estiment qu’il faut "en premier lieu mettre tout en oeuvre pour éviter que des enfants soient enfermés. Il s’agit là non seulement d’un devoir moral, mais aussi d’une conviction fondamentale : enfermer un enfant en raison de l’illégalité du séjour de ses parents est disproportionné et néfaste pour l’épanouissement de cet enfant" .(2)

Les auteurs de cette étude se font même plus précis : "Le maintien des familles avec enfants est, du point de vue des droits de l’enfant et de son bien-être, inacceptable dans les circonstances actuelles qui sont celles des centres fermés." Ils n’ont pu que constater "le caractère pénitentiaire et inadapté aux enfants de plusieurs centres (fil de fer barbelé, personnel en uniforme, régime de groupe, programme quotidien fixe, etc.), l’impossibilité de circuler librement dans les bâtiments et dans les espaces extérieurs, l’absence d’intimité, l’insuffisance d’espace ou de lumière du jour, l’impossibilité dans laquelle les familles sont placées de vivre une vie autonome et de disposer des moments nécessaires d’intimité, etc." (3)

Il y a un mois, la commissaire aux Droits de l’enfant de la Communauté flamande publiait un dossier sur la situation des droits des enfants sans-papiers. Un chapitre, contenant des témoignages éloquents, est consacré à la détention des enfants. Le commissariat aux Droits de l’enfant déclare qu’il est "explicitement opposé à la pratique de la détention des mineurs car elle est contraire à la Convention internationale des droits de l’enfant". Sa conclusion est claire : "Vu que l’enfermement est en soi une maltraitance psychique des mineurs, une simple adaptation de la structure et du régime des centres fermés reste une réponse inadmissible et insatisfaisante. Les autorités doivent chercher de vraies solutions et alternatives. A un niveau structurel il faut garantir que les mineurs, accompagnés ou non, ne soient plus enfermés."

Bien que l’accord sur l’immigration auxquel sont parvenus les partenaires de l’orange bleue il y a un mois, reste flou sur bien des points, une chose est claire : ils reconnaissent que les centres fermés constituent un "environnement traumatisant" pour les familles avec enfants. Ils ont donc décidé de mettre en place des alternatives. Malgré cette belle unanimité, depuis cette décision, chaque semaine des enfants comme Trésor et Vassili continuent à être enfermés. Combien de temps faudra-t-il encore attendre ? La Belgique en tant qu’Etat démocratique ne peut se permettre que les difficultés de gestation de son prochain gouvernement fassent chaque jour des victimes : les enfants étrangers enfermés au centre 127 bis, au centre 127 et à Merksplas. Continuer à enfermer des familles avec enfants, c’est violer, en toute connaissance de cause, la Convention des droits de l’enfant.

C’est pourquoi dans la foulée de cette Journée internationale des droits de l’enfant, nous demandons à Patrick Dewael, ministre de l’Intérieur, négociateur de l’orange bleue, d’être cohérent et de manifester son respect pour les droits de l’enfant. Nous lui demandons qu’il donne instruction à son administration, avec effet immédiat, de ne plus enfermer de familles avec enfants. C’est le bon sens et l’humanité la plus élémentaire qui l’exigent.

1.Les prénoms des enfants cités ici sont des prénoms d’emprunt, mais leur histoire est malheureusement authentique.

2.Sum Research, "étude portant sur les alternatives à la détention de familles avec enfants dans les centres fermés en vue de leur éloignement. Partie 2 : Vision et recommandations" (février 2007), p. 19.

3.Ibid, p. 40.

4.Kinderrechtencommissariaat, "Heen & Retour. Kinderrechten op de vlucht" (septembre 2007), pp. 90-91.

(*)Outre Amnesty, Luc Denys (Aide aux personnes déplacées), Jean-François Servais (Association des services droit des jeunes), Guy Cossée de Maulde (Centre Avec), Danielle Bouchat (Centre des immigrés Namur-Luxembourg), Thierry Moreau (Centre interdisciplinaire pour les droits de l’enfant), Annick Thyre (CEPAG), Christiane Cornet (CGSP wallonne enseignement), Benoît Van der Meerschen (CNCD), Frédérique Van Houcke (Coordination des ONG pour les droits de l’enfant), Brice Many (Conseil de la jeunesse catholique), Carine Mollatte (Centre social protestant), délégué général de la Communauté française aux droits de l’enfant, Edwin De Boevé (Dynamo international), Bernard Demuysère (Ecole des parents et des éducateurs, ASBL), Annick Thyre (FGTB- Interrégionale wallonne), Philippe Van Muylder (FGTB- Bruxelles), Michele Gilkinet (GRAPPE), Christophe Renders (Jesuit Refugee Service Belgium), Benoît Lambart (Jeunesse et droit), Annick Leonard (Mentor escale), Stéphane Heymans (Médecins sans frontières-projets belges), Thierry Jacques (Mouvement ouvrier chrétien- MOC), Charlotte Van Zeebroeck (Plate-forme mineurs en exil), Lysiane de Selys (Point d’appui), Séverine De Laveleye (Quinoa), Serge Boruchowitch (Service social de solidarité socialiste), Joan Lismont (Setca Enseignement libre-Setca-FGTB), Pieter Degryse (Vluchtelingenwerk Vlaanderen), Jean-Yves Hayez (Pédopsychiatre).

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