Sire,
Cela fait maintenant quelques années que nous observons avec admiration la sérénité qui Vous occupe lorsque Vous rencontrez, lors de visites protocolaires, des individus que le dictionnaire recense sous l’appellation de « dictateurs ou dictatrices », et que le droit international des droits humains condamnerait, s’il était appliqué, pour crimes contre l’humanité (entre autres).
Nous connaissons Votre attachement aux valeurs fondamentales portées par la Déclaration universelle des droits de l’homme et nous savons combien il est difficile de converser avec de tels individus lorsqu’on sait leur mépris pour cette dernière.
Cette qualité va encore être mise à rude épreuve ce mercredi lors de la rencontre que Vous allez avoir avec le Maréchal Abdel Fattah al-Sissi, par ailleurs Président de la République d’Égypte.
Aussi voudrions-nous Vous suggérer de tout d’abord le féliciter pour la libération en janvier dernier de Ramy Shaath. Ce défenseur des droits humains, arrêté en 2019, a passé deux ans et demi derrière les barreaux d’une prison abominable et quasi quotidiennement torturé, sans avoir jamais été condamné. Cette libération a bien sûr réjoui sa compagne (expulsée illégalement) et tou·tes les militant·es des droits humains qui se sont mobilisé·es en sa faveur pendant tout ce temps. Cette bonne nouvelle vaut donc bien un chaleureux remerciement.
Sire,
Depuis la chute de l’ancien président Mohamed Morsi en 2013, les autorités égyptiennes dirigent le pays d’une main de fer, avec une répression brutale et systématique de toute forme de dissidence et la réduction drastique de l’espace civique. Les autorités égyptiennes ont placé en détention arbitraire des milliers de personnes considérées comme dissidentes, dont un grand nombre de défenseur·es des droits humains, de journalistes, d’avocat·es, de militant·es pacifiques et de personnalités politiques d’opposition. Un grand nombre de ces personnes sont maintenues en détention provisoire pour une durée indéterminée ou purgent des peines prononcées à l’issue de procès manifestement inéquitables, notamment par des tribunaux militaires et des tribunaux d’exception dont les décisions ne peuvent faire l’objet d’un appel. Une fois libérées, elles doivent en outre faire face à des mesures extrajudiciaires abusives de la part d’agents de l’Agence Nationale de Sécurité adoptées dans le but d’étouffer toute velléité de dissidence.
Ces violations des droits humains ont lieu dans un contexte où la torture reste une pratique courante dans les lieux de détention officiels et non officiel, notamment par les agents de police et de l’Agence Nationale de Sécurité, comme l’attestent le Comité contre la torture des Nations unies et les ONG. Les conditions de détention notoirement déplorables en Égypte ont déjà coûté la vie à des dizaines de personnes depuis 2013.
Sire,
La discussion que Vous allez avoir avec le Maréchal Abdel Fattah al-Sissi ne permettra certainement pas d’aborder tout cela en profondeur, d’autant que d’autres sujets seront certainement sur la table. Mais nous voudrions à tout le moins Vous proposer de suggérer à M. al-Sissi la libération immédiate de Ahmed Samir Santawy, chercheur et étudiant en master d’anthropologie à l’université d’Europe centrale, à Vienne (Autriche), et détenu arbitrairement en raison essentiellement de son travail universitaire sur les droits des femmes et la religion, notamment sur l’histoire des droits reproductifs en Égypte.
Ahmed Samir Santawy est actuellement détenu à la prison de Tora Mazraa. Plus de septante organisations et l’ensemble des rectrices et recteurs des universités belges appellent à sa libération immédiate.
Sire,
Ce geste concret permettrait de montrer combien la population belge peut être fière des valeurs défendues par son Souverain et de la capacité de Celui-ci à les rappeler aux personnes qui les ont oubliées, malgré leurs obligations internationales.
Confiants dans l’engagement qui accompagnera Votre capacité d’accueil, recevez, Sire, l’expression de nos sentiments dévoués
Philippe Hensmans, directeur de la section belge francophone d’Amnesty International
Wies De Graeve, directeur de la section flamande d’Amnesty International
Cette lettre a été publie sur le site web du Soir