Treize ans après la signature par la Belgique de ce Protocole, la ratification était enfin en vue ; la mise en place d’un véritable outil de prévention contre les actes de torture et les traitements inhumains et dégradants dans tous les lieux de privation de liberté était enfin envisageable.
Aujourd’hui, l’incompréhension le dispute à la déception : cette loi d’assentiment n’a toujours pas été publiée au moniteur. Ce qui veut dire que tout un chacun, en Belgique, pour peu qu’il soit privé de liberté, n’est actuellement pas protégé correctement contre le risque de subir des actes de torture ou des traitements inhumains et dégradants.
Notre pays a pourtant été mis plusieurs fois face à ses responsabilités, notamment par le Conseil des droits de l’homme de l’ONU, auprès de qui nos autorités se sont engagées – plus d’une fois – à ratifier ce protocole essentiel du point de vue du respect de la dignité humaine.
Un indispensable mécanisme national
Le protocole OPCAT prévoit dans chaque pays adhérent la mise sur pied d’un organe indépendant par rapport aux pouvoirs exécutif et judiciaire, et bénéficiant d’une réelle expertise : le « Mécanisme National de Prévention » (MNP).
Il permet une intervention préventive par le biais notamment de visites régulières, y compris inopinées, dans tous les lieux de privation de liberté, c’est à dire les prisons, mais aussi les annexes psychiatriques, les établissements fermés pour mineurs, les commissariats de police, les centres fermés pour personnes sans papier, les zones de transit aéroportuaire, etc.
La mission du MNP consiste également à formuler des recommandations aux autorités compétentes afin d’améliorer la situation des personnes privées de liberté et de faire des observations quant à la législation applicable ou envisagée dans ce domaine.
Aujourd’hui, ce mécanisme national de protection n’existe toujours pas, ce qui empêche le dépôt de l’instrument de ratification du Protocole auprès des Nations unies.
Des initiatives insuffisantes
Le gouvernement Michel n’est pourtant pas resté totalement inactif. Outre le projet de loi voté au Parlement il y a un an, il est à mettre à son crédit la modification de loi de principes applicable dans les établissements pénitentiaires en décembre 2016, qui a permis le rattachement du Conseil central de surveillance pénitentiaire au Parlement, et non plus au Service public fédéral de Justice.
Il y a donc eu une certaine volonté politique d’avoir enfin en Belgique un organe multidisciplinaire et indépendant du pouvoir exécutif en mesure d’assurer des fonctions de surveillance, de médiation et de traitement des plaintes contre des décisions de l’administration pénitentiaire.
Malheureusement, son champ de compétence se limite strictement aux personnes détenues en prison, alors que la ratification du protocole à la convention contre la torture suppose un mécanisme de prévention valide pour toutes les personnes privées de liberté, indépendamment du lieu où elles se trouvent.
Il est temps d’agir !
À force de ne rien voir venir, d’aucuns pourraient croire que la mise sur pied d’un mécanisme national est devenue une utopie en Belgique – nous noterons que, sur les 28 États membres que compte l’Union européenne, 23 ont déjà ratifié le Protocole.
Il est vrai qu’une certaine complexité institutionnelle impliquant la volonté fédérale et la coopération des entités fédérées pour les cas qui relèvent de leurs compétences (par exemple, la gestion des lieux de détention pour les mineurs ayant enfreint la loi) pourrait être de nature à compliquer la donne. Mais notre pays s’est déjà distingué par une créativité à toute épreuve dans ce domaine.
Par ailleurs, depuis plusieurs années, les départements de la justice et des affaires étrangères, concernés au premier plan, n’ont cessé d’exprimer, quelle que soit la couleur politique des ministres concernés, leur volonté d’aboutir à une ratification du Protocole. Du reste, l’ensemble des députés, au niveau fédéral comme à celui des entités fédérées, ont clairement exprimé le désir de voir la Belgique se ranger du côté des États qui défendent les droits des personnes les plus vulnérables.
Alors, qu’attendons-nous ? Il est plus que temps que le ministre de la Justice démontre son engagement politique. Nous l’appelons à mettre à profit cette période d’« affaires courantes » et à réunir toutes les parties concernées – entités fédérale et fédérées, et représentants de la société civile – autour d’une table ronde, comme cela est envisagé depuis des mois. Il faudra alors que tous agissent ensemble dans le but d’aboutir, lors de la prochaine législature, à la mise en œuvre d’une politique effective de prévention contre la torture et les traitements inhumains, valable pour toutes les personnes présentes sur le territoire belge.